« Ils m’ont dit : on pensait qu’il s’était calmé » : les agissements de l’abbé Pierre connus chez Emmaüs ?

La mémoire de l’homme d’Église, vénéré pour son engagement en faveur des plus démunis, est aujourd’hui entachée par des accusations d’agressions sexuelles de la part de plusieurs femmes.

    L’abbé Pierre tombe de son piédestal. Infatigable militant contre l’exclusion sociale et pour le logement des plus défavorisés, l’homme de l’appel de l’hiver 54, élu seize fois personnalité préférée des Français, fait l’objet depuis ce mercredi d’accusations d’agressions sexuelles, de sollicitations dérangeantes et/ou de gestes déplacés formulées par sept femmes qu’il a côtoyées des années 1980 jusqu’à 2005, deux ans avant sa disparition. Un rapport d’enquête, publié sur la page d’accueil d’Emmaüs France, détaille sur 8 pages les témoignages de ces dernières recueillis entre avril et juin derniers par un cabinet spécialisé.

    « Il a introduit sa langue dans ma bouche d’une façon brutale et totalement inattendue », témoigne une première, mineure au moment des faits puisque âgée de 16 ans, fille d’une famille proche de l’abbé. Plusieurs autres femmes, dont deux salariées d’Emmaüs International, racontent des attouchements soudains et répétés sur leurs seins. « Après il a continué à m’écrire, par courrier, à me téléphoner. Il disait vouloir me rejoindre », se souvient l’une d’entre elles, qui travaillait, en 1995, à un documentaire sur l’abbé Pierre.

    « Je n’étais pas la seule dans les secrétaires »

    La stupéfaction est évidemment énorme dans les rangs du mouvement et de ses trois branches, Emmaüs France, Emmaüs International et Fondation Abbé Pierre. La surprise n’est toutefois pas totale puisque, toujours selon les témoignages consignés dans le rapport, la « situation était connue de plusieurs personnes ». En 1992 par exemple, l’une des victimes informe les dirigeants de l’époque. « Ils m’ont dit on pensait qu’il s’était calmé et que je n’étais pas la seule dans les secrétaires. »

    « Personne, à ma connaissance, n’avait eu vent de ce type d’agissements, se défend pourtant Christophe Deltombe, président d’Emmaüs France de 2007 (année de la disparition de l’abbé Pierre) à 2013 et successeur de Martin Hirsch qui, sollicité, n’a pas souhaité s’exprimer. Nous savions, parce qu’il l’avait lui-même expliqué dans un livre, qu’il avait eu une vie et des besoins sexuels mais rien de cet ordre et de ces comportements évidemment condamnables. »

    Impossible pour l’heure de mesurer les conséquences de telles révélations sur l’avenir du mouvement Emmaüs, en particulier celui de la Fondation qui porte le nom, désormais lourdement entaché, de son fondateur. « Il n’est pas encore discuté d’un éventuel changement de nom de la fondation, confie-t-on au sein du mouvement. Cela devra être une question à débattre plus tard. » L’affaire rappelle celle qui a secoué les communautés de l’Arche d’accueil d’adultes handicapés après la mise en lumière des abus sexuels perpétrés par leur prêtre accompagnateur Jean Vanier, la volonté de transparence en moins. Une plate-forme a en effet été mise en ligne par Emmaüs afin de permettre à d’éventuelles autres victimes de témoigner à leur tour.