Viry-Châtillon, retour sur l’attaque qui a révolté la police

LE PARISIEN WEEK-END. Le soir du 8 octobre 2016, en banlieue parisienne, quatre policiers sont violemment attaqués par des jeunes. Un an après, la colère gronde toujours dans les rangs des forces de l’ordre. Retour sur une nuit terrible.

    Des ombres qui se faufilent d'unpas rapide, avec des bouteilles à la main et des pierres. La scène est furtive mais les images sont suffisamment nettes pour dénombrer dix-neuf personnes. Le groupe d'assaillants a été filmé alors qu'il progressait vers la route de Fleury et l'avenue de la Forêt, à Viry-Châtillon, dans l'Essonne. C'était le 8 octobre 2016. Cette discrète caméra, placée par un service de police judiciaire, a filmé presque par hasard un moment clé du drame qui a secoué la police il y a un an. Des images déterminantes qui ont été versées au dossierd'instruction. Ce samedi après-midi, vers 15 heures, quatre policiers sont postés dans deux véhicules garés devant des pavillons. Ils ont pour mission de protéger une autre caméra de surveillance, bien visible celle-là, sur la départementale 445. Elle culmine à plus de 5 mètres de hauteur, sur un mât d'éclairage. Des plots métalliques arrimés au sol juste devant doivent empêcher une voiture bélier de l'arracher. Quelques jours plus tôt, une camionnette a été lancée contre le mât, puis incendiée. Alors on a employé les grands moyens : de gros blocs de bétonblanc ont été placés autour du réverbère et des voitures de police, postées à une trentaine de mètres.

    Déjà des tirs au fusil de chasse

    A bord de la fourgonnette Renault Kangoo, il y a Jenny et Vincent. A quelques mètres sur leur droite, dans une Peugeot 308, Sébastien et Virginie. Ils viennent des commissariats de Juvisy, Savigny-sur-Orge et Athis- Mons. En face d'eux, de l'autre côté de la départementale, la cité de La Grande Borne. Une enclave de plus de 3 500 logements pour 11 000 habitants,souvent pauvres. Coincée le long de l'autoroute du Soleil, La Grande Borne est faite de zones piétonnes destinées, à l'origine, à protéger les enfants des voitures. Dans des secteurs qui portent bien leurs noms : le Labyrinthe, le Dédale, ou la Serpente... Une cité particulièrement sensible. En 2011, un fourgon de CRS a essuyé des coups de feu. Fusil de chasse et munitions pour sanglier. En 2012, deux policiers de la BAC ont été touchés au visage par du plomb de chasse. Ils intervenaient pour une rixe.

    Les jeunes ont très vite fui les lieux, laissant derrière eux une colonne de fumée visible dans toute la ville. (Titwane pour Le Parisien Week-End)

    Une attaque préméditée

    Par la suite, certains des jeunes résidents de La Grande Borne ont multiplié les attaques contre les automobilistes de passage sur la D445. Des« vols à la portière » : vitre brisée, sac à main volé. D'où la « garde statique » et les policiers stationnés en face du grand ensemble. « C'est l'endroit où il ne faut pas être, tout le monde le sait, tonne aujourd'hui encore Fabien Lefèbvre, responsable du syndicat Unsa police dans l'Essonne. On est systématiquement pris à partie. On avait deux pauvres véhicules pas équipés. C'est de l'inconscience ! » Car la bande de la Serpente avait décidé, ce 8 octobre, d'en finir avec ceux qu'elle considère comme des intrus sur son territoire.

    Les assaillants se sont réunis la veille pour préparer leur coup avec minutie. Ils ont pris soin de traverser la départementale en amont, vers la caserne de pompiers, pour ne pas se faire repérer. Ils arrivent dans le dos des policiers. C'est d'abord un gros « boum », sur le Kangoo. Une pierre qui fait voler en éclats le pare-brise. Des cocktails molotov sont enflammés et jetés dans la fourgonnette, sur les genoux des policiers qui encaissent une pluie de coups. « Ça arrivait de partout. Ils essayaient vraiment de les mettre K.-O. pour qu'ils restent dedanset qu'ils brûlent », témoignera le mari de Jenny à la télévision. Les assaillants bloquent les portes de tout leur poids. Quand ils lâchent enfin, les policiers s'extirpent du brasier, encore sous les coups. Presque simultanément, la 308 s'embrase à son tour. « On entend un énorme impact sur notre gauche, racontera Sébastien à RTL. On se retourne vers le véhicule, on voit des flammes, des individus et, dans les secondes qui suivent, ils fondent sur nous. Les vitres éclatent, des "boum" partout. Ma collègue reçoit des coups de poing, des projectiles. » Sébastien se rue ensuite au secours de Vincent, qui brûle sous ses yeux. Il hurle à son « petit collègue », de lever les bras pour lui enlever son polo. Puis il se couche sur lui. « Ensuite, j'ai tapé partout où il y avait encore des flammes sur son corps. »

