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Le Médoc des initiés

Philippe Roy Aurimages

De Saint-Estèphe à Margaux, balade œnologique dans quelques fleurons du vignoble bordelais labellisés Crus Bourgeois.

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CHÂTEAU LE CROCK

C’est l’autre pépite de la famille ­Cuvelier, propriétaire du grand cru classé Léoville Poyferré et de Moulin Riche (AOC saint-julien). Le Crock a rejoint la famille des crus bourgeois en 1932. En 1855, il avait raté le classement parce que George Merman, le propriétaire de l’époque, n’avait pas, en tant que membre du comité de sélection, présenté son vin, alors que les critiques lui donnaient toutes les chances d’y accéder. Les connaisseurs n’ont, eux, jamais perdu de vue ce cru.

Didier ­Cuvelier, après quarante ans de bons et loyaux services, a pris sa retraite (entre consulting et voyages de promotion), Olivier est à la tête de la branche négoce de la famille et préside l’Alliance des crus bourgeois, Sara Lecompte Cuvelier, leur cousine, dirige désormais la gestion des propriétés et sa sœur Anne, la communication et l’œnotourisme. Tout ça rondement mené, l’énergie est un trait de famille. Dans une autre vie, Sara s’est épanouie dans la gestion et les ressources humaines de groupes hôteliers. Le vin l’a rattrapée, la cinquan­taine venue.

Un marqueur familial depuis deux siècles avec d’abord la création d’une maison de négoces dans le Nord, puis l’acquisition, dans la première moitié du XXe siècle, des propriétés bordelaises. Sara a passé deux ans sur les bancs de Bordeaux Sciences Agro, puis de l’Institut des sciences de la vigne et du vin pour se préparer et appuie à fond sur l’accélérateur pour être sur tous les fronts dans chaque propriété. Elle a trouvé, sur le plateau de Marbuzet, entre Cos d’Estournel et Montrose, le vignoble du Crock en ­pleine santé. Le terroir de graves garonnaises et de sable en surface, d’argiles en sous-sol, est planté en cabernets sauvignon et franc, plus un tiers de merlot et 5 % de petit verdot. La propriété a fait le choix de la culture raisonnée. Ébourgeonnage, vendanges vertes pour des rendements maîtrisés, récoltes manuelles, cuvier gravitaire et parcellaire, cuves inox et ciment thermorégulé, extractions douces… Les équipes du grand cru classé et du cru bourgeois sont les mêmes et œuvrent aux vignes et chais ainsi que la même œnologue Isabelle Davin.

Sara peut aussi compter sur les conseils de Michel Rolland pour les vendanges et les assemblages. L’élevage de 18 mois bénéficie de 30 % de barriques de chêne français neuves. Charpente exceptionnelle, grande finesse aromatique, important potentiel de garde, Le Crock jouit d’une clientèle fidèle et a remporté deux fois la Coupe des crus bourgeois avec les millésimes 2010 et 2012. "J’ai eu la chance de démarrer avec un millésime 2018 incroyable, atypique et délicieux, fruité, délicat, crémeux, suave… se réjouit Sara. Les raisins étaient très concentrés, avec une bonne acidité. Je regrette qu’on n’ait fait que 35 hectolitres par hectare, à cause de la séche­resse. Cette année, nous avons obtenu la certification HVE3, et on vise encore mieux, la norme 14001. Nous poursuivons nos tests en bio, comme à Poyferré ; ici, à raison de 5,8 hectares sur 31,79 exactement. Nous ne sommes pas encore dans une démarche de certification, nous nous laissons le temps d’étudier. Le dossier de classement aux crus bourgeois avec mention complémentaire a été un travail de titan. Cela nous a obligés à donner un coup d’accélérateur aux travaux déjà engagés. Il a fallu aménager le nouveau bureau du chef de culture, rénover le portail d’entrée et les pignons, ­refaire totalement la salle de réception, rénover le chai et le cuvier."

