Comment Versailles a stimulé l’imaginaire du réalisateur Éric Toledano

Le réalisateur d’« Intouchables » et « Samba » a grandi dans la cité royale, où il s’est forgé une solide culture cinématographique.

 Le réalisateur, ici à Roland Garros au printemps dernier, aime Versailles, une ville qui l’inspire.
Le réalisateur, ici à Roland Garros au printemps dernier, aime Versailles, une ville qui l’inspire. LP/Arnaud Journois

    Comme Woody Allen, le cinéaste new-yorkais, Éric Toledano nourrit une passion pour Versailles, la ville où il a passé une « jeunesse heureuse, chaleureuse et sympathique ». Il ne refuse jamais une invitation pour s'y rendre. Comme le 26 juin dernier, lorsqu'il présente, en avant-première, son dernier long-métrage, « Hors normes », lors de l'inauguration de l'UGC Parly 2 au Chesnay.

    « Pour chacun de ses films, il m'a accompagné dans les salles que j'ai dirigées, à Paris et ailleurs, s'enthousiasme David Brisson, le directeur du cinéma de Parly 2. Je lui ai même prêté la salle du Cyrano à Versailles pour un documentaire. C'était important pour lui. Éric Toledano aime échanger avec le public. Une personne comme lui fait du bien au cinéma français. »

    Il grandit dans le quartier Porchefontaine

    Né à Paris en 1971, Éric Toledano débarque dès l'âge de trois ans avec ses parents dans le quartier Porchefontaine. Pratiquement 50 ans plus tard, sa soeur vit encore à Versailles. Il y conserve de solides amitiés et y fait des rencontres essentielles. En 1995, lors d'un rassemblement d'animateurs de l'association Yaniv au Chesnay, un certain Olivier Nakache croise sa route. Le duo de cinéastes, le plus célèbre du cinéma français, se forge à cet instant.

    L'expérience des colonies de vacances, commune aux deux hommes, sera au centre de leur deuxième long-métrage « Nos jours heureux », réalisé en 2006, à propos duquel Toledano déclare : « Pour Olivier, comme moi, ce film a une place particulière. Il raconte une partie de nos vies. Pendant vingt ans, nous avons été successivement pensionnaires, animateurs et directeurs de centres de vacances. »

    À Porchefontaine, le garçonnet grandit dans cet entre-deux, « ni bourgeois ni populaire ». L'adolescent prend ses marques dans cette « matrice versaillaise », ce « millefeuille » social dans lequel il avoue s'être « toujours » senti « très à l'aise ». « C'est un peu ce que j'ai envie de raconter dans mes oeuvres. D'ailleurs, j'aime autant me rendre dans des cinémas de banlieue qu'au festival de Cannes », confie-t-il.

    « Dans le cinéma, on parle toujours de son enfance »

    Quelques années plus tard, le voici scolarisé au collège Raymond-Poincaré dans le quartier de la gare des Chantiers où transitent des milliers de banlieusards. En avril 2018, le réalisateur retourne sur ses bancs dans le cadre de l'opération « Un artiste à l'école ».

    « Je suis très heureux d'être là. À l'époque, j'étais comme vous, de l'autre côté. Dans le cinéma, on parle toujours un peu de son enfance. Le processus artistique part de là. J'ai réalisé un rêve et ça, tout le monde peut le faire », lâche-t-il face à une poignée d'adolescents versaillais qui boivent ses paroles. Surtout quand il détaille le making-of de la scène cultissime de la poursuite en voiture d'« Intouchables » où François Cluzet mime un malaise pour sauver Omar Sy des griffes de la police.

    En avril 2018, le réalisateur est de retour au collège Raymond-Poincaré./LP/L.M.
    En avril 2018, le réalisateur est de retour au collège Raymond-Poincaré./LP/L.M. LP/Arnaud Journois

    Plus tard, il fréquente le lycée Marie-Curie, plus huppé. Mais déjà, le cinéma, sa « fenêtre sur le monde », le happe. « Quand je vais dans une salle, j'ai l'impression de rentrer dans le ventre de ma mère », conte-t-il joliment. Ce « ventre » à Versailles, ce sera d'abord le Cyrano puis le Roxanne, les deux cinés du centre-ville à la programmation très éclectique.

    Il dévore : du « Grand Bleu » à « 37,2° le matin », aux comédies italiennes en passant par Sautet, les cycles de reprise et, bien sûr, tout Woody Allen, son idole.

    Solitaire et habitué de la séance de 22 heures, ses séances ciné sont parfois cocasses. Un soir d'hiver, au début des années 90, il visionne « The Player », l'excellent (et long) film de Robert Altman. Éric s'endort. « Je me suis réveillé à 3 heures du matin. Tout le monde m'avait oublié. Et, en sortant, ma moto ne voulait pas démarrer. Il faisait un froid de gueux, genre - 10 °C. Je suis rentré à pied », s'amuse-t-il.

    De Versailles, dont il connaît tous les recoins, il prend le goût de marcher dans les villes, « s'invente des histoires » dans sa tête en flânant dans les rues. « Quand je suis à New York ou Amsterdam, je ne suis pas du genre à traverser la ville en taxi, rivé sur mon portable. Je préfère de loin déambuler à pied pour sentir une atmosphère. »

    Plus tard, dans la foulée du triomphe d'« Intouchables » et « Samba », beaucoup de journalistes font le rapprochement entre lui, venu de Versailles, et Omar Sy, de Trappes. « Après le film, on s'est rendu compte qu'on avait assisté au même concert de reggae à Plaisir quand on était plus jeune. Lui, c'était la banlieue, moi Porchefontaine… »

    Première rencontre avec Depardieu

    Gérard Depardieu, ici dans le premier long-métrage d’Éric Toledano./M 6/Studio Canal
    Gérard Depardieu, ici dans le premier long-métrage d’Éric Toledano./M 6/Studio Canal LP/Arnaud Journois

    Certains rendez-vous à Versailles sont prémonitoires pour Éric Toledano. En 1987 (il a 13 ans), sa classe assiste à la représentation d'une pièce de Molière au théâtre Montansier. La rumeur colporte que le film « Camille Claudel » serait en tournage dans les coulisses avec Gérard Depardieu. Éric est sur le qui-vive. Soudain, le célèbre acteur apparaît au balcon et observe la salle. Les collégiens sont stupéfaits.

    En sortant, Éric fouine un peu et découvre les camions de tournage qui prouvent bien que le film se fabrique sur place. « En rentrant à pied chez moi, je me suis mis à rêver qu'un jour, je tournerais un film avec Gérard Depardieu. Plus tard, je l'ai rencontré et c'est même lui qui m'a permis de financer mon premier film (NDLR : « Je préfère qu'on reste amis » en 2005). Je lui ai raconté cela. Il a souri mais a très bien compris ce que je voulais dire. Je crois en ce genre d'histoires et la puissance de certains rêves qui se réalisent ».