    Restes de cocktail molotov, projectiles… Des « cavaliers » numérotés répertorient les pièces à conviction sur les lieux du crime. (Titwane pour Le Parisien Week-End)

    Partout en France, la police se mobilise

    Les jeunes ont déguerpi depuis longtemps. Ils laissent derrière eux une colonne de fumée visible à des kilomètres, et quatre policiers en état de choc. « J'ai compris qu'on voulait vraiment nous tuer », dira encore Sébastien, qui est brûlé au deuxième degré. Le feu a touché Vincent et Jenny au visage et aux mains encore plus gravement. Le pronostic vital de Vincent est « engagé », pendant plusieurs jours. On le place en coma artificiel pour atténuer ses souffrances. Il s'en sortira défiguré.

    Depuis sa chambre de l'hôpital Saint- Louis, à Paris, Jenny entend une Marseillaise s'élever. Dehors, des centaines de policiers sont rassemblés. Après le choc, c'est la stupeur, puis la colère qui explose. Dans l'Essonne, et partout en France, tant cette agression choque les fonctionnaires. Pendant des semaines, ils se mobilisent à Paris, Marseille, Lyon, débordent leurs syndicats et défient leur hiérarchie à coups de manifs sauvages, sirènes hurlantes. Jusqu'à l'Elysée. Le Premier ministre, Manuel Valls, se rend le surlendemain sur les lieux : « L'autorité de l'Etat sera assurée. Il n'y a pas de zone de non-droit », promet- il aux policiers de Viry-Châtillon. Le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, annonce un plan d'urgence de 250 millions d'euros pour permettre à la police de faire face à de telles attaques (couvertures anti-feu, voitures neuves, effectifs supplémentaires), mais peine à calmer les esprits. Un an après, la tension est toujours là.

    « L'autorité de l'Etat sera assurée. Il n'y a pas de zone de non-droit », Manuel Valls, Premier ministre, le 10 octobre 2016. (Titwane pour Le Parisien Week-End) 

    Quinze jeunes mis en examen

    Patiemment, les enquêteurs de la sûreté départementale de l'Essonne récoltent témoignages, vidéos prises avec des téléphones portables, dont une séquence enregistrée par la PJ elle-même. Il y a encore des écoutes téléphoniques et un épuisant porteà- porte : plus de 900 habitants sont entendus. Seules les informations données par un indic, confirmées par un témoin sous X, permettent de resserrer le filet sur des suspects.

    Trois mois plus tard, en janvier 2017, les enquêteurs arrêtent dix-sept jeunes gens, âgés de 16 à 21 ans. Quinze d'entre eux sont mis en examen dont douze sont toujours en détention provisoire. Mais difficile de déterminer qui a lancé les engins incendiaires.

    « On s'en moque, lance Me Thibault de Montbrial, l'avocat de Jenny. Dans les violences en bande, quand il n'y a pas de preuve formelle contre l'un des membres, tous encourent la même peine. On appelle ça la co-action. » Jenny a obtenu sa mutation en Bretagne, où elle travaille désormais près de son mari et de ses trois enfants. « Elle ne va pas bien, confie son avocat. Elle est très marquée psychologiquement et physiquement. C'est une agression animale ! Elle a été frappée pendant qu'elle brûlait vive. » Sébastien lui aussi a repris le travail, en Charente-Maritime. Depuis peu, il retourne en patrouille. Après une série d'opérations de greffe de peau, Vincent a pu quitter les urgences. Il est toujours en rééducation et n'en a pas fini avec les greffes. Il a été titularisé gardien de la paix. Quant à la caméra de surveillance, elle est toujours là. La tension semblait être retombée à La Grande Borne. Jusqu'au 5 octobre dernier. Deux frères, âgés de 26 et 28 ans, ont été tués par balles dans la cité. Un règlement de comptes. Un an après, rien ne semble donc avoir vraiment changé.