La mésaventure de 2018 n’est pas oubliée : le 2 août, le lendemain de la prise de fonctions officielle de Sara, un incendie avait détruit un hangar, quatre tracteurs et les deux tiers du stock. "Les voisins, Pomeys, Léoville Barton, Haut-Marbuzet, se sont montrés très solidaires. Un an après, on peut enfin démarrer la reconstruction." Le marché est à 60 % national, une rareté pour un cru aussi renommé. "Nous ne sommes pas sur la place de Bordeaux car, historiquement, “nos” maisons de négoces HCF et Cuvelier-Fauvarque ont Le Crock en exclusivité et nous vendons en direct à la propriété et en ligne via l’appli", explique Sara Lecompte Cuvelier. Le Crock, c’est la maison de famille, de cœur, de vacances des cousins Cuvelier. Peut-être un jour le château accueillera-t-il des chambres. Pour l’instant, son parc aux arbres centenaires est ouvert au public, avant ou après les visites dégustations, les parties de croquet, les chasses au trésor, les escape games… "Je continue à développer l’œnotourisme, explique Sara, j’ai même embauché une guide à l’année, chargée aussi de renforcer notre présence sur les réseaux ­sociaux Instagram et Facebook." Communiquer, sans doute la seule chose qui manquait encore à cette propriété trop discrète.

NOM : Châtau Le Crock
COMMUNE : Saint-Estèphe
APPELLATION : saint-estèphe
Cru bourgeois depuis 1932
NOM DU PROPRIÉTAIRE ACTUEL: Famille Cuvelier
SURFACE EN EXPLOITATION :31,79 hectares
NOMBRE DE BOUTEIILLES PRODUITES: 120 000


CHÂTEAU LILIAN LADOUYS

Lilian Ladouys fut la toute première acquisition de Jacky et Françoise ­Lorenzetti, en 2008, un an avant le grand cru classé Pédesclaux, à Pauillac. L’objectif a été de replacer le vin parmi les meilleurs de son appellation et de l’Alliance. "La priorité : remettre en cohérence la propriété, de la vigne au chai", indique Vincent Bache Gabrielsen, qui la dirige. Le vignoble a été remembré, recentré sur les bons terroirs du cœur de l’appellation, en graves (80 % du do­maine maintenant) et colluvions argilo-sableuses. Certaines parcelles ont été vendues, d’autres acquises, une tren­taine a fait l’objet d’échanges avec les voisins, et les vignes du château Tour de Pez font désormais partie du vignoble de Lilian Ladouys.

"Nous sommes dans la seconde phase du remembrement, trois parcelles ont encore été échangées récemment. Le rythme d’arrachage et de replantation se poursuit au rythme de 1,5 hectare par an, les bons porte-greffes produisent les résultats escomptés. Sur les 75 hectares en production, on tend vers un encépagement de 50 % de cabernet sauvignon - il confère la tension recherchée à nos merlots (45 % de l’ensemble, cultivés sur des sols argilo-calcaires), 4 % de cabernet franc et 4 % de petit verdot. Nous avons désormais un terroir d’une grande richesse, dont 30 % de très belles graves qui donnent le cru bourgeois. Il ne représente pour l’instant que 20 % de la production ; c’est le gage de notre engagement qualitatif. " Après des vins "trop rustiques, trop extraits ", la propriété, conseillée par Éric ­Boissenot, présente aujourd’hui des vins puissants et gourmands, des saint-estèphe plaisants dès leur jeunesse qui conservent leurs qualités de garde. Le 2017 (50 % de merlot, 43 % de cabernet sauvignon et 7 % de petit verdot) arrive sur le marché, "un très joli vin, rare car précoce sur un terroir tardif. Très salivant, une belle fraîcheur, très élégant ".

