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Élargissement de la consigne: pour que ça marche, il faudra des modèles hybrides

Par Jean-François Gazaille
consigne AdobeStock

La consignation des contenants de boissons sera élargie un peu plus tard que prévu, mais on sait déjà qu’elle atteindra ses objectifs si les consommateurs ont accès à des centres de dépôt combinant des collectes automatisée et manuelle.

«Il faut que ce soit simple pour les consommateurs», affirme Sonia Gagné, présidente-directrice générale de RECYC-QUÉBEC, en résumant les premières observations tirées de l’analyse de sept projets pilotes amorcés en août 2021.

À la fin de janvier, le gouvernement a annoncé le report de l’entrée en vigueur de l’élargissement de la consigne, initialement prévu pour l’automne 2022. Les autorités accordent aux détaillants et organismes associés six mois de plus pour mettre en place le nouveau système en raison de la pénurie de main-d’œuvre occasionnée entre autres par la pandémie de COVID-19.

À compter du printemps 2023, la consignation sera élargie à tous les contenants de boissons de 100 ml à 2 L, qu’ils soient en plastique, en verre ou en aluminium. Ils feront l’objet d’une consigne simplifiée: 25 cents pour les bouteilles de vins et spiritueux, 10 cents pour tous les autres contenants.

Tous ces contenants pourront être rapportés au même centre de collecte. L’uniformisation de la consigne permettra d’accélérer la procédure autant pour les consommateurs que pour le personnel affecté à la récupération. Les cartons de lait et de jus seront également consignés, mais dans un second temps.

Du sur mesure

Sept projets pilotes permettent déjà aux consommateurs de rapporter la presque totalité de leurs contenants de 100 ml à 2 L dans des centres de dépôt misant complètement ou partiellement sur l’automatisation.

Dans trois villes et un arrondissement de Montréal, des récupératrices automatisées sont dotées d’un lecteur optique de code-barre permettant de trier en une fraction de seconde le verre, le plastique, le carton et l’aluminium, ce qui prévient la contamination d’une matière par une autre. Les trois autres projets consistent en des centres combinant des récupérations automatisée et manuelle.

Huit mois après le lancement de cette expérience, une chose est sûre: il n’y a pas de modèle unique, les centres urbains n’ayant pas les mêmes besoins que les zones rurales étendues et peu peuplées. «Ça doit être à géométrie variable, indique Sonia Gagné. Mais il faut aussi que ce soit accueillant et propre.»

Cela dit, le centre de collecte de Granby s’est démarqué en raison d’un ensemble de conditions gagnantes: doté de six gobeuses dernier cri, il a été aménagé sur un lot regroupant un supermarché, une pharmacie, un dépanneur, une station d’essence et un restaurant.

«Il y a toujours un employé sur place pour aider les clients pendant les heures d’ouverture», explique Mme Gagné. Le personnel est rémunéré par le propriétaire de l’épicerie IGA Saint-Pierre, qui a ouvert ce centre de dépôt dès mai 2020 et en a fait activement la promotion. «En fin de compte, les projets pilotes les plus performants sont ceux qui ont été le mieux présentés auprès de la collectivité desservie», note la PDG de RECYC-QUÉBEC.

Un bilan en demi-teinte

Le Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets (FCQGED) a aussi analysé les sept projets pilotes et relevé les qualités du modèle implanté à Granby. «Le lieu est vaste, c’est convivial, les gobeuses sont bien entretenues», résume le directeur général, Karel Ménard. Tout ça, c’est «beaucoup de trouble pour le commerçant, mais ça attire de la clientèle», ajoute-t-il.

Au cours des six premiers mois, le centre a traité en moyenne 86 000 contenants par semaine, soit l’équivalent de 4,5 millions par année. La capacité réelle est de 10 millions par année.

À l’inverse, le centre de collecte de la SAQ de Terrebonne a affiché «une moyenne hebdomadaire assez faible» de 1 000 contenants. «Et 85 % des contenants rapportés étaient des bouteilles de vin», précise Mme Gagné.

Le rapport intérimaire remis à RECYC-QUÉBEC en janvier indique que les nouvelles générations de gobeuses sont plus efficaces, mais qu’il faudrait probablement accroître leur nombre pour répondre à la demande aux heures d’affluence et prévenir la frustration des consommateurs lorsqu’un appareil est en panne. «Il faut aussi s’assurer de la mise à jour constante des banques de données de codes-barres pour réduire le volume de rejet», explique Sonia Gagné.

Cela dit, l’automatisation ne règle pas tout. Les consommateurs ont besoin d’un service personnalisé. «Les centres de dépôt offrant la mixité sur le plan de la collecte (automatisée et manuelle) nous ont semblé être ceux étant les plus efficaces et offrant une meilleure expérience pour les utilisateurs», peut-on lire dans le rapport interne du FCQGED.

On note cependant que la plupart des projets pilotes sont difficilement accessibles à pied ou en transport en commun. Même si la plupart des consommateurs profitent d’une virée à l’épicerie pour rapporter leurs contenants consignés, il serait important que les futurs centres de dépôt soient assez près des circuits d’achats habituels «et non pas excentrés dans des parcs industriels ou ailleurs».

L’analyse insiste aussi sur la nécessité d’avoir des heures d’ouverture régulières pour fidéliser la clientèle. «Des portes fermées, ça incite les gens à faire des dépôts sauvages», souligne Karel Ménard.

