Votre navigateur n'est plus à jour et il se peut que notre site ne s'affiche pas correctement sur celui-ci.

Pour une meilleure expérience web, nous vous invitons à mettre à jour votre navigateur.

Des maisons unifamiliales devenues trop grosses?

Par Caroline Bertrand
grosses-maisons Slavun/Shutterstock.com

Alors que le Québec est aux prises avec une crise du logement abordable et que le nombre de personnes par ménage continue de diminuer, la taille des maisons unifamiliales neuves ne cesse d’augmenter. Un constat paradoxal en cette ère de crise écologique planétaire.

Des ménages plus petits habitent des maisons plus grandes : c’est ce que montrent les données de l’Office de l’efficacité énergétique de Ressources naturelles Canada qu’a mises en lumière le chercheur Colin Pratte, de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS).

Au Québec, les maisons unifamiliales représentaient 43,7 % du parc immobilier en 2020, indique Ressources naturelles Canada.

En 60 ans, la taille moyenne de ce type d’habitation a crû de 76 %. La superficie moyenne des maisons unifamiliales construites de 1961 à 1977 était de 112 m2, tandis que celles bâties de 2016 à 2020 atteignent une superficie moyenne de 198 m2. Et ces données n’incluent pas les sous-sols des maisons, souvent aménagés au Québec.

tableau-surface-maisons

Source : données extraites de l’Office de l’efficacité énergétique de Ressources naturelles Canada, Base de données nationale sur la consommation d’énergie, tableaux 16 et 19

Pourtant, le nombre moyen de personnes par ménage, lui, a diminué. « On était à environ 4 personnes par ménage dans les années 1950-1960 ; aujourd’hui, on en est à 2,2, indique en entrevue Colin Pratte. Autrement dit, des ménages plus petits habitent des maisons plus grandes. C’est tout à fait paradoxal. »

Sur les 41 pays de l’OCDE, le Canada offre le nombre le plus élevé de pièces par habitant, soit 2,6, selon l’index Better Life de l’OCDE. Il devance ainsi la Nouvelle-Zélande et les États-Unis, à 2,4. La moyenne des pays de l’OCDE est de 1,7.

De plus grosses maisons, des taxes foncières plus élevées

Les données analysées par Colin Pratte laissent poindre une question d’envergure. Au regard de la crise écologique mondiale doublée d’une crise du logement abordable au Québec, devrait-on réglementer la taille des maisons neuves pour en éviter l’inflation? D’autant que la grosseur des ménages s’amenuise depuis des décennies.

À l’heure actuelle, ce sont les municipalités qui régissent la réglementation de construction et de rénovation tout comme le zonage. Or, « elles tirent environ les trois quarts de leurs revenus des taxes foncières, souligne le chercheur de l’IRIS. Puisque l’avis d’imposition est corrélé à la valeur des habitations, elles n’ont que très peu d’intérêt à réglementer à la baisse la taille des maisons. »

L’équation est simple : restreindre la dimension des maisons pourrait signifier percevoir moins de revenus fonciers. « Voilà pourquoi on ne voit pas émerger d’approches réglementaires municipales pour renverser cette tendance. Il y a de toute évidence un “désincitatif” ici », constate Colin Pratte.

Écofiscalité

S’il n’est pas d’avis que l’on devrait réglementer ou interdire la construction de bâtiments selon leur taille, le titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie et professeur au département de sciences de la décision de HEC Montréal Pierre-Olivier Pineau estime que « si on est assez riche pour habiter une grande maison avec des pièces vides, on devrait être en mesure de contribuer à la crise du logement à travers des taxes supplémentaires ».

Afin de contribuer à freiner l’augmentation de la surface moyenne par personne dans les maisons, le spécialiste suggère la création d’un système d’écofiscalité.

