Le difficile quotidien des greffiers du tribunal de Bobigny

Ces «invisibles de la justice», qui assistent les magistrats, seront en grève ce mardi. «La souffrance est plus lourde ici», disent-ils.

 Illustration. Plusieurs syndicats ont appelé à la grève ce mardi contre le projet de programmation pour la justice. Magistrats, avocats et personnels judiciaires ont invité des parlementaires à les rejoindre mardi à 9 heures devant le tribunal de grande instance de Bobigny.
Illustration. Plusieurs syndicats ont appelé à la grève ce mardi contre le projet de programmation pour la justice. Magistrats, avocats et personnels judiciaires ont invité des parlementaires à les rejoindre mardi à 9 heures devant le tribunal de grande instance de Bobigny. LP/Carole Sterlé

    Ce sont les invisibles de la justice. Des robes noires parmi les autres, qu'on n'entend jamais, mais sans qui la justice ne fonctionnerait pas. Ils assistent les magistrats, lors des audiences et des interrogatoires, convoquent les parties, rédigent les jugements, accueillent même aussi parfois le public … Pour la journée nationale de mobilisation contre la réforme de la justice, ces greffiers pourraient être nombreux à sortir de l'ombre, las d'un quotidien difficile, à Bobigny tout particulièrement.

    « On fait du bénévolat ». Irène* rit jaune quand elle entend que les fonctionnaires sont des nantis. « Les 35 heures, je les fais en trois jours », dit cette greffière qui espère, comme d'autres, quitter bientôt cette juridiction où elle est arrivée par conviction.

    « C'est épuisant, on est considéré comme des secrétaires sans les avantages des secrétaires de direction, quel que soit le travail fourni », dit-elle en citant, entre autres, toutes ces heures qui ne seront jamais payées.

    «On a l'impression d'être à bord du Titanic, on coule doucement»

    Quelques heures ou beaucoup puisqu'on entend des exemples allant jusqu'à 200 heures de plus par mois et qui ne sont récupérables qu'à hauteur de deux demi-journées par mois. « Le reste part à la poubelle à la fin du mois, on fait du bénévolat, ironise une autre greffière. On a l'impression d'être à bord du Titanic, on coule doucement. »

    « La souffrance est encore plus lourde ici », note Irène passée par d'autres tribunaux. « J'en vois craquer », commente Cyril Papon, secrétaire général adjoint de la CGT des chancelleries et services judiciaires. La crainte du burn-out se dit.

    En colocation à 50 ans. La photocopieuse en panne, les étages à monter pour trouver une imprimante opérationnelle, les toilettes bouchées, l'énervement de justiciables, l'impatience d'avocats, n'allège pas le malaise. Sans compter la difficulté de se loger, avec 1 550 € nets comme salaire de base et 50 € de prime en région parisienne. Alors, c'est la colocation à 50 ans, une chambre de bonne pour toit, ou l'« hôtel social », dans une « chambre kitchenette à 600 € par mois ».

    Cyril Papon, Secrétaire général adjoint de la CGT des chancelleries & services judiciaires Secrétaire régional de la section de Paris. LP/C.S.
    Cyril Papon, Secrétaire général adjoint de la CGT des chancelleries & services judiciaires Secrétaire régional de la section de Paris. LP/C.S. LP/Carole Sterlé

    « Si notre signature n'est pas au bon endroit où qu'on oublie quelque chose, ça peut avoir de lourdes conséquences, avec des remises en liberté qui défraierait la chronique par exemple… Quand on en discute entre nous, on se demande comment on ne fait pas plus de conneries… » convient une greffière dont la moitié des collègues demandent à partir.

    «Envie d'une vie de famille». La promesse de 184 créations de poste supplémentaire à l'échelle nationale dans les 5 ans* n'est pas suffisante à remotiver l'ensemble des troupes. « On ne comprend pas pourquoi quand Paris demande, Paris obtient, et Bobigny, non, souffle une greffière, décidée à partir. J'ai envie d'avoir une vie de famille, de faire un enfant et pas question de vivre une grossesse ici avec le rythme qu'on a. »

    Selon un avis bien partagé à Bobigny, l'outil servant à dimensionner le greffe (Outilgreffe) n'est pas adéquat pour le tribunal de Bobigny.

    Youssef Badr, porte-parole de la Chancellerie, indique que les efforts pour renforcer les effectifs à Bobigny « vont se poursuivre en 2019 : 391 fonctionnaires dont 188 greffiers en avril 2019, alors qu'ils étaient 142 greffiers et 336 fonctionnaires fin 2017 ».

    Et un nouveau régime indemnitaire, rétroactif à compter de janvier 2019 est annoncé, sans plus de détails, pour les juridictions peu attractives.

    *Le projet de programmation pour la justice prévoit la création sur 5 ans de 6 500 postes, dont 832 destinés aux services judiciaires (400 magistrats, 184 fonctionnaires de greffes et 284 juristes assistants)

    DAVANTAGE DE COMPARUTIONS IMMÉDIATES EN JANVIER

    Une nouvelle audience de comparutions immédiates a désormais lieu le jeudi au tribunal de Bobigny. Cette 18e chambre, supprimée il y a quelques années, a été réactivée en septembre par une audience le lundi et depuis janvier par une audience le jeudi. « Elle a pour but de délester la 17e chambre des comparutions immédiates et la 13e chambre, qui juge aussi les affaires de comparutions immédiates de stupéfiants, fausse monnaie, détentions d'arme… » indique une source judiciaire. La 17e est limitée à 12 dossiers et 15 prévenus par jour ou par nuit, puisque les audiences s'étirent régulièrement très tard.

    Mais cette nouvelle audience ne fait pas l'unanimité. Magistrats et avocats ne sont pas tous convaincus par cette réponse pénale. Du côté du greffe aussi, l'annonce fait grincer des dents. « Le nombre des audiences correctionnelles va augmenter comme si tout allait mieux », regrette Cyril Papon, secrétaire général adjoint CGT chancelleries. Car si des greffiers ont renforcé les rangs du tribunal, ils sont encore stagiaires et donc pas encore formés pour assurer ces nouvelles audiences, qui incombent donc aux titulaires en poste.

    Depuis 2014, le nombre de personnes jugées en comparution immédiate en Seine-Saint-Denis a baissé passant de 2 200 à 1 700 l'an passé.

    *Le prénom a été modifié.