Casses du siècle : en 1996, le braquage d'un avion à Perpignan

LE PARISIEN MAGAZINE. Août 1996, un Airbus d’Air Inter est figé sur le tarmac de l’aéroport de Perpignan. Des malfaiteurs bloquent l’avion avec deux véhicules, pénètrent dans la soute, et repartent deux minutes et demie plus tard avec l’équivalent de 670 000 euros.

Aéroport de Perpignan- Rivesaltes, mardi 13 août 1996. L'Airbus A320, vol IT 5243 d'Air Inter Europe, se pose sans encombre, et même avec un peu d'avance sur l'horaire prévu. Il est 18 h 15. L'appareil, parti d'Orly Ouest avec 167 passagers à bord, commence la manoeuvre pour rejoindre l'aérogare. Il ralentit en bout de piste. Certains passagers ont déjà détaché leurs ceintures. C'est alors que Vincent Roy, le commandant de bord, aperçoit un fourgon et une fourgonnette, gyrophares allumés sur le toit, qui progressent vers la piste, sur sa gauche. A toute allure. La manoeuvre est inhabituelle, aucun véhicule n'est admis dans cette zone lors de la phase délicate d'atterrissage. Le pilote questionne la tour de contrôle. Son interlocuteur est incapable de lui répondre. Vincent Roy comprend très vite. « Je crois qu'on va être attaqués », dit-il. Le premier véhicule, un Renault Express blanc, se place à l'arrière de l'Airbus tandis qu'un Citroën Jumper vert s'arrête contre le train avant de l'avion, empêchant tout mouvement.

Deux individus en cagoule, vêtus de noir, en sortent, fusils-mitrailleurs entre les mains. Ils communiquent avec des talkies-walkies. Soudain, le plus grand effectue un tir de semonce. Une balle se fiche dans le nez de l'Airbus, à hauteur du cockpit. Le commandant Roy prend alors le micro pour adresser ce message surréaliste aux passagers : « Mesdames et messieurs, gardez votre calme. Des hommes s'intéressent à ce que nous avons à bord, et comme ils sont armés, nous devons attendre. » En contrebas, le plus petit des deux braqueurs déroule une banderole portant une inscription en grosses lettres rouges : « Coupe tes moteurs et ouvre la soute. » Le pilote obtempère. Un troisième homme sort, du Renault Express cette fois, se hisse sur le toit de la fourgonnette et déploie une échelle pliante sous la soute. Il se glisse à l'intérieur quelques instants, puis réapparaît avec deux sacs en toile plastifiée du convoyeur de fonds Brink's. A 18 h 20, les fourgons quittent le tarmac. L'action a duré deux minutes et trente secondes. Un braquage digne d'un film hollywoodien.

« J'ai pensé un instant à une action terroriste »

Un utilitaire bloque l'avion tandis qu'un braqueur brandit une banderole à l'attention du pilote. (Titwane pour Le Parisien Magazine)

A bord, personne n'a paniqué. Odile, la chef de cabine, a tout de suite compris que quelque chose clochait. Elle le dit au Parisien, dans un article publié le 15 août 1996. « Pendant une fraction de seconde, j'ai pensé à une action terroriste, à une prise d'otages », raconte-t-elle. L'attaque terroriste de l'avion d'Air France entre Alger et Marseille-Marignane, en décembre 1994, est encore dans tous les esprits. L'hôtesse a gardé son sangfroid. « J'ai éloigné des hublots les huit . mineurs non accompagnés dont j'avais la charge et j'ai fait de même avec les familles qui avaient des enfants jeunes, confie-t-elle. Il fallait éviter tout dérapage, les mettre à l'abri d'une balle perdue. Comme l'avion était plein, nous ne pouvions intimer l'ordre à tous les passagers de s'éloigner des hublots. Mais à part l'équipage, seule une dizaine de personnes ont pu voir quelque chose. J'ai aperçu furtivement les hommes en cagoule et armés. »

Alertés, des gendarmes de la brigade de Rivesaltes arrivent. Ils ont quasiment croisé le commando, selon le préfet des Pyrénées-Orientales Bernard Bonnet qui ajoute : « A dix ou vingt secondes près, les auteurs de ce hold-up auraient été interceptés. » Le plan Epervier est lancé. C'est bien inutile, le gang est déjà à l'abri. Ses membres ont abandonné le Renault Express à un portail d'accès à l'aéroport, dont la chaîne a été sectionnée, et laissé le Citroën dans un champ, près d'un panneau « Aérodrome. Accès interdit. » Des voitures-relais attendaient les braqueurs. Les sacs de la Brink's étaient remplis de pesetas, une somme équivalente à 4,4 millions de francs (environ 670 000 euros). Soit presque 30 kilos de billets destinés aux opérations de change des succursales perpignanaises de deux banques espagnoles. « On a affaire a du gros gibier, commente alors un policier. C'est une affaire menée de main de maître. » Pour les enquêteurs, peu d'équipes sont capables de réaliser un coup pareil. La synchronisation, excellente, signe une préparation rigoureuse : les braqueurs ont franchi l'accès technique à l'aéroport au dernier moment. Il y avait probablement entre dix et douze gangsters mobilisés.

