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Impacts des projets de loi 141 et 16 sur la copropriété divise

Par Marie-Eve Shaffer
Roman Babakin/Shutterstock.com

Vous habitez une copropriété divise ou vous prévoyez en acquérir une? Les projets de loi 141 et 16, adoptés respectivement en 2018 et 2019, ont entre autres resserré les règles de gestion de ce type d’habitation. Les syndicats de copropriété sont maintenant tenus de souscrire des assurances et de disposer d’un fonds d’autoassurance. Ils doivent aussi se préparer à produire un carnet d’entretien et à demander l’avis d’un expert sur leur fonds de prévoyance.

Lexique
Des protections obligatoires
Le fonds d’autoassurance
D’autres obligations légales à venir
Une disposition fortement critiquée
Le prix des assurances en hausse

Micheline adore la vie en condo. Elle lui permet de voyager à sa guise, sans devoir demander à ses proches de venir déneiger l’hiver ou de tondre la pelouse l’été. « Mais les frais de condo augmentent chaque année », constate-t-elle. De 2020 à 2024, sa contribution aux charges communes de l’immeuble de 100 logements où elle vit est en effet passée de 455 à 738 $ par mois. « Et ça ne tient pas compte des cotisations spéciales et de mon assurance habitation », précise-t-elle.

Depuis 2018, une série de changements législatifs adoptés par le gouvernement du Québec ont eu pour effet de resserrer la gestion des copropriétés divises. Le syndicat de copropriété a désormais davantage d’obligations légales, ce qui occasionne un certain effort financier de la part des copropriétaires.

« On a imposé ces changements pour protéger les copropriétaires contre des conseils d’administration qui ne voudraient pas gérer la copropriété comme il le faut, explique Me Yves Papineau, avocat, médiateur et associé du cabinet LJT Avocats. Généralement, les nouvelles dispositions ont du gros bon sens. »

De fait, l’administration d’une copropriété est loin d’être un long fleuve tranquille. Selon des experts interrogés, les disputes sont fréquentes, notamment à propos des assurances et des charges communes. Les tribunaux sont parfois appelés à trancher les conflits.

Voici comment la gestion des copropriétés a évolué ces dernières années, ainsi qu’un aperçu des répercussions de ces changements sur les copropriétaires. 

Lexique

Syndicat de copropriété : personne morale formée de l’ensemble des copropriétaires qui vivent dans un immeuble en copropriété. 

Conseil d’administration : les administrateurs élus par l’ensemble des copropriétaires à l’occasion de l’assemblée générale annuelle siègent au conseil d’administration, qui, lui, gère le syndicat de copropriété.

Gestionnaire de copropriété : c’est une entreprise embauchée par le syndicat de copropriété pour gérer les activités quotidiennes de la copropriété (gestion du budget, supervision des travaux, perception des charges communes, etc.).

Déclaration de copropriété : il s’agit en quelque sorte du contrat notarié qui lie les copropriétaires. Ce document comprend l’acte constitutif de copropriété, le règlement de l’immeuble et l’état descriptif des fractions. 

Registre de copropriété : il contient la déclaration de copropriété, les contrats conclus par les administrateurs, une copie du plan cadastral, le certificat de localisation de l’immeuble et les procès-verbaux des assemblées générales. Il inclut aussi le carnet d’entretien et l’étude du fonds de prévoyance, si le syndicat de copropriété a déjà fait ces démarches.

Des protections obligatoires

Autant les copropriétaires que les syndicats de copropriété sont tenus de souscrire certaines assurances. Plusieurs les détenaient déjà avant que le Code civil du Québec ne les exige, mais comme certaines personnes ont négligé de les contracter, elles sont devenues pour la plupart obligatoires après l’adoption du projet de loi 141, en 2018.

Responsabilité civile

Les copropriétaires et les syndicats de copropriété doivent chacun détenir une assurance en matière de responsabilité civile.

Celle des copropriétaires s’avère utile si ceux-ci sont responsables de dommages moraux, matériels et/ou corporels. Cette protection s’élève à au moins un million de dollars s’ils habitent dans un immeuble de moins de 13 logements ou à au moins deux millions de dollars si la copropriété comprend 13 logements et plus.

Les syndicats de copropriété sont aussi contraints de souscrire une telle assurance. Depuis 2018, le Code civil du Québec précise que cette protection doit couvrir, entre autres, les administrateurs ainsi que le président et le secrétaire d’assemblée en cas de faute, d’erreur et de négligence. 