La France représente le tiers du marché de Lilian Ladouys, présent sur les circuits traditionnels, cavistes et restaurants, et ponctuellement sur les foires aux vins. Le reste est exporté vers cinquante pays, notamment les États-Unis. 2009, le premier millésime des Lorenzetti a été classé par le magazine The Wine Spectator parmi les quatre meilleurs saint-estèphe, aux côtés de trois crus classés, Cos d’Estournel, Calon-Ségur et Montrose. Le millésime 2011 classé dans le top 100 de la revue, la Coupe des crus bourgeois pour le 2012, le classement de la propriété HVE3 (seuls 3 hectares sont cultivés en bio pour le moment, mais la question passionne Manon Lorenzetti, la fille des propriétaires, responsable de la branche viticole du groupe) et le travail de fond entrepris sur la propriété ont véritablement remis Lilian Ladouys dans le viseur des professionnels comme dans celui des amateurs. "Nous candidatons logiquement pour la mention cru bourgeois exceptionnel ", conclut Vincent Bache Gabrielsen.

NOM : Château Lilian Ladouys
COMMUNE : Saint-Estèphe
APPELLATION : saint-estèphe
Cru bourgeois depuis 1932
NOM DES PROPRIÉTAIRES ACTUELS : Jacky et Françoise Lorenzetti
SURFACE EN EXPLOITATION : 75 ha
NOMBRE DE BOUTEILLES PRODUITES : 340 000

CHÂTEAU PEYRABON

Le château XIXe style Renaissance a une certaine allure, le propriétaire de l’époque plaçait d’ailleurs d’autorité son cru parmi les classés, ce qu’il n’était pas. Il consentit tout de même à être cru bourgeois supérieur. Dévasté par le gel de 1956, le vignoble a été presque entièrement replanté, des parcelles du voisin Liversan venant l’agrandir. En 1998, Peyrabon est acquis par Patrick ­Bernard, propriétaire de la maison de négoce Millesima, qui investit 2 millions d’euros dans sa modernisation. Premier millésime : 1999.

"En vingt ans, on a beaucoup évolué, se félicite son fils Fabrice Bernard, le dirigeant actuel. On a arraché et replanté quelques hectares pour monter à 36 actuellement sur des sols argilo-calcaires et gravelo-sableux plantés à 60 % en cabernet sauvignon , 35 % en merlot et 5 % en petit verdot et cabernet franc. On a drainé, restructuré... "

Cartographie des parcelles par infrarouge, vendanges manuelles, tri optique, nouvelle cuverie… tout pour hisser la qualité du cru. Les vins sont élevés 14 mois dans 25 % de barriques neuves. "Ce qu’on veut donner, c’est encore plus de charme et de précision. C’est important à la dégustation pour les vins jeunes." "Un grand médoc doit être un vin de garde", complète Xavier Michelet, le directeur et maître de chai de la propriété depuis trente ans.

"Oui, aussi, bien sûr, ajoute Fabrice Bernard. Disons qu’un cru bourgeois est un vin de consommation qui doit pouvoir aussi avoir de la garde. Il faut trouver des marges de progression, on teste pas mal de choses, comme l’enherbement total. Et les boîtes à musique dans les vignes, contre l’esca, une maladie du bois. Là, on cale !" Renseignement pris, la génodique fonctionne sur les ondes d’échelle qui relient les différents niveaux de structure des organismes vivants. Son action se base sur la transposition sonore de séquences d’acides aminés de protéines dont on cherche à réguler la synthèse. La diffusion de "protéodies ", séquences de sons spécifiques de protéines, permet de réguler le taux de synthèse, au niveau cellulaire, pour ralentir la croissance des champignons nuisibles et renforcer le processus de défense naturelle de la vigne.

