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Le Piège de Méduse

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Le Piège de Méduse est une comédie lyrique en un acte et neuf scènes dont Erik Satie a écrit le texte et la musique de scène.

Satie écrit le texte de la pièce en février-. En juin de la même année, il compose la musique, une suite pour piano : sept petites danses, qui sont destinées aux entractes entre les scènes. Pour la première publique en 1921, Satie écrit une suite pour ensemble orchestral.

L'intrigue met en scène le baron Méduse, riche rentier âgé et excentrique, sa fille Frisette, Astolpho l'amoureux de cette dernière, et Polycarpe, le valet du baron.

Les scènes s'enchaînent sans logique, autour d'un scénario élémentaire[1] : l'hésitation puis le consentement du baron au mariage de Frisette et d'Astolpho. Le baron veut être sûr que le fiancé, un employé « aux divorces et aux accidents du travail », a de l'affection pour son futur beau-père : « Je vais lui tendre un piège... un piège grossier ... Ce sont les meilleurs » (scène 5). Il lui demande : « Savez-vous danser sur un œil ?... l'œil gauche ? » (scène 9), Astolpho pétrifié lui répond « Non », le baron est enchanté de la franchise de sa réponse et tout se termine par une étreinte amicale des protagonistes.

Un autre élément de l'intrigue consiste dans les relations entre le baron et son valet Polycarpe, qui font partie du même syndicat[N 1], ce qui autorise Polycarpe à tutoyer son employeur, à se montrer hargneux ou méprisant ; à la scène 8, Méduse décide de démissionner du syndicat et Polycarpe soumis va se cacher « dans le fond de la cave ».

Entre chacune des neuf scènes, un singe du nom de Jonas (un singe « empaillé de main de maître ») s'anime de façon mécanique et danse.

La partition musicale est une série de très courtes danses : "Quadrille" ; "Valse" ; "Pas vite" ; "Mazurka" ; "Un peu vif" ; "Polka" et "Quadrille", écrites de manière humoristique par Satie pour les entractes entre les scènes, lors des danses du singe mécanique. Elles rappellent certaines de ses autres œuvres – la valse, par exemple, réapparaît un an plus tard, dans ses Trois valses distinguées du précieux dégoûté.

Lors de la première représentation privée du Piège, Satie avait glissé des feuilles de papier entre les cordes du piano pour obtenir un son plus mécanique. Ce serait la première apparition d'un piano préparé dans l'histoire de la musique[2],[3].

Pour la première publique en 1921, Satie écrit une version orchestrale, pour clarinette, trompette, trombone, violon, violoncelle, contrebasse et percussion.

Représentations et publication

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Une représentation privée du Piège de Méduse a lieu quelques mois après son achèvement chez les parents de Roland-Manuel, qui interprète le baron Méduse[2]. Satie l'introduit avec un bref monologue où il indique : « Le rôle du Baron Méduse est une façon de portrait… C’est même mon portrait… un portrait en pied »[1].

La création publique a lieu à Paris au Théâtre Michel le , dans une mise en scène de Pierre Bertin qui joue le rôle-titre, sous la direction musicale de Darius Milhaud. Le Piège est joué avec quatre autres pièces courtes, dans une soirée qualifiée de « Spectacle de théâtre-bouffe » : La Femme fatale « de M. Max Jacob »[N 2], Caramel mou de Milhaud, Le Pélican de Raymond Radiguet, musique de Georges Auric et Le Gendarme incompris de Jean Cocteau et Raymond Radiguet, musique de Francis Poulenc.

Une des représentations ultérieures notable est celle du Black Mountain College en Caroline du Nord en , dans une traduction en anglais de Mary Caroline Richards (en) The Ruse of Medusa ; John Cage à l'origine du projet joue la musique au piano, Buckminster Fuller interprète le rôle du Baron Méduse, Merce Cunningham danse la partie du singe mécanique, Willem de Kooning crée la scénographie, Elaine de Kooning joue Frisette et Arthur Penn dirige la mise en scène[4],[5].

Une adaptation en allemand par Jürgen Flimm, directeur de l'Opéra Unter den Linden à Berlin, est créée en 2011 lors d'un atelier théâtral au Schiller Theater de Berlin, sous le titre Wissen Sie, wie man Töne reinigt ? Satiesfactionen[6].

La première édition imprimée du texte de la pièce en 1921, illustrée de 3 gravures sur bois cubistes en couleur par Georges Braque et d'une vignette d'André Derain, est tirée à 112 exemplaires[7],[8].

