Le char de bataille, un blindé bousculé par la guerre en Ukraine

Détruit par milliers sur le champ de bataille, le char a vu son utilisation changer en Ukraine. Face aux nouvelles menaces et usages, industriels et états-majors revoient leurs plans pour imaginer le blindé du futur.

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Le char de bataille, un blindé bousculé par la guerre en Ukraine
En Ukraine, l'omniprésence des drones et des missiles cantonne le char à un rôle de soutien en retrait du front ou dans des actions de soutien éclair aux soldats.

«Non le char n’est pas mort, mais il faut bien l’utiliser.» Comme le résumait un colonel interrogé en 2022 à l’Assemblée nationale, le char est loin d’être abandonné par les états-majors. L’engin, dont la conception n’a pas beaucoup évolué depuis la fin de la Guerre froide, est au cœur d’une réflexion de fond aussi bien pour les militaires que chez les industriels qui les fabriquent.

Leopard 2, Abrams, T-72… Depuis le début de la guerre en Ukraine, les vidéos de carcasses carbonisées ou d’attaques meurtrières de blindés se retrouvent sur les réseaux sociaux. Le nombre de pertes interpelle : 2796 chars détruits étaient comptabilisés au 1er juillet par le site spécialisé britannique warspotting. Plusieurs causes humaines et techniques peuvent apporter une explication à cela. Il y a d'abord les missiles antichars ultra-rapides et capables de percer les blindages qui ont fait des ravages, particulièrement au début du conflit.

Une autre menace, simple, mais tout aussi mortelle, est apparue. «Les drones FPV (téléguidés avec une caméra, ndlr) ont été transformés en arme avec des explosifs ou des têtes de roquettes antichars pour attaquer les blindés, explique Marc Chassillan, ancien ingénieur du corps de l’Armement et consultant défense pour l’industrie. Le contrôle de leur vitesse et de leur trajectoire permet de viser les endroits les plus vulnérables des chars, c’est un avantage par rapport au missile.» Selon une note récente du Centre français de recherche sur le renseignement (Cf2R), près de 800 équipements militaires ukrainiens ou russes auraient ainsi été détruits par des drones FPV.

En Ukraine, un terrain et une logistique difficiles

Les chars ont aussi buté sur un terrain semé d’embûches. «Au centre du pays, les ukrainiens s’étaient préparés au choc depuis le début de la guerre de Crimée en 2014. Ils ont creusé des tranchées et installé des obstacles antichars», indique à L’Usine Nouvelle une source militaire française qui suit le conflit. Meurtriers contre les blindés, les champs de mines ont ainsi contribué à figer le front. Sans compter qu'une fois en opération, le soutien logistique (carburant, munitions, maintenance) est indispensable. Dans les premières semaines de la guerre en Ukraine, beaucoup de chars ont été abandonnés par leurs équipages faute de ravitaillement ou après s’être retrouvés à découvert à cause d’ordres contradictoires. Tous les observateurs s’accordent sur le fait que pour être efficace, un char a d'abord besoin de l’artillerie pour sécuriser le terrain, puis de soldats autour de lui pour l’accompagner.

Depuis, leur mise en retrait est plus stratégique. «Si les chars sont bloqués, c’est parce qu’un des acteurs a décidé de limiter ses pertes, analyse Yohann Michel, chargé d’études à l’Institut d'études de stratégie et de défense. Les russes ont montré qu’ils pouvaient jeter des blindés à découvert pour créer la surprise ou noyer les ukrainiens sous la masse. Le front est quasi continu et il y a peu d’espace de manœuvre, ce qui limite le rôle du char.»

Il faut dire qu’en Ukraine, la doctrine de la cavalerie blindée en a pris un coup. Presque figée depuis la Guerre Froide, elle revient aujourd’hui aux fondamentaux. «Le triptyque mobilité - puissance de feu - protection est inchangé. Il permet à la cavalerie blindée de créer rapidement une percée sur le champ de bataille pour faire basculer le rapport de force, souligne le lieutenant-colonel Christian, en poste à la direction des études et de la prospective de l’Armée de Terre. Cette doctrine est remise en cause par de nouvelles menaces et le conflit ukrainien montre qu’un front figé n’est pas le bon rôle pour la cavalerie blindée.»

Peu de combats directs entre chars

Alors qu’ils ont été conçus pour s’affronter directement grâce à leur lourd blindage frontal et leur puissance de feu, très peu de chars se sont combattus en Ukraine. «Plus personne ne peut avancer à découvert, confirme Olivier Dujardin, chercheur associé au Cf2R. Les missiles antichars permettent même à l’infanterie légère d’affronter un char.» Devenus des cibles de choix, les blindés se font discrets et se sont éloignés du front. Cachés sous la végétation ou dans des bâtiments, ils servent désormais à deux missions principales. La première concerne l’appui aux fantassins lors d’actions rapides et ciblées. «Le char reprend sa fonction première de soutien à l’infanterie imaginée lors de la Première Guerre mondiale», note Olivier Dujardin.

La seconde est le tir indirect, soit le fait de tirer en cloche au-delà de sa ligne de vision. Face à la pénurie de canons, l’Ukraine et la Russie se sont mises à utiliser des chars faute de mieux. «C’est gâcher du char parce que l’artillerie le fait bien mieux, détaille Marc Chassillan. L’amplitude d’un canon de char ne dépasse pas 17 à 18°, cette limitation de pointage les limite à ces cibles à une dizaine de kilomètres. Un canon d’artillerie à une amplitude jusqu’à 60° ce qui lui permet de tirer jusqu’à 40 kilomètres.» Tapi sous des branchages, l’équipage ukrainien d’un char M1 Abrams a récemment livré ses états d’âme à ce sujet à un journaliste de CNN. «Nous avons tiré 17 fois sur une maison. Elle est restée debout», s’est lamenté leur chef pour qui les munitions disponibles ne se sont pas adaptées.

Dans l’immédiat, les états-majors misent sur deux piliers pour protéger leurs chars des drones et des missiles. Comme pour les canons Caesar qui ont fait leurs preuves, la mobilité est primordiale pour éviter que les chars ne se fassent cibler trop facilement. Ensuite, des plaques de blindage et des cages en métal dites «cope cage» ont été installés sur les parties les plus faibles des blindés comme le toit ou le moteur pour coincer les drones ou les têtes de roquettes. Le dispositif permet d’éloigner la détonation et donc de limiter les dégâts. En Israël, un système dit «Trophy» a également vu le jour pour déclencher automatiquement des contremesures contre les missiles et roquettes en approche.

Mais à plus long terme, c'est bien l’architecture des chars qui est en train d’être revue par plusieurs pays. «L’idée c’est de faire des véhicules beaucoup plus légers et manœuvrants pour éviter le feu plutôt que d’y survivre, observe Yohann Michel. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, il y a eu une concentration sur un type de char particulier, on assiste peut-être au début d’une période où on re-spécialise certains blindés.»

Ainsi, les États-Unis ont déjà pris en compte le retour d’expérience de la guerre en Ukraine pour la prochaine version de leur char Abrams prévue pour la fin de la décennie. Baptisé M1E3, le futur engin devrait peser une dizaine de tonnes de moins que l’Abrams actuel avec un toit renforcé, une protection active contre les missiles et un moteur plus silencieux. De leur côté, la France et l’Allemagne poursuivent leur projet de char du futur appelé MGCS (Main Ground Combat System). Ce char, qui devrait remplacer le Leclerc à partir de 2040, sera capable de tirer de plus loin, protègera davantage son équipage et mettra en œuvre le combat collaboratif.

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