"Le système est développé par Aquitaine Genodics, la musique est diffusée à 7 heures et 19 h 30. À moins de 30 % de mortalité, on ne paiera rien", précise le propriétaire. Stay tuned, alors ! "Établir le dossier de candidature pour les crus bourgeois a été passionnant, assure Fabrice Bernard. Cela nous a permis, en fouillant dans les archives, de voir d’où on vient et ce que l’on veut être. Nous candidatons pour la mention “supérieur”. Nous avons obtenu le niveau 1 à la dégustation, ce qui nous permettrait d’être “exceptionnel”, mais les travaux de mise en valeur du site ne sont pas terminés." La propriété produit environ 13 000 caisses, vendues à l’international. Millesima en commercialise un dixième, hors grande distribution ; le reste est confié à la place de ­Bordeaux. Le vin est vendu en primeur et en livrable, pour moitié. Les primeurs conviennent-ils aux crus bourgeois ? "Oui, car cela leur donne de la visibilité, mais les ventes se font en fin de campagne. Le marché est hyper-sélectif, et ce pour la deuxième année : les négociants, nous compris, ne veulent que les grands millésimes. La GD a encore des stocks de 2015 et de 2016." Fabrice ­Bernard, lui, souhaite valoriser ­Peyrabon en regard des investissements consentis, tout en le gardant dans la catégorie des vins plaisir.

NOM : Château Peyrabon
COMMUNE : Saint-Sauveur
APPELLATION : haut-médoc
Cru bourgeois depuis 1932
NOM DU PROPRIÉTAIRE ACTUEL :Millesima
SURFACE EN EXPLOITATION : 37 hectares
NOMBRE DE BOUTEILLES PRODUITES : 156 000

CHÂTEAU PALOUMEY

"Paloumey, c’est le lieu où passent les palombes", précise Pierre Cazeneuve. On ne peut faire plus médocain. Sa famille aussi l’est, médocaine. Pierre, ingénieur agronome, a repris l’an dernier le flambeau de sa mère Martine. Elle a littéralement ressuscité ce domaine, réputé au XIXe, tombé en déshérence, qu’elle a acquis, elle la Blayaise, en 1989 (avec une participation discrète de la famille Savare, propriétaire d’Oberthur Fiduciaire, spécialiste mondial de l’impression de billets de banque), alors qu’il n’avait plus ni vignes ni chai. Mais le terroir l’intéressait. Elle commence par replanter des pieds de vigne dans le parc et va reconstituer en trente ans la propriété telle qu’elle était au XIXe.

"Daniel Llose, l’homme clé des domaines JM Cazes, nous a conseillés et a été notre œnologue pendant trente ans, indique Pierre. Mon enjeu, c’est de restructurer le vignoble, 35 ha de cabernet sauvignon (55%) et de merlot (45 %). J’ai vingt-cinq ans devant moi, à raison d’un hectare et demi par an. Cela passe par replanter nord-sud sur certaines parcelles, diversifier le matériel - on a un seul clone de cabernet sauvignon, donc pas de diversité -, renforcer la présence du cabernet, apporter du petit verdot, planter des arbres et des haies - il n’y en a plus dans le Médoc -, pour refaire du paysage et favoriser la biodiversité, choisir un porte-greffe permettant d’enherber sans trop concurrencer la vigne pour les ressources en eau, sur ces sols pauvres et chauds, matrice sableuse, graves garonnaises et très peu d’argile…Ah, nous voici sur le plateau de La Lagune, poursuit Pierre, on a ici 10 hectares de très beaux terroirs… La Lagune et Cantemerle, nos voisins, n’étaient pas encore voraces quand on a acheté."

Un peu plus loin, sur un hectare en fermage pour la mairie, il a fait planter par les élèves une haie fruitière (pommier, prunier, noisetier, figuier), "manière concrète de les intéresser à leur environnement et au vignoble". Le sien est en cours de certification bio. Pierre n’a pas de certitudes toutes faites sur les vertus du bio quant à la qualité du vin : "On n’a pas assez de recul, de millésimes derrière nous, pour le savoir", mais des convictions. Et il constate que deux tiers des 6 000 visiteurs annuels à la propriété lui posent la question du bio.