« Au Québec et depuis 2000, la taille des logements augmente d’environ 0,5 m2 par personne par an. On est passé de 47 m2 en 2000 à 59 m2 en 2020, précise-t-il. Une taxe spéciale sur la superficie des logements dépassant 50 m2 par personne pourrait être levée et contribuer à la construction de nouveaux logements. »

« Si on choisit d’avoir beaucoup d’espace pour soi, on doit permettre aux autres d’en avoir aussi », ajoute M. Pineau.

Au moment de l’entrevue avec Protégez-Vous, Colin Pratte, de l’IRIS, revenait tout juste d’une conférence durant laquelle la Ville de Victoriaville avait affiché ses couleurs en matière d’écofiscalité. « La municipalité a décidé de prévoir des taxes additionnelles selon le coefficient d’occupation du sol d’une propriété, révèle-t-il. Grosso modo, sur un lot donné, passé un certain seuil de pieds carrés, la surface additionnelle sera taxée davantage. C’est un “désincitatif” à une plus grande emprise au sol. »

Le chercheur fait tout de même remarquer que réglementer l’emprise au sol des demeures peut inciter à les construire plutôt en hauteur.

Conséquences économiques et écologiques

L’augmentation constante de la taille des maisons unifamiliales n’est pas sans répercussions environnementales et économiques.

D’une part, « une maison plus grande nécessite plus d’énergie lors de son occupation et plus de ressources naturelles à sa construction ou pour son entretien », relève M. Pratte. L’empreinte écologique du parc immobilier est donc accrue. 

D’autre part, ces énormes demeures nourrissent la crise du logement, en plus de nuire à l’accès à la propriété.

« La maison unifamiliale surdimensionnée écarte d’emblée des modes d’habitations plus denses, tels que le multiplex ou la jumelée, explique le chercheur de l’IRIS. À terme, il y a moins d’unités sur le marché. Et si on veut maintenir un même nombre d’unités avec des maisons plutôt qu’avec des habitations plus denses, ça se fait au prix de l’étalement urbain. »

Or, l’étalement urbain coûte cher non seulement aux ménages, par exemple pour le transport, mais aussi aux municipalités. « Amener les services toujours plus loin occasionne des dépenses », précise l’expert.

Quant à l’accès à la propriété, un parc constitué de résidences de plus en plus grosses est forcément moins abordable. « La grandeur des maisons est corrélée à leur prix », dit le chercheur, en soulignant que nombre de ménages se butent à des maisons qui dépassent non seulement leur budget, mais aussi leurs réels besoins en matière d’espace. « Les ménages ont très peu de prise sur le type de maisons disponibles sur le marché », rappelle-t-il.

Des maisons moins grandes, une question d’équité sociale ?

Si une réglementation encadrait à la baisse la taille des maisons neuves, quel message cela enverrait-il d’un point de vue social ? Colin Pratte y va d’une réponse relevant de la philosophie politique : « On jugerait que ce serait garant d’une égalité entre les membres de la société, et ce, peu importe leurs revenus respectifs. De plus, le caractère surdimensionné des maisons serait perçu comme quelque chose de nuisible, et ce, peu importe le revenu des occupants. »

Et finalement, qu’est-ce qui explique la croissance fulgurante de la taille des unifamiliales au cours des dernières décennies ?

Outre le régime fiscal des municipalités, abordé plus haut, le chercheur note le symbole de réussite accolé à la maison – « c’est valorisé socialement, au même titre que peut l’être la grosse voiture de luxe » – ainsi que le rôle des promoteurs, qui tirent profit de la construction de maisons plus grandes.

« Il est courant de voir dans les banlieues du Québec des promoteurs acheter des bungalows, les démolir pour ensuite les reconstruire sur deux étages avec garages multiples et, au passage, en tirer un bénéfice important », conclut Colin Pratte.

À lire ausi : Notre guide Rénovation

  Ajouter un commentaire

L'envoi de commentaires est un privilège réservé à nos abonnés.

Il n'y a pas de commentaires, soyez le premier à commenter.