Scandale Orpea : le rapport du gouvernement est accablant pour le groupe d’Ehpad

Le rapport d’enquête administrative a été publié ce mardi. Ses conclusions sont très graves, car il confirme une certaine opacité d’un système, où la «performance financière» est au cœur de la gestion des Ehpad qui accueillent nos aînés.

Le rapport démonte notamment une mécanique d’optimisation bien huilée dans la gestion des Ehpad,. (Illustration) AFP/Loïc Venance
Le rapport démonte notamment une mécanique d’optimisation bien huilée dans la gestion des Ehpad,. (Illustration) AFP/Loïc Venance

    Documents financiers « insincères », excédents dégagés sur les dotations provenant de la branche maladie »… Le rapport d’enquête sur Orpea, attendu depuis des jours, est paru ce mardi 5 avril, après un jeu de ping-pong entre la direction d’Orpea et le gouvernement. Les 524 pages de l’enquête de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l’Inspection générale des finances (IGF) sur la gestion du groupe d’Ehpad sont accablantes, même si un certain nombre de passages ont été amputés à la suite du refus du groupe de lever le secret des affaires. Cette enquête administrative avait été ordonnée dans la foulée de la parution du livre enquête « les Fossoyeurs » de Victor Castanet.

    Que confirme-t-elle ? Que la « performance financière », en clair la maximisation des profits, s’exerce bien à tous les étages d’Orpea, fort de ses 228 établissements en France, 14 000 salariés et près de 27 400 résidents fin 2021. Les enquêteurs constatent clairement des dérives pouvant expliquer certains rationnements. Ce qu’a toujours nié sous serment son nouveau PDG, Philippe Charrier, devant le Sénat.

    Pour rappel, le chiffre d’affaires annuel dépasse 4 milliards d’euros en 2020 et Orpea encaisse chaque année 360 millions d’euros de financements publics, dont deux tiers provenant de la branche maladie de la Sécurité sociale et un tiers des conseils départementaux.

    20 millions d’euros d’excédent sur les dotations publiques

    Première entaille du rapport : sur la période 2017-2020, Orpea a dégagé 20 millions d’euros d’excédent sur les dotations versées par les pouvoirs publics pour prendre en charge les soins et la dépendance de ses résidents âgés. Ces excédents « ne font l’objet d’aucun suivi comptable précis », si bien qu’une partie pourrait, « le cas échéant », être « distribuée aux actionnaires », selon les inspecteurs.

    Deuxième anomalie : « Le processus budgétaire interne au groupe organise la mise en réserve d’une partie des forfaits soins reçus par les Ehpad », lit-on. Une cagnotte correspondant « à plus d’un mois de rémunération de l’ensemble des personnels des aides soignants ». Autrement dit, de l’argent qui aurait pu financer des postes supplémentaires, mais qui a été est mis de côté et « correspond à près d’un mois de rémunération de l’ensemble des personnels financés sur la section soins », note le rapport. Une « mise en réserve » de près de 14 millions en 2018, qui auraient « servi à des dépenses non conformes ou à la constitution d’excédents ».

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    Des établissements remplis à 103 %, 105 %, voire 110 %

    Les enquêteurs confirment aussi l’opacité des commissions versées par les fournisseurs sur les achats, requalifiées dans les comptes en remises de fin d’année (RFA), sujettes aussi à des « excédents non déclarés ». Le groupe conservait ces montants dans ses comptes, alors que les fournitures étaient intégralement financées par de l’argent public.

    Le rapport démonte une mécanique d’optimisation bien huilée dans la gestion des établissements. Une « organisation très centralisée et des modalités de management pouvant conduire à des dérives concernant notamment le respect des capacités d’accueil », avancent les enquêteurs.



    Selon plusieurs anciens dirigeants, Orpea remplissait certains de ses établissements à 103 %, 105 %, voire 110 % de ses capacités, l’objectif étant de créer un maximum de lits pour encaisser de l’argent public. Une pratique de dépassement de la capacité d’accueil identifiée dans le rapport auprès de 11 % des Ehpad du groupe en 2019. Il relève aussi des situations de suroccupation dans 25 Ehpad du groupe au détriment de la qualité d’accueil.

    Des « taux d’encadrement moyens inférieurs à ceux du secteur »

    Dans ce système, les directeurs d’établissement n’ont pas franchement les mains libres. Ils doivent faire un « reporting budgétaire quotidien pour respecter les objectifs fixés en matière de masse salariale, de résultat net ou encore de taux d’occupation », note les auteurs. Une pression qui pourrait expliquer le gros turn-over des directeurs d’exploitation (entre 10 et 15 % par an). Des primes semestrielles pouvant atteindre 6000 euros sur l’année ainsi qu’un bonus récompensent aussi la performance financière, précise le rapport.

    Des pratiques d’optimisation qui éclairent aussi un autre point du rapport : « un manque de moyens humains ». Orpea « présente en 2019 des taux d’encadrement moyens inférieurs à ceux du secteur », avec, en 2019, 61,6 salariés pour 100 lits, contre 62,1 en moyenne. « Un taux qui affecte la qualité de prise en charge », estime les enquêteurs.

    Le gouvernement a annoncé le 26 mars qu’il allait porter plainte contre le groupe Orpea « au regard de dysfonctionnements graves ».