"Personne ne le faisait il y a cinq ans !" Il a aussi en projet un nouveau bâtiment technique autosuffisant en énergie, et le toit de la réception vendanges sera couvert de panneaux photovoltaïques. Et il teste pour le millésime 2018 trois barriques Stockinger (chauffe moyenne) de chêne du ­Tronçay, une de 500 litres, deux en 228 litres dont l’une a été réalisée selon les principes de la biodynamie, avec un effet attendu sur l’expression aromatique. Bref, un esprit curieux et l’énergie nécessaire pour mener de front plusieurs chantiers, s’occuper aussi de La Garricq, 3 hectares en AOC moulis (ex-cru bourgeois), de La Bessane, 3 hectares à Margaux, tout en développant l’œnotourisme à Paloumey (sa mère a été l’une des pionnières dans le Médoc), avec de multiples visites, ateliers pédagogiques et une boutique qui réalise près de 20 % des ventes. 2018 n’a pas été un millésime facile : la grêle a ravagé 60 % du vignoble, attaqué ensuite par le mildiou, dans la deuxième année de transition vers la certification biologique...

Très faibles rendements à l’arrivée, mais des raisins de qualité. Pierre est sûrement un affectif. Il fait goûter des millésimes qui marquent des jalons dans sa vie personnelle : 1995, ses études à Purpan ; 2010, l’année de naissance de sa fille ; 2015, ses premières vendanges à Paloumey… "Veloutés, fins, floraux : voilà nos vins, mais je souhaite leur apporter plus de moelleux, de gras et d’ampleur en milieu de bouche. On y travaille avec Axel Marchal, notre consultant. "

NOM : Château Paloumey
COMMUNE : Ludon-Médoc
APPELLATION : haut-médoc

CHÂTEAU DU TAILLAN

Dans la famille Cruse, on trouve ­Emmanuel à Issan, Anabelle à Corbin, Vanessa à Laujac et Armelle à Taillan. "Vous voyez les peupliers tout au fond ? Ils marquent la frontière entre le Médoc et les Graves où se situait la propriété quand mon ancêtre Henri Cruse l’a acquise, en 1896", explique Armelle Cruse depuis la terrasse du château, une beauté XVIIIe aux portes de Bordeaux. Elle en a hérité, avec ses cinq sœurs, à la mort de son père en 1992. Elle travaille alors dans le négoce chez Borie-Manoux et décide de prendre la gestion de ce cru bourgeois, qu’elle ouvre tout de suite au public.

"À l’époque, c’était quasi inédit, personne n’y croyait", rappelle Armelle, fière de ce coup d’avance. Les vins représentent aujourd’hui 60 % du chiffre d’affaires, l’œnotourisme et la vente à la propriété, 40 %. Particulièrement utile en cas de crise : le gel a détruit 70 % de la récolte en 2017 et la grêle, 50 % en 2018. La propriété compte 32 hectares, 30 hectares en rouge AOC haut-médoc (encépagé en 70 % de merlot, 20 % de cabernet sauvignon et 10 % de cabernnet franc) et, inhabituellement, 2 hectares en bordeaux blanc (Château La Dame Blanche, 100 % sauvignon blanc).

Les étiquettes respectives représentent chacune une façade du ­château du Taillan. "Je suis la première viticultrice et œnologue des cinq générations qui se sont succédé ici", dit Armelle, qui, en vingt-cinq ans, a remembré 25 hectares et modernisé ses installations. "Les caves et le chai voûtés du XVIe, inscrits à la liste des Monuments historiques de France, sont uniques dans le Médoc", indique-t-elle. Il y règne effectivement une atmosphère particulière, solennelle, "mais elles n’étaient plus adaptées, non plus que le cuvier ", désormais converti aux petites cuves tout inox. Armelle a confié la direction technique de la propriété à Joséphine Duffau-Lagarrosse, jeune œnologue, ingénieur agronome et master de commerce international, qui a fait ses classes en Nouvelle-Zélande et en Californie. "J’aime donner leur chance aux femmes", dit-elle. Sans doute pas un hasard, pour celle qui a débuté dans un monde alors encore très masculin.