« Les administrateurs du syndicat de copropriété sont généralement des bénévoles; ce n’est pas à eux de payer pour cette assurance, dit Me Yves Papineau. La très grande majorité des polices d’assurance ⦋des copropriétés⦌ l’incluaient, mais des administrateurs la coupaient pour économiser. »

Dommages

Déjà, avant 2018, le syndicat de copropriété était obligé de contracter une assurance dommages couvrant tout l’immeuble : les parties communes comme les parties privatives. Les risques couverts ont ensuite été détaillés; ils englobent notamment le vol, les dégâts d’eau, les incendies et la foudre. En tant que copropriétaire, vous avez intérêt à obtenir de votre côté une protection pour les améliorations qui ont été apportées dans votre condo ainsi que pour vos biens. 

Pour déterminer ce qui est assuré par les copropriétaires et ce qui l’est par le syndicat de copropriété, ce dernier doit fournir une description des parties privatives « suffisamment précise pour que les améliorations apportées soient identifiables », stipule le Code civil du Québec. S’il ne le fait pas, il est alors responsable de tout l’immeuble.

Valeur de reconstruction

En vertu du Code civil du Québec, une assurance qui couvre la valeur de reconstruction de l’immeuble en cas de perte totale est également requise pour le syndicat de copropriété. Ce dernier mandate un membre de l’Ordre des évaluateurs agréés du Québec tous les cinq ans pour estimer la valeur de reconstruction du bâtiment, ce qui permet à l’assureur de mettre à jour la police d’assurance. Une telle évaluation coûte de 800 $ à quelques milliers de dollars.

« La loi a en fait clarifié une pratique de l’industrie déjà bien établie », fait valoir Elise Beauchesne, présidente-directrice générale de SolutionCondo et présidente de l’Association québécoise des gestionnaires de copropriétés.

Le fonds d’autoassurance

Quand un sinistre survient, le syndicat de copropriété paie la franchise de l’assurance, ou les travaux de réparation si leur coût est inférieur. Pour être en mesure d’assumer ces frais, la copropriété doit disposer depuis 2022 d’un fonds d’autoassurance, qui est financé à partir des charges communes versées par les copropriétaires. Ce fonds contient au moins l’équivalent de la franchise la plus élevée parmi les couvertures que souscrit le syndicat de copropriété − mis à part celles pour un tremblement de terre ou une inondation −, jusqu’à concurrence de 100 000 $.

« Avant, les conseils d’administration des copropriétés devaient imposer des cotisations spéciales pour payer les franchises. Ça créait des problèmes », souligne Vincent Gaudreau, président de FORT Assurances et avantages sociaux.

À supposer que le fonds d’autoassurance soit dégarni, les copropriétaires doivent le renflouer. Le plus souvent, les décisions à ce sujet sont prises à l’occasion de l’assemblée générale annuelle, mais une cotisation spéciale peut être imposée en cours d’année.

D’autres obligations légales à venir

Le gouvernement du Québec doit adopter cet automne un projet de règlement qui détaillera les prochaines obligations légales que devront remplir les syndicats de copropriété, selon ce qu’indique la Société d’habitation du Québec. Voici en quoi elles consistent : 

Carnet d’entretien et fonds de prévoyance

Le projet de loi 16, sanctionné en 2019, annonçait que les syndicats de copropriété devront produire un carnet d’entretien de leur immeuble pour déterminer les travaux majeurs à réaliser dans les prochaines années. Ils seront aussi contraints de faire évaluer leur fonds de prévoyance par un expert.  

A priori, la loi exigeait que l’étude du fonds de prévoyance soit effectuée tous les cinq ans, mais le projet de loi 31, adopté en février 2024, a précisé que la fréquence dépendra des « spécificités de l’immeuble ». Le règlement à venir apportera sans doute des éclaircissements à ce sujet et spécifiera quels sont les professionnels qui pourront fournir cette expertise.

« Beaucoup de syndicats de copropriété ont déjà implanté ⦋ces changements⦌ », affirme Kayci Ozorai, cofondatrice et vice-présidente de Regisco immobilier, une entreprise qui épaule les syndicats de copropriété grâce à une plateforme numérique. « Le plus rapidement ils mettent en place le carnet d’entretien et l’étude du fonds de prévoyance, le plus rapidement ils peuvent cotiser à la hauteur des besoins », poursuit-elle.

