[L'instant tech] Comment Veolia conçoit un robot de 21 mètres pour le démantèlement de Fukushima

En pointe sur les robots de décontamination et de démantèlement pour le nucléaire, l'entreprise Veolia Nuclear Solutions doit livrer à l’été un bras robotisé original. De 21 mètres de long, il devra résister aux radiations pour entrer au coeur du réacteur numéro deux et en faire la cartographie précise tout en résistant à des conditions extrêmes. 

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[L'instant tech] Comment Veolia conçoit un robot de 21 mètres pour le démantèlement de Fukushima
Développé par l'entreprise américaine Kurion (rachetée par Veolia en 2016), le Fukushima Inspection Manipulator a utilisé ses articulations et ses segments télescopiques pour venir détecter des fuites sur l'enceinte du réacteur n°2. Les prochains robots de Veolia - Boom et le Fukushima Repair Manipulator - utilisent le même principe

Avec ses 21 mètres, ses sept articulations et ses dix-huit degrés de liberté, le bras métallique “Boom” de Veolia Nuclear Solutions ne ressemble pas à un robot habituel. Il évoquerait davantage à un gigantesque mètre pliant robotisé qu'à un bras. Voire à un serpent métallique avec un petit effort d’imagination. Conçu à Abingdon (Royaume-Uni) par la filiale nucléaire de la multinationale française, il a été pensé pour résister aux conditions hostiles du réacteur n°2 de la centrale de Fukushima Daiichi.

Il sera envoyé au Japon à l’été pour être testé par l’opérateur d’électricité Tepco, qui supervise le chantier de Fukushima, et Mitsubishi Heavy Industries, qui participe à la conception du robot aux côtés de Veolia. Si tout se passe bien, il devrait plonger au cœur du réacteur dès début 2022, où il sera chargé d’établir la cartographie précise du site.

Le défi est de taille. Depuis le tsunami du 11 mars 2011 au Japon, nombre de robots ont exploré les ruines de la centrale sans toujours parvenir au plus près du cœur du réacteur. En 2017, le petit scorpion de Tepco et Toshiba n’avait envoyé que quelques images avant de mourir sous les assauts des radiations du même réacteur. Si d'autres ont eu plus de succès, “le cœur du réacteur est l’endroit le plus pourri sur Terre : il y règne une chaleur d‘enfer, l’hygrométrie est démentielle et ça bombarde de tous les côtés”, décrit Dominique Richit, le directeur général de Veolia Nuclear Solutions. Pour mettre toutes les chances de son côté, Veolia a travaillé durant quatre ans à optimiser chaque composant de sa solution, et peut vanter à son actif une expérience courte - mais intense - dans le domaine de la robotique en contexte nucléaire.

Cacher les éléments sensibles des radiations

Face aux conditions dantesques que pose la centrale en ruine, la taille du bras Boom est son premier avantage. Tapis dans un caisson de protection hermétique aux rayons gammas situé à l’extérieur de l’enceinte de confinement du réacteur numéro deux, le bras se dépliera pour entrer dans le réacteur. Là, armé d’un sonar pour voir les obstacles ainsi que d’un système de mesure des rayonnements, il viendra dresser une maquette électronique du cœur du réacteur.

Niveau architecture, Boom est composé d'une série de segments qui se déploient à la manière d’un serpent pour éviter les obstacles. En serpentant entre des chicanes de protection avant de se déplier, le robot peut opérer loin de sa base et protéger ses composants électroniques essentiels du gros des radiations.

Pour réaliser ce robot, Veolia a capitalisé sur l'expérience de ses robots antérieurs, dont plusieurs ont déjà opéré en contexte nucléaire. “Les radiations brûlent les puces en un temps record, nous avons donc opté pour une commande électronique déportée dans le caisson de protection, détaille Dominique Richit. Le bras lui-même n’intègre que très peu d’électronique. Les mesures sont transmises par des signaux électriques depuis l'extrémité du robot vers la salle de contrôle”.

