Pourquoi boit-on le vin dans des verres à pied ?

Si le serveur vous apportait votre vin rouge dans un gobelet en métal au restaurant, vous feriez sûrement la grimace. Or, pendant très longtemps, le gobelet métallique était le contenant de référence pour déguster la boisson bachique.

Qui a inventé le verre à pied ?

C'est seulement à la fin du Moyen Âge, autour du XIIIe siècle, que l'on voit apparaître les premiers verres à pied, indique Loïc Bienassis, historien de l'alimentation (Institut Européen d'Histoire et des cultures de l'Alimentation/Université de Tours). À cette époque, la verrerie commence à faire parler d'elle, notamment grâce à l'expertise des verriers de Murano, en Italie. Certains affirment même que le tout premier verre du genre serait né sur l'île, mais ce n'est pas tout à fait exact. «Les verriers vénitiens produisaient évidemment des verres à pied de haute qualité, mais ils ne représentaient pas le seul foyer de création, rectifie l'historien. Il existait d'autres fabricants en Europe, comme en Bohême par exemple [région d'Europe centrale qui constitue la partie ouest de la République tchèque, NDLR] ainsi que des ateliers au rayonnement plus local, d'où sortaient des produits de qualité moindre».

Si ce nouveau verre transparent dressé sur un pied fait tant sensation, c'est qu'il permet aux dégustateurs, jusqu'ici cantonnés au gobelet métallique, d'admirer la robe du vin sous toutes ses coutures. Contrairement à l'image que l'on se fait des banquets médiévaux, le vin n'est pas toujours englouti à grandes lampées, comme le suggère le film Les Visiteurs. En effet, la dégustation constitue déjà un art en soi. «Dès le Moyen Âge, il est question d'examen visuel du vin», indique Loïc Bienassis. On saisit son verre de vin par le pied pour le boire d'abord avec les yeux, mais aussi pour respecter les bonnes manières. «Dans les manuels de savoir-vivre de l'époque, notamment lors des cérémonies officielles, il est recommandé de tenir son verre à vin par le pied», relève le spécialiste. De nos jours, on reconnaît à ce format un avantage technique : le pied, autrement appelé tige ou jambe, nous permet d'aérer facilement le vin pour recueillir ses précieux arômes. De plus, ce dernier nous évite de tenir le verre par le calice et de risquer de chauffer le breuvage entre nos mains.

Une sombre affaire d'empoisonnements

Outre ces aspects visuels, culturels et techniques, certains écrits relient l'essor des verres à pied avec une sombre affaire d'empoisonnements… Pour comprendre, il faut faire un bond dans le temps. Nous sommes au XVIIe siècle, en France et plus exactement, à Versailles. Une série de meurtres au poison sème le trouble à la cour du Roi-Soleil et menace dangereusement sa sécurité. Les verres à pied se seraient alors imposés comme une parade efficace pour détourner les malfaiteurs. Pourquoi ? Ce format aurait contraint les serveurs à tenir le verre par la tige, les dissuadant ainsi d'introduire discrètement une substance toxique dans le calice. Mais alors, mythe ou réalité ? «C'est une pure légende, corrige l'historien. Cette anecdote n'est absolument pas documentée !».

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Le verre à pied, une habitude récente ?

Quand bien même le verre à pied apparaît dès le XIII^e siècle, il ne supplante pas tout de suite le gobelet. Ces deux formats continuent de coexister encore un long moment. «À Paris, le verre à pied gagne véritablement du terrain à partir du XVIe siècle, au détriment du gobelet. Toutefois, le verre à pied reste majoritairement réservé à l'élite (la bourgeoisie et l'aristocratie), notamment du fait du prix élevé du verre», précise le spécialiste. Il faudra attendre le XIX^e siècle pour qu'il s'impose vraiment sur toutes les tables. «À cette époque, on assiste à une hyperspécialisation des objets de la table, retrace-t-il. On retrouve de plus en plus de verres à pied, chacun destiné à un usage spécifique : verre à vin rouge, à vin blanc, coupe de champagne, etc.». Un panel qui s'est étoffé avec le temps et qui continue de se développer aujourd'hui pour séduire nos palais de plus en plus exigeants.