"Tout le dossier de la certification du château en HVE3, le top en matière environnementale, Joséphine l’a mené de bout en bout. Toutes ces questions sont de sa génération, elle les maîtrise, elle nous fait avancer. C’est important pour nous vis-à-vis du négoce et de certains marchés." Cent vingt mille bouteilles de ce cru bourgeois souple, gourmand, suave et sur le fruit, élevé 12 mois en barriques (20 % neuves, 50 % d’un vin) sont produites chaque année et vendues pour moitié à l’export (et sur la très chic Singapour Airlines). "Les vins médocains sont faits pour développer leur complexité en vieillissant, mais la majorité des personnes que je reçois ici aime les vins ­jeunes", constate Armelle Cruse, qui les tient cependant à disposition d’amateurs plus classiques des millésimes ­matures.

Le château du Taillan accueille 10 000 visiteurs par an, sept jours sur sept, multiplie les visites dégustations, thématiques, et ouvre son parc aux ­arbres centenaires aux balades et aux pique-niques. " Il faut toujours surprendre ", commente Armelle, qui est aussi vice-présidente de l’office de tourisme de Bordeaux, représentant la viticulture, et en charge de la promotion au sein de l’Alliance des crus bourgeois. Avec sa fille Margot Falcy, designer, elle a ouvert au sein de la boutique un mini-concept store. On y trouve les bijoux de Margot et une ligne d’objets aux logos du Taillan et de La Dame Blanche. Le cocker noir et mascotte du château est en tête des ventes. Armelle a été à l’origine, en 2005, de l’association des ­Médocaines, réunissant Paloumey, ­Loudenne et La Tour de Bessan, pour doper l’œnotourisme. Il en reste des visites conjointes avec Paloumey, une propriété tout en contraste avec le Taillan.

NOM : Château du Taillan
COMMUNE : Le Taillan-Médoc
APPELLATION : haut-médoc
cru bourgeois depuis 1932
NOM DU PROPRIÉTAIRE ACTUEL :Les cinq filles d’Henri François Cruse
SURFACE EN EXPLOITATION : 32 ha
NOMBRE DE BOUTEILLES PRODUITES EN CRU BOURGEOIS : 100 000 en année normale
NOMBRE TOTAL DE BOUTEILLES PRODUITES : 150 000, toutes couleurs confondues


CHÂTEAU BEL AIR GLORIA

De toutes les propriétés des domaines Henri-Martin, c’est la seule qui ne soit pas en AOC saint-julien et c’est sans doute la moins connue. Mais tout comme Château Saint-Pierre (4e grand cru classé en 1855), Château Gloria (créé pièce à pièce par le fondateur Henri Martin entre les années 1930 et 1970), Château Peymartin, son second vin, et, enfin, Château Haut-Beychevelle Gloria (le cru historique de la famille), Bel Air Gloria bénéficie des mêmes soins, des mêmes installations techniques, du même consultant ès médocs, Éric Boissenot.

