Rouen doit-il attirer les touristes sur la côte Sainte-Catherine, « balcon » sur son plus beau panorama ?

Pour mieux mettre en valeur ce belvédère, à la fois monument historique et espace naturel protégé, on parle d’y ouvrir un parking. Riverains et défenseurs de l’environnement crient casse-cou !

Avec sa vue incontournable sur la ville de Rouen, la côte Sainte-Catherine est l'un des sites les plus appréciés des habitants de l'agglomération en dépit d'aménagements relativement sommaires. LP/Laurent Derouet
Avec sa vue incontournable sur la ville de Rouen, la côte Sainte-Catherine est l'un des sites les plus appréciés des habitants de l'agglomération en dépit d'aménagements relativement sommaires. LP/Laurent Derouet

    Avec sa vue imprenable sur la vallée de la Seine, du haut de ses 140 mètres d’altitude, la côte Sainte-Catherine à Rouen (Seine-Maritime) est l’un des sites incontournables de la ville. Un monument à ciel ouvert depuis lequel il est presque possible de vérifier si les cent clochers qu’y comptait Victor Hugo sont encore debout face au plus célèbre de tous, celui de la cathédrale.

    Coteau calcaire protégé au titre des espaces naturels par le ministère de l’Environnement pour sa biodiversité depuis 2002, il est également classé au titre des Monuments historiques pour la richesse de son histoire. « Même les Rouennais ne se rendent pas compte de son caractère exceptionnel », regrette Patrick Dardenne, vice-président de l’association Gargantoits, dans le quartier rouennais du Mont Gargan qui jouxte l’endroit.



    Lui l’arpente depuis plus de trente ans et en connaît tous les recoins. Il a même œuvré à la pose d’un escalier, « avec des traverses de chemin de fer », se souvient-il, qui permet aux plus courageux de rallier les hauteurs du site à pied, en passant tout à côté des ruines d’un ancien prieuré. Et pourtant, en se posant sur le belvédère en béton aux barrières défraîchies, le long d’un ruban de bitume qui serpente entre Bonsecours et Rouen, la question de la mise en valeur de ce panorama extraordinaire se pose.

    « Clairement, le site mérite mieux », assure Christine de Cintré, élue rouennaise et présidente de l’Office de tourisme. Cette réflexion a poussé la Métropole Rouen-Normandie à lancer un vaste projet de valorisation de l’ensemble de la colline dès 2021 avec 3,4 millions d’euros à la clé, notamment pour l’acquisition des terrains qui se situent sur sa partie haute. Au total, plus d’une trentaine d’hectares, sur lesquelles une abbaye puis un fort ont été érigés, sont concernés.

    Mais si tout le monde est d’accord pour dire qu’il est nécessaire d’agir, la seconde phase de concertation menée depuis le début de l’année met en lumière de sérieux désaccords entre, d’un côté, les riverains et les associations et, de l’autre, la collectivité. « C’est un atout pour l’attractivité touristique de notre territoire dont le potentiel doit être valorisé », est convaincue Christine de Cintré qui pointe par exemple le manque de signalétique juste pour trouver le chemin qui y mène.



    La présidente de l’Office de tourisme souhaite également rendre accessible aux visiteurs deux autres points de vue depuis les hauteurs, tout en dévoilant les richesses historiques méconnues de l’endroit. « La campagne de fouilles archéologiques menée par l’INRAP – dont les résultats devraient être dévoilés peu avant l’été, NDLR - va nous permettre d’en savoir plus et surtout de procéder à des aménagements pour faciliter les cheminements et les accès sans risquer de mettre en péril la préservation de ces vestiges. »

    Des aménagements que certains ne voient pas forcément d’un bon œil. « Si c’est pour livrer le site au tourisme de masse, c’est une hérésie ! », s’emporte Patrick Dardenne qui souhaite que les lieux gardent leur quiétude et leur authenticité. « Le milieu est fragile, dit-il, et comme on aime à la dire, la côte Sainte-Catherine, ça se mérite ! » Au cœur des débats, la création d’un parking sur les hauteurs au milieu d’un petit bois pour remplacer les quelques places du belvédère qui doit disparaître sous sa forme actuelle.



    Certains évoquent une quarantaine de places et la possibilité pour un bus de stationner et d’y faire demi-tour. « C’est beaucoup moins. Il s’agit d’avoir quelques places pour permettre aux personnes à mobilité réduite de pouvoir venir et à un car de tourisme de stationner et de manœuvrer le temps que ses passagers puissent découvrir les paysages », détaille l’élue rouennaise.

    Elle se heurte déjà à l’opposition de ses collègues écologistes sur la question et à celle des associations environnementales comme « Effet de serre toi-même » : « Prendre des espaces naturels pour les donner à la voiture, ça n’a pas de sens. Le principe de base, c’est d’arrêter ça », insiste Guillaume Grima, l’un de ses représentants. Les riverains, présents en nombre lors d’une réunion le 17 avril dernier, s’y opposent également.

    « Il y a déjà des problèmes de trafic et de nuisance sonore à la nuit tombée sur le belvédère. Si on implante un parking à l’abri des regards, juste à côté de nos maisons, ça va être encore pire », s’inquiète Mathilde Bories, une habitante du secteur. Elle assure qu’elle n’a rien contre une valorisation « raisonnable » de la côte Sainte-Catherine, mais ne comprend pas l’intérêt d’un tel aménagement. « Si c’est juste pour quatre ou cinq voitures, on doit pouvoir trouver d’autres solutions ! »

    La possibilité d’une navette depuis le bas de la colline est parfois évoquée. Sur ce point la réponse de Christine de Cintré, à l’Office de tourisme, est catégorique : « La question a été étudiée, mais le coût serait prohibitif par rapport au service rendu ». Guillaume Grima, l’écologiste, pointe lui une problématique plus large concernant les mobilités douces à l’échelle du territoire. « La route qui passe sur la côte Sainte-Catherine, connue pour se transformer en itinéraire de délestage aux heures de pointe, est le seul axe qui permettrait de créer une liaison sécurisée pour les vélos pour desservir les plateaux Est. On doit donc mener une réflexion globale sur la question. C’est l’occasion de le faire. »

    Autant de questions qui seront au menu de la prochaine réunion programmée le 22 mai. Mathilde Bories, la riveraine, veut croire que tout n’est pas joué. « Nous avons encore espoir d’être entendus. Ça sert à ça une concertation. J’ai envie d’y croire ». Le projet d’aménagement devrait lui être finalisé pour la fin de l’année et les premiers travaux débuter en 2025.