De la grogne dans les rangs

Bien qu’ils soient partie prenante de cette expérience, plusieurs acteurs de l’industrie se font encore tirer l’oreille. Des critiques ont souligné que le taux de récupération des bouteilles de vin et de jus, et des cartons de lait, actuellement non consignés, est très faible. Le rapport périodique remis à RECYC-QUÉBEC confirme que le taux de retour de ces contenants est de moins de 6 %.

Au début de janvier, l’Association canadienne des boissons estimaient que la plupart des consommateurs ne voyaient pas l’intérêt de rapporter des contenants sans contrepartie financière.

«Pour nous, chaque projet pilote ne visait pas forcément un objectif de volume de contenants, rétorque Sonia Gagné. Ce n’était pas le critère déterminant. Il fallait plutôt évaluer comment, par exemple, les choses se déroulent dans des conditions estivales et hivernales, dans des contextes commerciaux différents.»

L’idée était aussi de tester l’efficacité de chaque modèle. «Par exemple, la coopérative Les Valoristes a démontré qu’on peut récupérer et recycler les cannettes écrasées, alors que le centre de Mont-Laurier a prouvé la viabilité d’un projet communautaire combinant récupération et employabilité», souligne Karel Ménard.

On voit aussi poindre une résistance en prévision de la consignation des contenants multicouches utilisés pour le conditionnement du lait et du jus. Agropur, le Conseil des industriels laitiers du Québec et le Conseil de la transformation alimentaire du Québec ont lancé il y a quelques semaines la campagne «Mon lait dans le bac».

Par un curieux sophisme, la campagne affirme que «l’inclusion des contenants de lait dans le projet d’élargissement de la consigne visant les "prêts à boire" devrait être évitée, puisque le lait est un aliment essentiel, contrairement aux jus, aux boissons alcoolisées et aux boissons sucrées». Mme Gagné balaie ces arguments du revers de la main: «Il y a eu des consultations auxquelles toutes ces entreprises ont participé, rappelle-t-elle. Il s’agit maintenant de s’ajuster au changement.»

Dans d’autres juridictions, les contenants multicouches sont consignés. C’est le cas depuis 2009 en Alberta et depuis le 1er février en Colombie-Britannique. «Et cette matière est traitée au Québec. La société Fibres Sustana a une usine à Lévis qui peut le faire, ajoute Mme Gagné. Mais pour l’instant elle est obligée de s’approvisionner aux États-Unis!»

Cette nouvelle protestation n’étonne pas Karel Ménard: «Les opposants à la consigne s’opposent encore… Avant, ils s’en lavaient les mains en finançant les bacs à récupération des municipalités plutôt que de participer à mettre en place la consigne.»

En 30 ans, rappelle-t-il, la consommation annuelle des Québécois est passée de 70 millions à un milliard de bouteilles d’eau en plastique. «On en récupère tout au plus 30 %. La collecte sélective a atteint ses limites d’efficacité; elle n’est pas adaptée aux volumes actuels ni aux autres types d’emballage apparus au fil des années.»

Karel Ménard n’en revient toujours pas que, sous la pression de l’industrie, on ait fini par enlever les séparateurs dans les bacs de récupération. «C’était une bonne idée… sur papier! Ça a facilité la tâche des consommateurs et ça a contribué à augmenter les quantités de matières récupérées, dit-il. Mais la récupération, ce n’est pas du recyclage ni de la réutilisation!»

La collecte sélective a donc, selon lui, encouragé la quantité au détriment de la qualité. À l’inverse, la consigne permet la traçabilité. «Avec la collecte sélective actuelle, 0 % du verre récupéré est recyclé – 0 %! Parce que les fragments sont contaminés par d’autres matières.» Résultat: des tonnes de verre refusées par des conditionneurs qui doivent s’approvisionner à l’étranger pour fournir les rares manufacturiers de contenants de verre au Québec…

La peur des brasseurs

L’Association des brasseurs du Québec craint pour sa part que la nouvelle consigne élargie ne cannibalise son propre système privé de consignation des bouteilles de bière brunes, puisque les consommateurs pourront désormais les rapporter dans un centre de dépôt avec leurs cartons de lait et autres récipients de plastique.

«Je comprends un peu leur réaction, dit Karel Ménard. Ils paient déjà pour un système qui fonctionne. Ils ne veulent pas payer pour un système concurrent qui va en plus les priver de leurs ressources», c’est-à-dire ces bouteilles brunes réutilisables de 10 à 15 fois. «Nous, ce qu’on dit, c’est que le gouvernement et les brasseurs doivent se parler.»

D’autres petits embouteilleurs risquent aussi de faire les frais de la nouvelle consigne publique, comme Marco, La Pinte, Bulls Head. Toutes leurs bouteilles sont consignées et retournables aux points de vente. «Que fera-t-on avec eux?», demande Karel Ménard.

«Consigner tous les contenants de boissons ensemble, ça permet d’avoir un message unifié, fait valoir la PDG de RECYC-QUÉBEC. Le citoyen ne sait pas forcément ce qui distingue les contenants à remplissage multiples, comme les bouteilles de bière brunes, des contenants à remplissage unique.»

Sonia Gagné dit comprendre les craintes des brasseurs, mais rappelle qu’ils sont «autour de la même table que nous» dans ce projet et qu’une fois l’élargissement de la consigne mis en marche, «il revient aux entreprises de déterminer quels sont les meilleurs moyens de l’appliquer».

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