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Ben : l'art et l'amour jusqu'à la mort

Ben
Lors du vernissage de l’exposition «Tout est art » au musée Maillol, à Paris, le 13 septembre 2016. © Christophe Clovis / Bestimage
Anne-Cécile Beaudoin

Le 5 juin, quelques heures après le décès d’Annie, son épouse, Ben s’est donné la mort pour rejoindre celle qui partageait sa vie depuis plus de soixante ans. Héritier du dadaïsme, membre du mouvement Fluxus, le Niçois, pour qui l’art était partout, a laissé derrière lui une lettre d’adieu. Comme un ultime aphorisme.

Il l’affirmait blanc sur noir : « Tout est art », au point que ses phrases courtes et choc sont estampillées sur des trousses d’écoliers, des tee-shirts ou placardées sur des ardoises, que l’on a tous croisées dans notre vie. Ben écrivait comme il respire. Il prétendait pourtant être nul en orthographe, mais cet agitateur sera le premier de la classe pour se moquer, irriter et nous interroger perpétuellement sur le monde.

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Naples l’a vu naître en 1935. Quand ses parents divorcent alors que la Seconde Guerre mondiale éclate, sa mère l’emporte dans sa famille à Smyrne (Izmir), en Turquie. Puis ce sera l’Égypte, Lausanne et enfin Nice où la vie coûte tout de même moins cher qu’en Suisse. Ben, de son vrai nom Benjamin Vautier, a 14 ans. Il fréquente les livres et la rue. Son truc, c’est « d’aimer se faire voir ». Dans les années 1950, on le croise sur la promenade des Anglais se baladant avec un os autour du cou. Il appelle ça « la théorie du choc ».

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Acrylique,«C’est le courage qui compte », 1987. COLLECTION PERSONNELLE BEN VAUTIER / © Ben VAUTIER

Ben réactive l’esprit saugrenu du mouvement Dada

Ben aime tant les mots que sa mère lui offre une librairie-papeterie dont il recouvre la façade d’une quantité d’objets et où il vend finalement des disques d’occasion. Mireille Darc adore, Johnny Hallyday y passe. L’échoppe devient une curiosité locale. C’est ici que se réunissent les copains d’abord, c’est-à-dire César, Arman, Martial Raysse. « Tous les jeunes qui font du nouveau » dans cette période où certains continuent de broyer le noir de la guerre. Plus tard, on les appellera l’école de Nice. En attendant, Ben dessine des bananes. « C’est du sous-­Kandinsky, se marre son pote Yves Klein. Faut passer au monochrome, suis mon exemple. Tes poèmes ne sont pas mal, tu devrais écrire. Chez toi, le questionnement, le sens, comptent plus que tes productions de bananes. »

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« L’art doit communiquer », nous avait-il confié. Ici, lors du carnaval de Nice en 1993. BESTIMAGE / © CINQUINI

Le provocateur écoute les conseils et entreprend ses « sculptures vivantes » : il « signe tout ce qui ne l’a pas été », des gens dans la rue, mais aussi « les trous, les boîtes mystères, les coups de pied, Dieu, les poules… » Même sa fille, Eva Cunégonde, née en 1965, n’y échappera pas. Ben réactive l’esprit saugrenu du mouvement Dada, puis rejoint le groupe Fluxus qui ne cesse d’interroger les limites de l’art et du beau, et de qui décide de la valeur d’une œuvre.

Il se surnomme « l’artiviste » et restera un empêcheur de penser en rond

Ses performances à l’occasion de l’exposition « 100 artistes dans la ville » à Montpellier en 1970, le révèlent au public. Exemple avec « Faire une trace dans la ville », qui consiste à arpenter les rues avec un seau de peinture blanche percé. « Il faut apporter aux gens une nouvelle expérience. Je veux qu’ils se disent : “Ben, il se fout de nous.” Comme ça, ils rentrent chez eux et il se posent des questions. »

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Il dynamite le snobisme de l’art contemporain, mais ce sont surtout ses écrits, à la graphie naïve, mis en tableaux et affichés comme des Post-it, qui lui assurent la postérité. Certaines phrases comme « Je suis unique au monde », deviennent des best-sellers. Il y a parfois des fautes d’orthographes – volontaires ou non, personne ne sait – et jamais de point final car « La pensée n’a pas de fin ». Il se surnomme « l’artiviste » et restera un empêcheur de penser en rond.

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La maison de l’artiste, à Nice, achetée en 1974 et baptisée «Malabar et Cunégonde », seconds prénoms de son fils et de sa fille. Paris Match / © Manuel LAGOS CID

Son vrai chef-d’œuvre, c’est sa maison de bric et de broc sur les hauteurs de Nice

Son vrai chef-d’œuvre, c’est sa maison « un peu rigolote pour qu’on ne m’oublie pas », acquise en 1974 sur les hauteurs de Nice grâce à la vente de son magasin de disques, démonté et remonté afin de ­figurer dans les collections d’art moderne du Centre Georges Pompidou. Accumulations jusqu’à l’obsession d’objets sur les façades, panneaux où s’étalent ses aphorismes : sa baraque est un bric-à-brac qu’il façonne patiemment à la manière du facteur Cheval.

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« Je ne jette rien », un travail réalisé à partir d’objets accumulés entre 1975 et 1995. COLLECTION PERSONNELLE BEN VAUTIER / © Ben VAUTIER

« J’ai une maladie : je n’aime pas jeter et je me suis trouvé une excuse culturelle pour entasser. Je suis un fils de Marcel Duchamp et, en hommage au fameux urinoir qu’il a transformé en œuvre d’art, quand je vois un bidet abandonné au bord de la route, je m’arrête et je le récupère. Je suis un voleur de bidets ! Naturellement, ils finissent remplis de fleurs dans mon jardin. J’adore les vide-greniers, les brocantes, Emmaüs… Chaque fois, j’en reviens avec la voiture pleine. Je dis à Annie, ma femme, que ces objets m’ont donné des idées d’œuvres ! »

Jusqu’au soir de sa vie, Ben Vautier aura toujours eu le dernier mot pour amuser la galerie, « je prends du bide, appelez-moi Big Ben ». Seul son ultime message n’a pas fait rire. « Je ne pourrai pas vivre sans Annie, je la rejoins ». À la suite d’un accident vasculaire, son épouse est décédée le mercredi 5 juin, tôt le matin. Quelques heures plus tard, l’artiste choisissait de se donner la mort par arme à feu. Il avait 88 ans.

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Devant l’une des mille œuvres présentées durant l’exposition «Ben, strip-tease intégral », organisée en 2010 au musée d’art contemporain de Lyon. © REUTERS

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