Edouard Philippe à la reconquête du Havre

On a beaucoup vu cette semaine le Premier ministre dans la ville dont il a été maire. Depuis les déboires de son successeur, il s’active pour y garder sa mainmise en vue des municipales.

 Edouard Philippe en compagnie du Premier ministre russe Dmitri Medvedev, lors d’une visite officielle au Havre, le 24 juin.
Edouard Philippe en compagnie du Premier ministre russe Dmitri Medvedev, lors d’une visite officielle au Havre, le 24 juin. AFP/Loïc Venance

    « Ça fait drôle quand même de le voir comme ça… » Patricia, une retraitée havraise, vient de tomber nez à nez avec Edouard Philippe en bras de chemise aux côtés de son homologue russe Dmitri Medvedev dans les rues quasi désertes du Havre (Seine-Maritime). En ce lundi 24 juin, la cité portuaire est comme mise sous cloche, ses artères principales interdites à la circulation pour la venue de son hôte.

    C'est la première fois que le Premier ministre organise une visite diplomatique dans la ville où il a été élu conseiller municipal en 2001, avant de prendre la succession d'Antoine Rufenacht à l'hôtel de ville de 2010 à 2017. Cette petite touche personnelle pour réchauffer les relations entre Paris et Moscou en dit long sur l'attachement que Philippe porte toujours au Havre. Il ne manque jamais une occasion d'évoquer son fief, berceau de son grand-père docker CGT. Enfant de la banlieue de Rouen, il s'y rendait presque tous les week-ends chez le frère jumeau de son père. « Le Havre, c'est chez moi, c'est une ville que j'aime profondément. Je n'y vais pas aussi souvent que je voudrais », nous confiait-il récemment.

    Luc Lemonnier, un épisode délicat

    « Pendant la crise des Gilets jaunes, il était bloqué à Paris, mais sinon, il revient quand il peut, à titre privé, pour le week-end. Il a toujours son appartement », raconte la députée Agnès Firmin le Bodo qui a succédé à Philippe à l'Assemblée. Cette semaine, il a fait son grand retour en habit de Premier ministre : il y est resté dormir dimanche soir après le match des Bleues au stade Océane, avant d'accueillir Medvedev le lendemain. Rebelote jeudi après-midi, où il a de nouveau fait un aller-retour express pour décorer de la Légion d'honneur la responsable de la Ligue havraise pour l'aide aux personnes handicapées.

    Philippe n'a pas non plus démissionné du conseil municipal, où il a siégé deux fois depuis son arrivée Rue de Varenne en mai 2017. Il est resté abonné à Paris-Normandie et ses nombreux relais sur place le tiennent au courant des moindres péripéties. Le 21 mars dernier, il s'était déplacé pour demander à Luc Lemonnier, qu'il avait installé dans son fauteuil de maire en 2017, de démissionner après le scandale des photos obscènes que l'élu avait envoyées à des femmes.

    Un épisode délicat, au vu du degré de proximité entre les deux hommes qui se voyaient une fois par mois « à Matignon ou au Havre », précise un proche de Philippe. « Du temps de Lemonnier, on sentait que Philippe donnait des conseils, on voyait sa méthode », assure le conseiller municipal LFI Gérald Maniable. « Edouard n'a jamais été maire par procuration », jure un proche du Premier ministre.

    « Ça le démange de revenir dans la ville »

    Les liens se sont un peu distendus depuis l'élection de Jean-Baptiste Gastinne (LR) à l'hôtel de ville. Le nouveau maire, proche de Sens Commun, est sur la ligne « droite Trocadéro », qui avait fait bloc derrière Fillon en avril 2017, brocardée récemment par le modéré Philippe. Gastinne est en outre adoubé par Rufenacht, qui continue à peser sur la vie politique locale. Bref, tout s'est singulièrement compliqué localement pour le Premier ministre. Lequel a en outre perdu un ancien très proche conseiller, Michel Sironneau. Devenu directeur de cabinet de la ville, il est décédé d'un infarctus fin mars.

    Plus rassurant pour lui, la tendance « Trocadéro »n'a pas marqué de points au Havre lors des Européennes : la liste LR de Bellamy a recueilli seulement 5,2 % des votes, une déroute historique. « Le soir de l'élection, il a regardé les résultats bureau par bureau. Il a interprété le score LR comme un soutien de sa ville à sa propre démarche », veut croire son ami Thierry Solère, député la République en marche (LREM) des Hauts-de-Seine.

    De quoi donner de sérieux espoirs au chef du gouvernement et à ses amis Marcheurs pour les municipales de 2020. « Le seul qui a les clés, c'est Edouard Philippe. Je suis à peu près certaine que ça le démange de revenir. Le candidat naturel, c'est lui », le presse Agnès Firmin-le Bodo, alors que des rumeurs tenaces l'imaginent depuis de longs mois plutôt briguer Paris.

    Malgré cet appel du pied, le come-back normand « n'est pas d'actualité », se contente de balayer Matignon. Seule certitude : la désignation du candidat LREM au Havre ne sera pas tranchée par la commission nationale d'investiture de LREM, mais par Philippe lui-même. Pas question pour lui d'y perdre sa mainmise. Solidement ancré à son poste de Premier ministre, il perdrait beaucoup de crédit politique si le Havre devait quitter le port En Marche.