La version piano de la musique est publiée en 1939[2]. La partition d'orchestre ne sera publiée que 40 ans plus tard.

Le Piège de Méduse, Dada et surréalisme

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La fantaisie débridée de la pièce a conduit à considérer la pièce de Satie comme une manifestation anticipée des mouvements Dada[9] et du surréalisme[10], ou du théâtre de l'absurde, par son utilisation d'une langue « cocasse, tout en ruptures de ton, en coq-à-l'âne, en confusions »[11].

Discographie

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Notes et références

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  1. Le baron l'explique à Astolpho à la scène 7 : « Polycarpe a fondé un important syndicat, il y a quatorze ans. Un jour que j'avais la berlue, souffrant au point de ne savoir où me mettre, Polycarpe m'offrit d'entrer dans son syndicat, chose qui me ferait le plus grand bien, assurait-il. Un mois après, j'étais guéri et chauve. Par reconnaissance, j'ai été obligé, d'après les statuts du syndicat secret, d'accorder une certaine liberté, une certaine latitude au frère Polycarpe, pour l'exécution de son service. Polycarpe était devenu mon frère. C'est assez curieux, n'est-ce-pas ? Sans m'en douter, la berlue m'avait rendu socialiste ».
  2. S'agit-il du poète Max Jacob ou plutôt du compositeur Maxime Jacob ?

Références

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  1. a et b Whiting 1999, p. 451-453
  2. a b et c Potter 2013
  3. Alexandre Tharaud, Piano intime : conversations avec Nicolas Southon, Paris, Philippe Rey, (lire en ligne)
  4. (de) Stephanie Götsch, « The Ruse of Medusa », sur black-mountain-research.com (consulté le ).
  5. (en) « “The Ruse of Medusa: a lyric comedy in one act” by Erik Satie. Black Mountain College [Programme original de la représentation du 14 août 1948] », sur digital.ncdcr.gov.
  6. (de) « Wissen Sie, wie man Töne reinigt ? Satiesfactionen », sur Staatsoper in Schiller Theater (consulté le ).
  7. François Chapon, Le peintre et le livre. L'âge d'or du livre illustré en France 1870-1970, Paris, Flammarion, .
  8. Notice dans le catalogue SUDOC.
  9. Sébastien Arfouilloux 2009
  10. André G. Bourassa, « Répertoire du théâtre surréaliste, son amont, son aval », sur Théâtrales (consulté le ).
  11. Henri Béhar, Le Théâtre dada et surréaliste, Paris, Gallimard, , p. 138

Bibliographie

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  • Texte seul : Le piège de Méduse : comédie lyrique en 1 acte de M. Erik Satie avec musique de danse du même monsieur ; ornée de gravures sur bois par M. Georges Braque, Paris, Editions de la Galerie Simon, , 27 p..
  • Partition seule : Le piège de Méduse, Editions de la Vipère, , 7 p., 100 exemplaires numérotés avec un frontispice illustré par Kristians Tonny.
  • Le piège de Méduse, Le Castor astral, coll. « Les Inattendus », , 76 p. ; édition par Ornella Volta ; avec 1 cassette audio Les inspirations insolites d'Eric Satie (47 min 33 s).
  • Didier Plassard, L'acteur en effigie : figures de l'homme artificiel dans le théâtre des avant-gardes historiques Allemagne, France, Italie, Lausanne, L'Âge d'Homme, , 371 p. (lire en ligne).
  • (en) Steven Moore Whiting, Satie the Bohemian : From Cabaret to Concert Hall, Oxford, Oxford University Press, , 596 p. (ISBN 0-19-816458-0, lire en ligne).
  • « Le Piège de Méduse », dans Geneviève Latour, Les extravagants du théâtre : de la Belle époque à la drôle de guerre, Paris, Bibliothèque historique de la Ville de Paris, , p. 96.
  • Sébastien Arfouilloux, « Le Piège de Méduse, une manifestation à assimiler au dadaïsme », dans Que la nuit tombe sur l'orchestre. Surréalisme et musique, Fayard, (lire en ligne)
  • (en) Caroline Potter, Erik Satie : Music, Art and Literature, Farnham, Ashgate, , 347 p. (ISBN 978-1-4094-3421-4, lire en ligne).
  • Ornella Volta, Satie et la danse, Paris, Éditions Plume, , 206 p. (ISBN 978-2-7021-2160-3)

Liens externes

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