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La Chine peut-elle s’approprier la face cachée de la Lune ?

Le commandant Dave Scott et la Jeep lunaire, lors de la mission Apollo 15.
Le commandant Dave Scott et la Jeep lunaire, lors de la mission Apollo 15. © Nasa
Camille Hazard

Pour la première fois, un engin spatial chinois vient de rapporter sur Terre des échantillons de la face cachée de la Lune. Mais derrière cet exploit, se cache le spectre de la course à l’exploration et l’appropriation de notre satellite naturel.

"Cela marque le succès complet de la mission » et « le premier retour sur Terre d'échantillons de la face cachée de la Lune ». Dans son communiqué de presse daté du 25 juin, l’Agence spatiale chinoise se félicite. Et à raison. La Chine est le seul pays à avoir rapporté des échantillons lunaires depuis un endroit où aucun humain n’est jamais allé. Une prouesse technique pour laquelle les ingénieurs ont dû utiliser un orbiteur relais. Car, comme son nom l’indique, la face cachée de la Lune n’est pas visible depuis la Terre.

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C’est dans le bassin du pôle Sud-Aitken que l’atterrisseur chinois a transpercé le sol et déployé un drapeau rouge. « Chang’e 6 a peut-être ramassé des échantillons qui proviennent du manteau lunaire. Si c’est le cas, on devrait en savoir davantage sur l’histoire de la formation et l’évolution de la Lune », avance Francis Rocard, en charge des programmes d'exploration du Système solaire au sein du Centre national d'études spatiales (Cnes). Reste maintenant à savoir qui va s’occuper de l’analyses de ces cailloux. Car, la bataille pour le contrôle des ressources spatiales se joue aussi sur le terrain juridique, et principalement au niveau international autour d'une question déjà ancienne : peut-on s'approprier les ressources spatiales ?

L'étage supérieur de Chang'e 6 est retourné sur Terre, le 25 juin, avec à son bord des échantillons de la face cachée de la Lune.
L'étage supérieur de Chang'e 6 est retourné sur Terre, le 25 juin, avec à son bord des échantillons de la face cachée de la Lune. © CNSA

Le Traité de l'espace de 1967, principal instrument du droit spatial international, livre un premier élément de réponse, dans son article II. « L'espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, ne peut faire l'objet d'appropriation nationale par proclamation de souveraineté, ni par voie d'utilisation ou d'occupation, ni par aucun autre moyen », peut-on lire. On pourrait alors se dire que la question est tranchée, mais, en réalité, il ne dit rien des ressources qui pourraient en être tirées. Il faut dire que la question ne se posait pas vraiment quand le traité a été rédigé en pleine Guerre Froide. L’exploration des ressources spatiales était encore une perspective bien lointaine.

Ce sont les États-Unis qui ont choisi de prendre les devants, en 2015, avec le SPACE Act, signé de la main de Barack Obama. Lassé de la lenteur des discussions internationales sur le sujet, les Américains ont posé un texte unilatéral pour décider de la finalité des ressources spatiales. Il dit qu’un citoyen américain, engagé dans l'exploitation commerciale d'une ressource astéroïdale ou d'une ressource spatiale, a le droit de posséder, de transporter, d'utiliser et de vendre la ressource obtenue. « Si l'on se fie au SPACE Act, on n’est pas propriétaire de la zone d’extraction mais on devient propriétaire de ce qui a été extrait », explique Francis Rocard.

Le retour des hommes sur la Lune avec le programme Artemis

Les Américains sont allés encore plus loin, en 2022. Avec leur ambition de remarcher sur la Lune -et un jour sur Mars- via leur programme Artemis, ils ont écrit un nouveau texte, cette-fois bilatéral, baptisé « Accords Artemis ». Ces accords, qui constituent un engagement politique plus qu'une obligation juridique, établissent une série de principes, de lignes directrices et de bonnes pratiques. Le paragraphe 10, consacré aux ressources spatiales, reprend l'esprit du SPACE Act, tout en évitant de faire expressément référence aux notions d'« appropriation » ou de « possession ». L'exploitation à des fins commerciales est non seulement autorisée, mais aussi présentée comme compatible avec le Traité de l'espace de 1967 et les négociations à l'ONU, et plus généralement comme source de progrès pour l'humanité tout entière.

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« Les Accords encadrent aussi la notion de "zones protégées". Le premier qui arrive à un endroit est prioritaire dans la zone sur laquelle il se trouve », précise M. Rocard. La Nasa et les Américains sont très soucieux des sites Apollo où se trouvent encore les engins spatiaux des anciennes missions. « Ils sont considérés comme des sanctuaires que l’on ne peut pas toucher. Les États-Unis le disent haut et fort : les autres nations sont invitées à se poser ailleurs », poursuit l’astrophysicien. À l’heure actuelle, une quarantaine de pays ont signé les accords Artemis, dont la France. Pas La Russie ni la Chine.

Vers une guerre des ressources ?

Reste à déterminer les zones les plus intéressantes pour se poser lors de futures missions habitées. La Chine a considérablement développé ses programmes spatiaux depuis une trentaine d'années, injectant des milliards d'euros dans ce secteur afin de rattraper ses rivaux américains. Et elle a aussi l’intention de bâtir une base lunaire.

Comme le souligne la géographe Isabelle Sourbès-Verger, « l'installation d'une base lunaire, prévue pour après 2025, voire à plus longue échéance d'une base martienne, est indissociable de la question de l'exploitation des ressources in situ, de même que celle de l'exploitation minière des astéroïdes ».

Sont-ils la clé ? « Il existe un fantasme autour des ressources. À l’heure actuelle, il n’existe pas de minerais intéressants. Seule la glace d’eau pourrait s’avérer utile pour les futures missions lunaires ou celles qui doivent transiter sur la Lune avant d’aller sur Mars », estime Francis Rocard. Il faudra attendre la mission VIPER de la Nasa pour en savoir plus sur cette eau. « Si ça se trouve, l’exploitation de la glace d’eau va s’avérer totalement impossible et inintéressante. À l’inverse, on peut imaginer fabriquer des carburants de fusée à partir de cette eau », poursuit le scientifique.

C’est au pôle Sud que se trouve hypothétiquement cette denrée gelée. Et c’est aussi dans cette zone que l’on peut capter les pics de lumière éternelle, essentiels pour le bon fonctionnement des machines à batterie. Sur beaucoup d’endroits de la Lune, il se passe quatorze jours de nuit avant que le Soleil ne brille à nouveau. C’est un cauchemar pour les ingénieurs. Car les écarts de températures sont extrêmes : plus ou moins 300°C. Si l’on prend en compte ces contraintes, les zones d’alunissage pour les futures missions habitées se réduisent fortement. « Elles doivent se chiffrer en dizaines, peut-être cinquante au maximum. Il n’y a pas une place colossale », avance M. Rocard.

Le tourisme spatial sur la Lune est un rêve encore très lointain. Mais grâce à son programme Chang’e, la Chine a déjà un pied au pôle Sud tandis que la Nasa continue de repousser sa première mission habitée. Les résultats de VIPER seront déterminants pour l’avenir de l’exploration lunaire. Mais Francis Rocard tempère : « à l’heure actuelle, il y a de la place pour tout le monde. Alors, les Américains pourront se mettre d’un côté, et les Chinois de l’autre, sans qu’ils se marchent sur les pieds ».

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