Dix ans après l’accident nucléaire de Fukushima, “la reconstruction représente un choc”

Les blessures de l’accident nucléaire de Fukushima n’ont toujours pas guéri au Japon. Dix ans après la catastrophe, les travaux de démantèlement ne font que commencer et la reconstruction se fait dans la douleur pour de nombreux réfugiés. Ce qui complique encore plus le débat sur l’énergie.

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Dix ans après l’accident nucléaire de Fukushima, “la reconstruction représente un choc”
Un site expérimental de tri de terres contaminées à Fukushima trois ans après l'accident de la centrale nucléaire.

Dix ans auront passé, jeudi 11 mars, depuis l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi au Japon. Une décennie n’a pas suffi à effacer le désastre. Il y a les traces physiques : des paysages métamorphosés, des sacs de terre contaminée, des centaines de réservoirs d’eaux usées… Il faut ajouter à cela les impacts psychologiques, sociaux et économiques. Plusieurs chercheurs français s’intéressent à ces aspects méconnus de la catastrophe.

Des milliers de morts “indirects”

Provoqué par un séisme de magnitude 9, le tsunami de 2011 avait débordé les murs d’enceinte de la centrale nucléaire, située au bord de l’océan. Avec ses groupes électrogènes de secours noyés, le site s’est retrouvé privé de courant et de source de refroidissement. Les cœurs de trois réacteurs sont entrés en fusion, causant de multiples explosions avec des relâchements de matières radioactives dans l’environnement. L’opérateur des lieux, Tepco, tâtonne toujours avec des solutions robotiques pour préparer le retrait du combustible fondu. Les opérations de démantèlement ne devraient aboutir qu’à l’horizon 2041 ou 2051.

(À Fukushima, des centaines de réservoirs stockent l'eau qui a servi à refroidir la centrale nucléaire accidentée. Crédit : Tepco)

Le dernier bilan des autorités japonaises fait état de 19 729 morts et 2 559 disparus, majoritairement liés au tremblement de terre et au raz-de-marée. Officiellement, l’exposition aux radiations n’a fait aucune victime. Plus difficiles à chiffrer, les morts “indirects” liés au cataclysme se comptent tout de même en milliers : 2 259 victimes, dans la préfecture de Fukushima, selon un bilan datant de décembre 2018.

Les réfugiés “officiels” et les réfugiés “volontaires”

Selon les chiffres officiels, plus de 470 000 personnes ont dû quitter leur maison à travers le pays, à cause de la catastrophe naturelle ou de l’accident industriel. En février 2021, il restait 41 000 évacués dont 2 000 vivant toujours dans des logements “provisoires”. Dans un livre publié le 3 mars, la sociologue Cécile Asanuma-Brice analyse les conséquences sociales de l’évacuation. “Des gens ont dû déménager plusieurs fois en des laps de temps extrêmement limités, et parfois vers des communes encore plus contaminées que la leur parce que la zone d’évacuation a été tracée petit à petit”, rappelle la chercheuse du CNRS.

Au-delà de ces cafouillages, la définition de la zone d’évacuation provoque des inégalités. “La zone d’évacuation a été fixée à 12 communes. Beaucoup d’autres communes contaminées n’ont pas été évacuées. Cela a généré deux formes de réfugiés : les réfugiés en provenance des zones évacuées et les réfugiés dits ‘volontaires’, ceux qui sont partis de zones non évacuées mais néanmoins contaminées. Les différences de statuts se sont reflétées dans les systèmes d’indemnisation. Cela a créé une jalousie entre les gens, qui a également été génératrice de violence et a donné lieu à la création de processus d’exclusion", décrit Cécile Asanuma-Brice.

“Pour tout reconstruire, il faut d’abord tout détruire”

Les réfugiés affrontent de nombreuses difficultés. Beaucoup d’entre eux développent des syndromes de stress post-traumatique. Habitués au grand air, des fermiers sont relogés dans des appartements étroits avec le loyer à leur charge. Entre ceux qui restent pour garder leur travail et ceux qui partent pour échapper aux radiations, des couples se séparent. Forcées de rentrer chez elles après la suspension de leurs aides au refuge, des personnes âgées souffrent d’isolement et retrouvent leur région natale métamorphosée.

Les gens qui rentrent subissent un second choc : celui de ne plus retrouver le paysage qu’ils connaissaient.

Cécile Asanuma-Brice

Cécile Asanuma-Brice évoque le cas de la commune de Tomioka, ravagée à la fois par le tsunami, le tremblement de terre et l’accident nucléaire. “Pour tout reconstruire, il faut d’abord tout détruire. Il y avait une diversité du tissu urbain avec des vieilles maisons traditionnelles mêlées à de petites échoppes. Tout est passé au bulldozer, tout a été complètement rasé. Seuls les tracés de route ont été préservés. Des lotissements pavillonnaires tous identiques ont été construits à la place. Les gens qui rentrent subissent un second choc : celui de ne plus retrouver le paysage qu’ils connaissaient. La reconstruction elle-même représente un choc. Cela montre que la radioactivité n’est pas le seul problème”, souligne la sociologue.