Et parfois des mêmes équipes, même s’il a aussi la sienne dédiée à la vigne. Ce qui autorise Jean Triaud, petit-fils du fondateur et cogérant des domaines Henri Martin, à dire : " Bel Air Gloria est produit à la façon d’un saint-julien, même si ce n’en est pas un : une partie de nos vignerons sont dédiés au haut-médoc, mais la vinification est faite à Saint-Julien, comme tous nos vins. Il bénéficie de la synergie globale des domaines. Si on n’avait que ce seul château, je ne suis pas sûr qu’on pourrait le produire à ce niveau. Anciennement dénommé Bel Air, nous l’avions mis en valeur et rattaché clairement à nos propriétés en lui ajoutant, depuis le millésime 2014, le fameux “Gloria” ", poursuit Jean Triaud. La marque et les vignes furent acquises par son grand-père en 1980, qu’il compléta par quelques hectares achetés auprès de différents propriétaires à Cussac, dont Bernard Ginestet. " Le vignoble s’étend aujourd’hui sur 34 hectares très qualitatifs, répartis en trois blocs : en bord de rivière sur des graves argileuses, propices au merlot ; autour du village, sur des graves sableuses, favorables au cabernet sauvignon (majoritaire à 75 %) ; sur le plateau à la frontière de Saint-Julien, la meilleure part, sur des graves argilo-sableuses et du calcaire. " Comme à Saint-Julien, les vignes de Bel Air Gloria sont travaillées en bio et en bio-contrôle. "On n’est pas dogmatique mais ­pragmatique. "

Le château est cru bourgeois depuis 2003. "Le Médoc est auréolé par le classement 1855. Mais celui-ci laisse dans l’ombre certaines zones tampons qui ne sont pas loin de la qualité des communales. D’où l’utilité de l’Alliance, qui fait la promotion d’une famille de vins de qua­lité. Le label a rassuré les consommateurs ; aujourd’hui, ils ont peut-être besoin de plus, comme d’une hiérarchie, ce qu’apportera le nouveau classement en 2020, commente Jean Triaud. La propriété a candidaté pour la mention complémentaire “cru bourgeois supérieur”. On pouvait prétendre à “exceptionnel” quant au vin lui-même, mais certains critères, concernant l’histoire ou le patrimoine architectural de la propriété (Bel Air Gloria est un château sans château), ne nous le permettaient pas. Et, en termes de promotion, on n’a pas toujours fait pour Bel Air Gloria le même effort que pour nos autres propriétés. " Le cru bourgeois est distribué en exclusivité par Sovex, en grande distribution, mais évidemment mieux valorisé à l’export selon l’attractivité du millé­sime. " C’est un vin médocain, donc avec un potentiel de vieillissement, mais, élevé un an dans 25 % de barriques neuves pour préserver le fruit avec un boisé discret, il est aussi accessible jeune. "

NOM : Château Bel Air Gloria
COMMUNE : Cussac-Fort-Médoc
APPELLATION : haut-médoc
Cru bourgeois depuis 2003
NOM DU PROPRIÉTAIRE ACTUEL :Domaines Henri Martin
SURFACE EN EXPLOITATION : 34 hectares


CHÂTEAU LAMOTHE-BERGERON

C’est un château de carte postale, et, malgré tout son charme, il est resté à l’abandon dans les années 1990. Il fut racheté en 2009 au Crédit agricole (qui l’avait acquis auparavant auprès des négociants Cordier-Mestrezat) par les cognacs H. Mounier & Hardy, et c’est Laurent Mery, un ex du négoce, qui en prend la direction en même temps que lui-même change de vie.

Que fait-on ? Le vignoble de 67 hectares de belles graves garonnaises qui "regardent la rivière ", comme on dit dans le Médoc des meilleurs terroirs, et les installations techniques sont en bon état. Reste à conférer plus de précision et d’élégance au vin. C’est Hubert de Boüard qui s’y colle, précision des vinifications, extractions douces, finesse, éclat, équilibre et gros travail sur le milieu de ­bouche, qui gagne en ampleur. Le millésime 2012 en fait nettement la démonstration.

Laurent Méry s’attelle à réveiller la ­belle endormie en créant une offre œnotouristique originale sept jours sur sept pour lui donner la visibilité qu’elle mérite. Le château second Empire, qui a pour voisins les crus classés Ducru Beaucaillou et Beychevelle, est restauré et décoré dans un style contemporain. Les visiteurs sont accueillis au salon - rares sont les propriétés qui ouvrent ainsi "vraiment " leurs portes - avant de s’aventurer dans le vignoble.