Pas d'empreinte digitale exploitable

Le Renault Express abandonné livre toutefois un détail qui mobilise la police judiciaire des semaines durant : un revolver Smith & Wesson 357 Magnum chargé y a été oublié. « On a pu déterminer que ce flingue avait été volé à des douaniers à la frontière belge, nous confie un enquêteur de l'époque. C'est un gros truand qui avait fait le coup. On a bossé à fond sur cette piste. »

Sans aboutir. Les policiers font d'autres découvertes, comme une munition de Kalachnikov tombée sur la piste. Mais il n'y a pas une seule empreinte digitale exploitable. Toutefois, à une époque où les malfaiteurs ne brûlent pas encore leurs véhicules de « travail », pas moins de quatre ADN sont prélevés. Il reste encore à identifier leurs propriétaires. Les policiers ont déjà leur petite idée. Les spécialistes du banditisme français se mobilisent et font fi, pour une fois, des rivalités entre services. Mais ils ne sont pas toujours aidés. « Alors que nous faisions des planques autour de deux suspects, le préfet Bonnet fait une déclaration malencontreuse, se souvient un ancien de l'Office central pour la répression du banditisme. Il explique que l'enquête sur l'attaque de l'Airbus a bien avancé, que les auteurs sont identifiés et qu'ils vont bientôt être interpellés. Ça a été la fin de tout ! Les types sont devenus intenables. On est revenus à notre hôtel, on a fait nos sacs. Ce n'était plus la peine de continuer. »

Selon les enquêteurs, peu d'équipes sont capables de réaliser un coup pareil, avec probablement de dix à douze gangsters

Une Dream Team du braquage

Karim Maloum, Daniel Bellanger et Michel Crutel (de g. à dr.), bien que soupçonnés d'être impliqués dans le vol à main armé d'un Airbus A320, n'ont jamais été poursuivis en justice. (Titwane pour Le Parisien Magazine)

Les écoutes téléphoniques et les filatures permettent tout de même d'établir des liens entre les supposés membres d'un « groupe soupçonné d'avoir pu participer » à une série de vols à main armée « contre des convoyeurs de fonds et valeurs ». Le gang avait opéré à Limoges, fin 1996, à Courbevoie en mai 1997, ou encore à Vert-le-Grand, dans l'Essonne, fin 1997. Selon un rapport de police, l'équipe « s'articulait autour d'un noyau dur, composé de Daniel Bellanger, son chef, Michel Crutel, Bruno Celini, Karim Maloum, Jean-Jacques Naudo et Daniel Merlini, ainsi que Gérard Allain et Christian Oraison », plus quelques comparses. En Espagne, où elle a aussi sévi, on l'a baptisée la « Dream Team » du braquage, l'« équipe de rêve ». Interpol lui décerne même le titre de « bande criminelle la plus dangereuse d'Europe ». La plupart de ses membres tomberont en décembre 2000, après l'attaque de deux fourgons blindés à Gentilly (Val-de-Marne). Mais à Perpignan, il faut attendre 2010 et l'utilisation d'une nouvelle méthode d'analyse de l'ADN pour que le dossier progresse, car les braqueurs avaient laissé tomber une casquette kaki tachée de sueur sur le tarmac, et des mégots ont été retrouvés dans le cendrier d'une voiture-relais. Un « régional de l'étape », Jean-Jacques Naudo, ancienne star du rugby au sein du XIII Catalan et de l'équipe de France, en fait les frais. Le quinquagénaire, devenu artiste peintre, est arrêté, mis en examen mais laissé libre. Il bénéficiera d'un non-lieu quatre ans plus tard, en 2014. Son avocat, Me Denis Giraud, a plaidé avec succès la thèse de l'ADN « transportable » qui « ne garantit pas la présence de la personne à l'endroit où il a été collecté ». Dans des affaires similaires, des procès d'assises ont débouché sur des acquittements. Vingt et un ans après les faits, élucider « l'aérobraquage » de Perpignan semble hypothétique. En tout cas judiciairement.

SERIE D'ETE : Les casses du siècle