Face à la prolifération des sangliers, les agriculteurs s’en prennent aux chasseurs

La multiplication des cochons sauvages et des destructions qu’ils entraînent sur les cultures sème la discorde entre tracteurs et fusils.

 Lors d’une battue au sanglier en forêt de Chantilly. Les chasseurs abattent 19 fois plus de sanglier qu’en 1973.
Lors d’une battue au sanglier en forêt de Chantilly. Les chasseurs abattent 19 fois plus de sanglier qu’en 1973. LP/Arnaud Dumontier

    La pelouse à la française de l'esplanade des Invalides retournées, des cris et des grognements de (faux) sangliers à deux pas de l'Assemblée nationale… Les cochons sauvages ne sont pas rentrés dans Paris cette semaine, mais presque ! Il s'agissait en fait d'une manifestation d'agriculteurs venus de toute la France pour dénoncer les dégâts causés par le nouvel ennemi numéro un le sanglier.

    Les préfets autorisent pourtant les « prélèvements » du suidé depuis le 1er juillet. Mais entre agriculteurs et chasseurs, la tension monte alors que la réforme de la chasse doit arriver sur la table des députés en octobre. Ce dossier ultrasensible prévoit de responsabiliser les « mauvais élèves » en proposant que les sociétés de chasse mettent la main à la poche au niveau local sans l'aide de la fédération nationale. Côte agricole, c'est le syndicat majoritaire FNSEA qui avait négocié le montant des indemnisations. Les syndicats concurrents réclament plus.

    « Un problème ancestral »

    De la Meuse jusqu'à la Normandie en passant par le Var la situation est bien souvent dramatique : « Un problème ancestral mais d'année en année ça empire ! Ils détruisent et on subit », lâche, excédé, Mathis Bauman éleveur bovin et caprin dans les Vosges. Ses prairies sont sans cesse saccagées et il y a de plus en plus de terre dans le foin qu'il donne à ses vaches avec des risques de contaminer le lait.

    Selon les chasseurs, il y a 1 million de sangliers, plus de 4 millions selon les agriculteurs. « La vérité se situe dans cette fourchette, il y a peut-être 2 millions d'individus » indique Eric Baubet, de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS). Le comptage un à un est impossible, les prélèvements effectués permettent toutefois cette estimation. Tous s'accordent toutefois pour dire qu'ils pullulent aujourd'hui alors qu'on en tue dix-neuf fois plus qu'en 1973.

    Conséquences : des dégâts qui coûtent très cher aux paysans. L'année dernière, 30 millions d'euros de dégâts ont ainsi été indemnisés par les Fédérations de chasse.

    « On ne réclame pas tout, entre autres parce qu'avec le système des seuils, c'est un peu la loterie. Si on calcule que nos pertes sont en dessous, non seulement on ne verra pas un centime, mais il faudra en plus payer l'estimation. » Pour Dominique Giovani, chevrière à Lapoutroie (Haut-Rhin), l'enjeu n'est pas de récupérer quelques sous. « C'est notre travail qui est bousillé », insiste la jeune femme.

    Les chasseurs « ne font plus le boulot »

    Plus que les animaux sauvages, les agriculteurs mettent en cause les chasseurs qui « ne font plus le boulot » et préfèrent garder du gibier pour les week-ends en saison de chasse « quand il ne s'agit pas des sociétés privées qui nourrissent le gibier pour leur business ». En août, Christiane Lambert, la présidente de la FNSEA, avait sonné la charge. Elle dénonçait notamment de l'agrainage — le fait de donner du maïs aux cochons sauvages. « C'est un faux débat, balaie Thierry Coste, porte-parole de la Fédération nationale de la chasse (FNC). L'agrainage permet de fixer les sangliers en forêt, sinon on prend le risque d'avoir des populations éclatées et incontrôlables. »

    Tracteurs contre fusil. Cette guerre fratricide entre deux figures de la ruralité est-elle si étrange ? « Moins de 10 % des agriculteurs sont aujourd'hui des chasseurs, les nouvelles générations sont des entrepreneurs peu formés à la biodiversité pour qui toute la faune sauvage n'est qu'une source d'emmerdes », tacle Thierry Coste.

    La fièvre porcine africaine se répand

    « C'est à l'Etat de prendre ses responsabilités en organisant des battues administratives », réclame Laurent Thérond, viticulteur à Ménerbes (Vaucluse). Sous le patronage de Sébastien Lecornu, le gouvernement a justement lancé un comité de lutte contre les dégâts causés par du gibier. Objectif : diviser par deux les dégâts d'ici 3 ans. Le 28 septembre, les chasseurs ont fait un geste de bonne volonté. Leur patron, Willy Schraen, a appelé au coup de fusil général contre les sangliers.

    Il y a urgence, alors que la fièvre porcine africaine qui touche aussi bien les sangliers que leurs cousins les cochons d'élevage se répand. Très présente en Europe de l'Est (en Roumanie, on vient de tuer 100 000 bêtes), la maladie a été détectée en Belgique, près de la commune d'Etalle, à une dizaine de kilomètres de la France.

    L'AVIS DE L'EXPERT – Eric Baudet de l'ONCFS : « Les chasseurs ne veulent pas tuer la poule aux œufs d'or »

    1 million pour les chasseurs, 4 millions pour les agriculteurs combien y a-t-il de sangliers en France ?

    Eric Baudet. Nous ne savons pas compter un à un ces animaux. Nous nous appuyons sur les prélèvements par la chasse, et nous voyons bien que depuis trente ans, la population augmente. La vérité se situe dans cette fourchette, il y a peut-être 2 millions d'individus.

    Pourquoi le nombre de sangliers explose-t-il ?

    Il y a plusieurs explications. D'abord, les sangliers ont une démographie intense. Chaque année, les femelles mettent bas 5 ou 6 petits par portée. Même si sa portée est décimée par un chasseur par exemple, la femelle peut très vite se remettre en chaleur et de nouveau se reproduire. La gestion des chasseurs qui ne veulent pas tuer la poule aux œufs d'or favorise aussi à cette expansion. Ils épargnent souvent les laies qui mènent les compagnies, souvent les plus reproductives. On se demande par ailleurs si le réchauffement climatique en favorisant les productions de glands ne rend pas les femelles plus fertiles.

    Où sont ces cochons sauvages ?

    Surtout sur le pourtour méditerranéen et dans le quart nord est. Mais même dans ces régions, il faut penser en termes de points noirs très localisés, ces animaux se déplacent peu. Une femelle vit avec sa « compagnie » (jusqu'à 30 individus) dans un périmètre de 6 à 10 km². Les mâles solitaires ne dépassent guère un territoire de 20 km². Par ailleurs, les sangliers ont appris à se réfugier dans les zones périurbaines où l'on ne peut pas tirer ou les zones protégées comme les camps militaires interdits de passage humain.