150 ans de la République : «Macron veut faire le même coup que de Gaulle»

Nous avons demandé à Arnaud-Dominique Houte, spécialiste de la IIIe République, ce que symbolise le 4 septembre 1870 dans notre histoire.

 Le Panthéon, où Emmanuel Macron s’exprimera ce 4 septembre, est devenu un lieu de repos « des grands hommes » de la République en 1885, à la mort de Victor Hugo, rappelle Arnaud-Dominique Houte.
Le Panthéon, où Emmanuel Macron s’exprimera ce 4 septembre, est devenu un lieu de repos « des grands hommes » de la République en 1885, à la mort de Victor Hugo, rappelle Arnaud-Dominique Houte. LP/Olivier Boitet

    Le chef de l'Etat prononce ce vendredi un discours au Panthéon pour les « 150 ans de la proclamation de la République ». Arnaud-Dominique Houte, historien de la IIIe République, est professeur à Sorbonne Université, auteur du livre « Le Triomphe de la République » (Seuil). Pour lui, Emmanuel Macron veut marquer les esprits, comme de Gaulle le 4 septembre 1958.

    Qu'est-ce que la date du 4 septembre 1870 représente dans notre Histoire ?

    Arnaud-Dominique Houte. C'est une révolution qui marque d'abord la chute du Second Empire en pleine guerre franco-prussienne, après une succession de défaites et la reddition de Napoléon III. Contrairement aux révolutions précédentes, celle-ci ne va pas être violente et se déroule sans affrontement. Dans un contexte de guerre qui se poursuit, l'urgence est ailleurs. Le 4 septembre 1870, on proclame simplement la République, on n'entre pas dans les détails, c'est une fausse date de naissance de la IIIe République, ça la rend juste possible. Il faudra attendre 1875 pour que les institutions se mettent en place. C'est donc l'acte de baptême symbolique de la République, avec une forte dimension patriotique, logique de guerre oblige.

    Paris, le 4 septembre 1870. Le député Léon Gambetta proclame la IIIe République devant la foule assemblée place de l’Hôtel-de-Ville. /MEPL/Bridgeman images
    Paris, le 4 septembre 1870. Le député Léon Gambetta proclame la IIIe République devant la foule assemblée place de l’Hôtel-de-Ville. /MEPL/Bridgeman images LP/Olivier Boitet

    Y a-t-il des similitudes, en matière de fractures, entre la France du 4 septembre 1870 et celle du 4 septembre 2020 ?

    Non, on ne peut pas établir de comparaison car en 1870, on est en guerre et aujourd'hui, on est en paix. Sur le plan politique, la France est divisée. La société elle, vit, de grands bouleversements économiques avec l'accélération de l'industrialisation et de l'urbanisation.

    Pourquoi le président a-t-il choisi cette date pour y faire un grand discours sur les valeurs de la République ?

    En fait, il y a un autre 4 septembre auquel il doit penser très fort avec ses communicants, celui de 1958, lorsque de Gaulle a présenté, place de la République à Paris, lors d'un événement spectaculaire, la constitution de la Ve, le même jour, donc de l'anniversaire de la proclamation de la République en 1870. Pour le général, c'était une captation d'héritage, une manière de dire : « On ne peut pas faire plus républicain que moi ! » Emmanuel Macron veut faire le même coup que de Gaulle.

    Qu'incarne le Panthéon, théâtre de son discours ?

    C'est le temple de la République ! Au XIXe siècle, l'édifice a été au cœur des divisions : est-ce qu'il doit être le lieu d'inhumation des grands hommes comme cela a été décidé pendant la Révolution ou une église comme cela était prévu à l'origine ? Une fois c'est l'un, une fois c'est l'autre. En 1870, la question n'est pas réglée. Ce n'est qu'en 1885, à la mort de Victor Hugo qui y sera inhumé, que ça deviendra un lieu de repos des grands hommes de la République.

    Y a-t-il du sens, historiquement parlant, pour le président Macron à évoquer les questions de citoyenneté et de naturalisation en prenant appui sur cette date du 4 septembre 1870 ?

    La citoyenneté est un mot central dans l'histoire du XIXe siècle. C'est la Révolution qui en pose le principe, en transformant le sujet du roi en citoyen, mais c'est le XIXe siècle qui le concrétise. La question des naturalisations, elle, n'est pas centrale à l'époque. Il y a beaucoup de combattants étrangers dans les troupes françaises lors de la guerre de 1870. On ne fait pas de grandes distinctions. La notion de nationalité est très mal définie. Un Allemand à Paris va être jugé par les habitants aussi inquiétant qu'un Auvergnat !

    Et la laïcité, on en parle déjà en 1870 ?

    Cette question commence à être clivante, bien plus qu'auparavant, parce que les républicains et l'Eglise catholique sont de plus en plus en conflit. Ce n'est pas un hasard si la Commune de Paris, en 1871, décide de proclamer la séparation de l'Eglise et de l'Etat ! C'est une question qui devient centrale dans le débat politique, au moins jusqu'à la Première Guerre mondiale.

    Emmanuel Macron entend également adresser un message « contre les tentations séparatistes ». Cela aurait-il eu un écho en 1870 ?

    Sans doute pas en 1870, parce que le pays est en guerre et globalement uni contre l'adversaire prussien. Mais deux questions se posent déjà. L'une va préoccuper les républicains pendant les quarante ans qui suivent : comment faire Nation avec deux jeunesses - l'une élevée à l'école républicaine, l'autre à l'école « catholique » - qui ne se parlent pas ? L'autre, c'est la question des inégalités sociales, et c'est Victor Hugo qui en parle le mieux, quand il écrit, en 1871, à propos du peuple révolté : « Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte ; c'est qu'ils n'ont pas senti votre fraternité. »