L’état de l’immeuble

Les syndicats de copropriété doivent également se préparer à fournir une attestation « sur l’état de l’immeuble » à des acheteurs potentiels. Ils auront à présenter ce document dans les 15 jours suivant leur demande.  

Quelles informations cette attestation devra-t-elle contenir? Qui sera responsable de la produire?  Un membre d’un ordre professionnel devra-t-il la valider? Voilà autant de questions qui trouveront des réponses dans le règlement qui devrait être adopté cet automne.

Et si un syndicat ne remplit pas ses obligations?
D’une part, les administrateurs de la copropriété risquent d’avoir de la difficulté à trouver un assureur, qui posera des questions à ce sujet. D’autre part, un copropriétaire pourrait intenter une poursuite contre son syndicat de copropriété. Aucune sanction ou amende n’est cependant imposée à une copropriété dont le fonctionnement n’est pas conforme au Code civil du Québec.

Une disposition fortement critiquée

La plupart de ces modifications législatives relèvent des bonnes pratiques, selon les experts interrogés. Les critiques sont toutefois nombreuses concernant l’article 1074.2 du Code civil du Québec, qui est en vigueur depuis 2018.

Cette disposition mentionne que le syndicat de copropriété doit payer la franchise de son assurance et les travaux de réparation à la suite d’un sinistre survenu dans l’un des condos. Il peut recouvrer les sommes engagées s’il prouve que le copropriétaire a commis une faute (si la personne en question n’a pas déneigé son balcon et que ce dernier s’est effondré sous le poids de la neige, par exemple). L’assurance du copropriétaire assume alors les frais, moins la franchise habituelle. 

Il en va de même si les biens et les personnes « sous la garde » du copropriétaire ont causé un sinistre. À supposer qu’un bien en soit à l’origine – pensons ici à un appareil de climatisation –, c’est le copropriétaire qui doit prouver qu’il n’a pas été négligent. « Souvent, les tribunaux l’oublient », fait remarquer Me Yves Papineau. Le fardeau de la preuve revient donc au syndicat.

Dans une cause entendue en 2024 devant la Division des petites créances de la Cour du Québec, le syndicat d’une copropriété montréalaise réclamait plus de 11 000 $ à une copropriétaire à la suite d’un dégât d’eau. Le mécanisme d’évacuation de la toilette était apparemment la cause du dommage, mais le syndicat de copropriété n’a présenté aucune preuve pour en démontrer la défectuosité. La copropriétaire a expliqué au tribunal qu’elle ne pouvait pas soupçonner l’existence du bris. Le juge a ainsi rejeté la réclamation du syndicat, qui a dû éponger la facture.

« C’est anormal que la charge de la preuve repose sur les épaules du syndicat », soutient Cécile Pilarski, directrice générale du Regroupement des gestionnaires et copropriétaires du Québec. Vincent Gaudreau indique pour sa part que les assureurs des copropriétaires veulent établir le niveau de responsabilité de leur client avant de fournir une indemnisation. « C’est du cas par cas », résume-t-il.

Les prix des assurances en hausse

En parallèle, les syndicats de copropriété ont vu le prix de leurs assurances augmenter. Celui-ci a en effet bondi de 10 à 15 % par année depuis 2018, selon Vincent Gaudreau, qui explique ces hausses notamment par l’accroissement des coûts de construction et les difficultés à assurer des copropriétés.

« Les copropriétés présentaient des réclamations pour des petits montants de 1 000 $, 1 500 $ ou 2 000 $; l’assureur se retrouvait à faire quasiment de l’entretien, relate-t-il. Ça augmentait la fréquence des réclamations et les pertes des assureurs. Les franchises ont donc explosé. »

À titre d’exemple, une petite copropriété pouvait avoir une franchise de 1 000 $ pour un dégât d’eau avant les changements législatifs. Le montant d’une telle franchise atteint aujourd’hui au moins 5 000 $.

Quand les dommages se multiplient, le fonds d’autoassurance de la copropriété se vide rapidement. « C’est un puits sans fond », illustre Elise Beauchesne. Elle évoque par exemple un immeuble dans lequel plus d’une cinquantaine de sinistres sont survenus au cours des deux dernières années.

Les experts du milieu de la copropriété s’entendent pour dire que d’autres changements législatifs doivent être adoptés. Le cabinet de la ministre responsable de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, se dit au fait de la situation, mentionnant dans un échange de courriels qu’il demeure « à l’écoute pour apporter des modifications en temps et lieu si nécessaire ».

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