D’où l’amas final de câbles et de segments métalliques, qui a lui-même posé problème à réaliser. “Pour conserver une certaine précision malgré la taille du robot, nous avons choisi un acier très rigide usiné très finement, que seules deux entreprises au Royaume-Uni savent travailler”, raconte l’industriel.

Pas d’hydraulique

Autre défi : Veolia a dû concevoir un robot sans hydraulique. Un vecteur de transmission utile, mais à proscrire en contexte radioactif “car les rayons gammas détruisent les chaînes carbonées de l’huile en quelques secondes”, explique Dominique Richit. Au sein du bras lui-même, la vingtaine de servomoteurs qui actionnent le robot, mais aussi les câbles et connecteurs qui s’approcheront du réacteur sont “durcis”, c’est-à-dire conçus avec des matières et des architectures pensées pour résister aux radiations. Secret industriel oblige, Veolia ne s'attarde pas sur les détails.

Toutes ces précautions doivent permettre à Boom “de résister au moins pendant la durée d’exposition du robot à l’intérieur du réacteur, qui se compte en semaines”, espère Dominique Richit, qui précise que “l’intégralité des composants du robot ont été testés” et exposés à des barres de combustibles radioactives.

Robot esclave

Mais Boom ne sera pas seul. Capable d’effectuer de menus travaux de découpe et de prélèvement, le bras robotique travaillera avec un assistant : Dexter. Un autre robot développé par Veolia pour la décontamination des milieux radioactifs et hostiles. Situé au sein du caisson abritant le bras et “aussi habile que les doigts de votre main”, vante Dominique Richit, Dexter opèrera la maintenance de Boom, pour venir changer ses outils ou prendre un échantillon dans ses pinces.

Afin de garder une précision sans mettre en danger les opérateurs. Dexter est contrôlé comme un "esclave”. C’est-à-dire qu’il reproduira à distance les mouvements d’un “jumeau” : un robot doté de mécanismes haptiques de retour de force et contrôlé par un humain à quelques centaines de mètres de la centrale. Une architecture complexe, que les ingénieurs de Tepco et MHI apprendront à piloter dans une reproduction de la centrale de Fukushima au Japon.

Montée en puissance dans la robotique

Boom et Dexter ne sont pas les premiers robots envoyés par Veolia Nuclear Solution à Fukushima. Si cette filiale - qui rassemble 800 personnes dont 150 dans la robotique - a été fondée en 2017, Veolia est présent aux côtés des Japonais depuis 2011, d’abord pour proposer des solutions de traitements des eaux de refroidissement contaminées en isotopes radioactifs de césium.

Suite à cette expérience, Veolia s'est renforcé dans l'assainissement nucléaire et la robotique en rachetant l’entreprise américaine Kurion en 2016. Une start-up qui a réalisé un bras robotique lui aussi dépliant, le Fukushima Inspection Manipulator, qui est entré dans l’enceinte du réacteur numéro deux dès 2014. "Ce robot à la taille d'un frigo, mais se déploie sur 4 mètres de large et 5 mètres de profondeur une fois à l'intérieur de l'enceinte", décrit Dominique Richit. Pour détecter les fuites le long de l'enceinte, il peut se frayer un chemin grâce à ses outils de découpe, mais aussi "utiliser un petit véhicule, positionné au bout du robot et capable d'aller se balader le long de l'enceinte", illustre l'ingénieur. En 2015, Kurion avait racheté la start-up britannique Oxford Technologies Ltd (OTL), où est aujourd'hui construit Boom.

Un pari qui semble pour l’instant gagnant pour Veolia. Alors qu'elle a aussi produit un robot de réparation des fuites, déjà livré au Japon, la multinationale planche déjà sur le prochain bras destiné à Fukushima, qui devra profiter de la cartographie réalisée pour entamer le démantèlement du réacteur et retirer 5kg de matériel radioactif par jour. Pour profiter du marché du démantèlement à venir, Veolia se penche par ailleurs sur la décontamination de sites d'enfouissement sous-terrain au Royaume-Uni, et s’est alliée à EDF en France pour créer Graphitec, une coentreprise dédiée aux réacteurs graphites, et travaille sur l'intelligence artificielle pour automatiser ses solutions.

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