(Une ville abandonnée dans la préfecture de Fukushima, trois ans après l'accident. Crédit : Recoquillé-Bression / IRSN)

Pas de “suivi sérieux de la santé des populations”

Au dixième anniversaire de l’accident, les associations antinucléaires reprochent toujours au gouvernement de vouloir minimiser la situation, voire de mentir sur l’impact sanitaire des radiations. “Le gouvernement n’a pas mis en place après l’accident un suivi sérieux de la santé des populations. [...] Les dépistages des cancers de la thyroïde auprès des enfants représentent la seule enquête périodique effectuée”, a dénoncé lors d’une conférence de presse Yûki Takahata, représentante du réseau de ressortissants japonais Yosomono-net.

Dans le journal du CNRS, un chercheur du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) insiste sur les nombreuses incertitudes sur les risques. “À commencer par la situation des forêts. Contrairement aux plaines agricoles et résidentielles, ces zones boisées et montagneuses n'ont pas été décontaminées, pour des raisons de coût et parce que ce serait très difficile techniquement. Or, celles-ci couvrent les trois-quarts de la surface touchée par le panache radioactif. Elles constituent donc un réservoir potentiel, à long terme, de césium qui pourrait être redistribué par les cours d'eau vers les parties basses habitées, suite à l'érosion des sols, aux glissements de terrain et aux crues, comme lors des typhons qui frappent souvent la région”, explique Olivier Evrard.

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Les réfugiés ont été considérés comme des assistés sociaux.

Cécile Asanuma-Brice

Malgré ce manque de connaissances, le gouvernement japonais va jeter de l’huile sur le feu en rouvrant petit à petit la zone d’évacuation autour de la centrale. Et ce, dès 2013. “Les habitants des communes d’accueil se sont dits que puisque ça n’était plus nécessaire d'être réfugié, il n’était pas juste que l’on continue à donner de l’argent à ces gens alors qu’ils pourraient très bien rentrer chez eux. Les réfugiés ont été considérés comme des assistés sociaux”, fait ressortir Cécile Asanuma-Brice.

(Une mesure de contamination au césium dans la forêt de Fukushima, trois ans après l'accident. Crédit : Recoquillé-Bression / IRSN)

Le Japon face au débat sur le nucléaire

Au-delà de ces impacts sociaux et sanitaires, l’accident nucléaire pèse sur certains secteurs de l’économie. “Il existe toujours une appréhension de la population à consommer de la nourriture produite à Fukushima”, pointe Olivier Evrard, même si le gouvernement fait appel à la solidarité des foyers japonais. De la même manière, la filière pêche et les associations s’inquiètent de la solution privilégiée pour traiter les eaux usées de la centrale accidentée : le déversement dans l’océan Pacifique.

Débat très sensible en France, la question du nucléaire se montre encore plus complexe au Japon, qui représente en outre le seul pays au monde frappé par la bombe atomique. Après l’accident de Fukushima, les énergéticiens japonais ont annoncé à la chaîne le démantèlement de plusieurs réacteurs : 22 unités ont été arrêtées définitivement depuis 2011.

Avant la catastrophe, les réacteurs japonais représentaient environ 30 % de la consommation d’électricité du pays. En 2018, l’atome ne pesait plus que 6 %, remplacé par le gaz naturel (36 %), le charbon (32 %) ou encore l’hydraulique (8 %). Le Japon importe 90 % de son énergie. Le gouvernement doit désormais trouver un compromis entre la lutte contre le réchauffement climatique et les mouvements d’opposition au nucléaire.

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De son côté, la World Nuclear Association rappelle que les victimes imputables à l’accident de la centrale tiennent davantage à la gestion de l’évacuation plutôt qu’aux radiations. Le lobby du nucléaire insiste également sur le coût élevé des énergies renouvelables pour les consommateurs.

Le nucléaire a tout de même perdu des adeptes au Japon. À l’image de l’ancien Premier ministre Naoto Kan, au pouvoir durant la catastrophe et devenu l’un des porte-voix du mouvement antinucléaire. “Il était pro-nucléaire et croyait vraiment en la grandeur de la technologie japonaise. Il n’a jamais imaginé avoir un accident majeur comme Tchernobyl”, évoque Kolin Kobayashi, de l'association Echo-Échanges. À l’heure où EDF espère prolonger la durée de vie de ses centrales nucléaires grâce aux leçons tirées de Fukushima, les activistes estiment que le risque reste présent en France.

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