Risque de saturnisme dans les Yvelines: le dépistage des enfants n’aura pas lieu

Après un siècle d’épandage des eaux usées, plusieurs plaines du département présentent des taux de concentration en plomb largement supérieurs à la normale.

 La plaine d’Achères compte parmi les trois anciennes zones d’épandage des eaux usées, aujourd’hui polluées par le plomb.
La plaine d’Achères compte parmi les trois anciennes zones d’épandage des eaux usées, aujourd’hui polluées par le plomb.

    Dix ans après, l'épandage des boues et eaux usées parisiennes marque toujours des milliers d'hectares dans les Yvelines. Pendant un siècle, les plaines de Triel-sur-Seine - Carrières-sous-Poissy et Achères ont servi d'égouts à la capitale - au même titre que celle de Pierrelaye, dans le Val-d'Oise. Si les programmes immobiliers ont empiété sur ces terres polluées au fil des dernières décennies, le sol regorge toujours de plomb.

    Une étude, publiée cette semaine par Santé Publique France (SPF), relève des taux de concentration jusqu'à cinq fois supérieurs au seuil auquel on considère qu'il existe une « pollution anthropique » (53,7 mg/kg), à proximité d'écoles. Saisi par l'Agence régionale de santé (ARS), SPF conclut « qu'il n'est pas possible d'exclure la survenue d'un effet sanitaire en lien avec la présence de plomb dans les sols pour les enfants de 0 à 6 ans du site ». L'organisme public préconise ainsi « la mise en œuvre de mesures de réduction du risque sanitaire » et se montre favorable à une « incitation au dépistage du saturnisme infantile ». Les 13 000 enfants qui habitent les zones concernées ne sont pourtant pas près d'être diagnostiqués.

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    A Achères, où se situent des établissements scolaires parmi les plus contaminés en plomb (190 mg/kg au lycée Louise-Weiss), le maire appelle à « garder la raison » face à une situation « loin d'être une découverte ». Avouant quand même être « tombé des nues » face aux conclusions du rapport de SPF, Marc Honoré (LR) n'envisage pas de dépistage généralisé de ses plus jeunes administrés. « Les premières études datent de 2008, on n'est pas à dix jours près, estime l'élu. Je ne vais pas mettre la panique générale et embouteiller les cabinets de nos médecins. » De l'autre côté de la Seine, à Carrières-sous-Poissy, la mairie a déjà décidé de « décaisser » la terre des écoles. 50 à 70 cm seront retirés pour laisser place à un sol plus propre.

    La préoccupation toute relative qui a suivi la publication du rapport de SPF n'a pas manqué de soulever la colère des associations environnementales. « Ce serait irresponsable de ne pas mettre en place un dépistage généralisé, s'indigne Anthony Effroy, président de Rives de Seine Nature Environnement et conseiller municipal d'opposition de Carrières-sous-Poissy. Il faut agir avant que ces terres ne deviennent des no man's land. »

    Interrogées, les mairies concernées et la préfecture chargent l'ARS de décider - ou non - d'un dépistage du saturnisme. La grande campagne de test n'aura visiblement pas lieu. « Rien ne justifie un dépistage généralisé, annonce Marc Pulik, délégué départemental à l'ARS. Le risque sanitaire ne peut pas être exclu, mais il faut une prise en charge individualisée et ciblée des enfants. Les médecins y sont préparés. »

    L'enquête de SPF souligne pourtant que les professionnels de santé « n'ont pas tous fait l'objet d'une sensibilisation spécifique au risque d'exposition par les anciens épandages ». De plus, les symptômes du saturnisme sont souvent difficiles à détecter chez l'enfant. Pour Anthony Effroy, c'est certain : « des cas sont passés entre les mailles du filet ».

    POUR PHILIPPE GLORENNEC, PROFESSEUR DE L'ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SANTÉ PUBLIQUE (EHESP), « IL Y A UN RISQUE QUE LES ENFANTS SOIENT CONTAMINÉS »

    Professeur de l’EHESP, Philippe Glorennec conseille le dépistage des enfants, « avant qu’ils n’atteignent pas des taux de plomb trop élevés ». DR.
    Professeur de l’EHESP, Philippe Glorennec conseille le dépistage des enfants, « avant qu’ils n’atteignent pas des taux de plomb trop élevés ». DR.

    Philippe Glorennec est professeur de l'École des hautes études en santé publique (EHESP) de Rennes (Ille-et-Vilaine). Il recommande un dépistage du saturnisme, même en l'absence de « risque mortel ».

    Certains établissements scolaires présentent des taux de concentration en plomb cinq fois supérieurs au seuil de contamination…

    PHILIPPE GLORENNEC. Les données sont au-dessus de la moyenne, mais elles ne sont pas extraordinaires. On ne retrouve pas les taux qui ont pu être parfois relevés sur des sites industriels, d'anciennes fonderies par exemple.

    Quels sont les effets d'un tel niveau de concentration en plomb sur les enfants ?

    Les conséquences sur leur santé dépendent de leur comportement : celui qui a tendance à jouer par terre et mettre ses mains à la bouche sera plus exposé. [Sur les sites étudiés], il y a un risque que les enfants soient contaminés. Il faut vérifier par une prise de sang. C'est le seul moyen pour détecter les enfants éventuellement touchés, et les aider avant qu'il ne soit trop tard.

    Pourquoi les enfants sont-ils plus vulnérables face au plomb ?

    Souvent au sol, à quatre pattes, ils sont plus susceptibles d'ingérer des particules de terre que leurs parents. De plus, leur organisme absorbe davantage le plomb. A quantité égale [de plomb], l'enfant est plus vulnérable : son système nerveux, encore en développement, y est plus sensible.

    Quelles peuvent être les conséquences des concentrations relevées sur leur santé ?

    Les symptômes ne sont pas vraiment visibles. On n'est pas sur un risque mortel. Mais certains pourraient connaître des soucis auditifs ou la perte de quelques points de QI. D'où l'importance du diagnostic [du saturnisme] : il faut faire des vérifications pour que les enfants n'atteignent pas des taux de plomb trop élevés.