Le jour où... Bayrou a démissionné

Dernier volet de notre série sur les temps forts de la présidentielle. Mercredi 21 juin, François Bayrou et les ministres centristes quittent le gouvernement.

Le 21 juin, au siège du MoDem. Touché à son tour par l’affaire des emplois fictifs présumés au MoDem, François Bayrou annonces a démission.
Le 21 juin, au siège du MoDem. Touché à son tour par l’affaire des emplois fictifs présumés au MoDem, François Bayrou annonces a démission. IP3 PRESS/MAXPPP/NICOLAS KOVARIK

    « Is fecit cui prodest. » Littéralement : le criminel est celui à qui le crime profite. Quand le sol se dérobe sous ses pieds, l'agrégé François Bayrou s'accroche à son latin chéri. Ce mercredi 21 juin, il tient une conférence de presse au siège du MoDem, un petit hôtel particulier dans le chic VII e arrondissement de Paris. La salle est bondée, surchauffée, Bayrou s'éponge régulièrement le front. A qui profite le crime? En ce jour noir, l'homme se dit persuadé que s'il tombe — sur cette affaire d'emplois fictifs présumés du MoDem sur fonds européens —, c'est qu'il est victime d'un complot ourdi par ceux que sa loi phare du quinquennat sur la moralisation de la vie politique dérange.

    Quelques heures plus tôt, dans un communiqué diffusé aux aurores, le chef centriste rallié à Emmanuel Macron a annoncé qu'il renonçait à son fauteuil de garde des Sceaux. Ses deux collègues centristes, Sylvie Goulard (Armées) et Marielle de Sarnez (Affaires européennes), quittent aussi le gouvernement. Lui qui a mis vingt ans à redevenir ministre depuis le gouvernement Balladur (1995-1997), comme le lui fait cruellement remarquer un journaliste, sera resté un mois à peine place Vendôme. « Peut-être mettrais-je un peu moins de temps à le redevenir », souffle-t-il... sans avoir l'air d'y croire vraiment.

    Tensions avec Edouard Philippe

    Jusqu'au bout, pourtant, il se sera accroché, luttant contre l'évidence : comment rester à la tête de la Justice alors que celle-ci enquête sur son propre parti? Après coup, François Bayrou assurera avoir proposé sa démission au président dès le déclenchement de l'affaire, début juin. « Ce n'est pas tout à fait exact, nuance un proche du maire de Pau. Il lui a plutôt mis le marché en main sur le mode : si vous me demandez de démissionner, je le ferai pour ne pas gêner le gouvernement. Mais Macron ne le lui a pas demandé. D'abord, il ne voulait pas de crise avec le centriste qui l'a aidé à se faire élire à l'Elysée. Ensuite, il s'en tenait à sa ligne : pas de mise en examen, pas de démission. »

    Le garde des Sceaux se sent alors conforté. Cultive sa relation d'égal à égal avec le président de la République. « Bayrou se considère de la trempe des empereurs, tout ce qui est en dessous, c'est de la piétaille », glisse-t-on dans l'entourage d'Edouard Philippe. Un Premier ministre que Bayrou a tendance à négliger ou contourner. Voire à provoquer. Quand l'homme appelle un patron de France Inter, fustigeant le « harcèlement » auquel se livreraient les enquêteurs de la station auprès des petites mains du MoDem, le tollé est immédiat. Sur France Info, Edouard Philippe recadre son ministre.

    « Normalement, reprend notre source, tout homme politique de plus de 18 ans comprend que là, ça veut dire stop. » Pas le leadeur centriste, qui n'a pas « digéré de ne pas être Premier ministre à la place de ce blanc-bec de 46 ans sans expérience gouvernementale ». « Je ne renoncerai jamais à ma liberté de parole », riposte Bayrou, continuant à n'en faire qu'à sa tête. D'autant que le succès du MoDem aux législatives, qui passe le 18 juin au soir de 2 à 42 élus, en faisant le troisième groupe le plus important à l'Assemblée nationale, grise un peu plus le duo Bayrou-Sarnez. Fini les années de vaches maigres pour ce couple politique « dont le MoDem est l'enfant », selon la formule de l'ex-centriste Jean-Luc Bennahmias.

    « L'élément qui le fera plier, mettant toute la pression sur sa tête, c'est la démission de Sylvie Goulard », analyse Corinne Lepage, ex-vice-présidente du MoDem. Femme de confiance de Macron, au service duquel elle a mis son exceptionnel réseau européen, la ministre des Armées démissionne avec fracas le 20 juin, en plein Salon du Bourget. Afin, dit-elle, de pouvoir « démontrer librement ma bonne foi ».

    Serein jusqu'au bout

    Dès lors, avec cette « jurisprudence Goulard » — comme dit un proche du dossier —, les jours de Bayrou au gouvernement semblent comptés. Pourtant, il y croit encore, insiste sur des « raisons personnelles » de sa collègue. D'ailleurs, contacté ce jour-là par notre journal, il s'affirme serein : « Si on devait partir à la moindre crise, on ne ferait pas ce métier », fanfaronne-t-il... Vingt-quatre heures avant de jeter l'éponge, aussitôt suivi par Marielle de Sarnez.

    Reste une question : Goulard a-t-elle pu, comme le susurrent certains, agir en service commandé pour Macron, de plus en plus exaspéré par l'électron libre centriste ? En retour, elle serait assurée de retrouver un maroquin une fois l'affaire MoDem tassée. A-t-elle démissionné pour d'autres raisons ? Certaines sources évoquent des réticences de la part des autorités militaires à accorder à leur ministre une habilitation totale au secret-défense ! Cause du soupçon, sa collaboration épisodique, lorsqu'elle était députée européenne, avec un think tank américain.

    Une certitude, la famille macroniste n'a versé aucune larme. Le chef centriste, qui jouait et surjouait de l'effet positif de son ralliement à Macron en février, à un moment où sa campagne patinait, agaçait au plus haut degré les grognards d'En Marche ! « Sa façon de lui rajuster son noeud de cravate, de lui conseiller d'aller se reposer, tout cela sans un regard ni une parole pour nous autres », s'exaspère encore l'un d'eux. François Bayrou, lui, s'affiche sans rancune : il restera, jure-t-il, un soutien utile au président.