De l’" observatoire à terroir ", on em­brasse d’en haut et d’une vue large, cadrée, les vignes (52 % merlot, 44 % cabernet sauvignon, en progression, 2 % petit verdot, 2 % cabernet franc), tout en croquant les baies des différents cépages. La suite de la visite se déroule dans le cuvier : sur la paroi en inox d’une cuve, un film en mapping illustre très synthétiquement le processus de vinification, puis les hologrammes d’Hubert de Boüard et Laurent Mery convient les visiteurs à une séance d’assemblage. Place enfin à la dégustation, puis au pique-nique, et même à la sieste de Bacchus sous les arbres centenaires. Une singularité et une moder­nité bienvenue qui renouvellent le ­genre, récompensées par deux Best of Wine Tourism en 2016 et 2018, et qui séduisent 9 000 visiteurs chaque année. À l’étude, la création de la Table de ­Lamothe-Bergeron.

La propriété (cru bourgeois supérieur en 2003) a candidaté pour la mention cru bourgeois exceptionnel, qui couronnerait dix ans de travail. "Il fallait vraiment clarifier l’offre parmi 271 châteaux. Si cela n’avait pas été décidé, ­Lamothe-Bergeron serait sorti de ­l’Alliance. Le label pour cinq ans, c’est bien. Dix ans comme à Saint-Émilion reste envisageable ", commente ­Laurent Méry. Le vin est commercialisé à 60 % en France (cavistes et foires aux vins), le reste à l’export dans 60 pays.
Cerise sur le bouchon, la cuvée premium Nove, moins de 6 000 bouteilles, réunit les cabernet sauvignon, merlot et petit verdot de trois parcelles dédiées et offre un vin plus charnu.

NOM : Château Lamothe-Bergeron
COMMUNE : Cussac-Fort-Médoc
APPELLATION : haut-médoc
cru bourgeois depuis 1932
NOM DU PROPRIÉTAIRE ACTUEL :Cognacs H. Mounier & Hardy
SURFACE EN EXPLOITATION : 67 hectares


CHÂTEAU MALESCASSE

"J’ai besoin d’être surpris tout le temps. Il faut que j’aie un coup de cœur. Je n’achète pas pour spéculer, ni un vignoble ni une œuvre, je ne revends jamais rien", explique Philippe Austruy, dont le vin et l’art sont les deux passions. Malescasse a piètre réputation quand il l’acquiert en 2012. Et, onze ans auparavant, la Commanderie de ­Peyrassol, en Provence, tombe en ruine lorsqu’il décide de la reprendre. "Relever des propriétés, je ne fais que ça, sinon ça m’ennuie. Stéphane Derenoncourt, mon consultant, m’avait assuré que le terroir de ce cru bourgeois était formidable, qu’on y ferait un grand vin et qu’il faudrait dix ans. Nous travaillons comme un cru classé, et nos notes primeur 2018 sont celles des grands vins. Nous avons donc candidaté pour la mention “exceptionnel” pour le prochain classement des crus bourgeois, en 2020. Nous y resterons si l’on obtient la mention. " Philippe ­Austruy, souvent pionnier dans ses affaires, a fait fortune dans les cliniques privées, les maisons de retraite, l’hospitalisation à domicile, les crèches. Il ne suit aucun modèle, uniquement son propre chemin." Mon premier millé­sime, c’était le 2012. Le 2013, dantesque du point de vue du climat, n’était pas au niveau de nos ambitions, donc j’ai pris la décision de ne pas le commercialiser. Cela a créé un certain émoi à Bordeaux… On s’est fait sortir de l’Union des grands crus. "

Malescasse, posté sur un point culminant des croupes graveleuses du Haut-Médoc, à l’écart de la route des châteaux, avait précédemment appartenu à Alcatel, le groupe l’ayant lui-même acquis auprès de Guy et Alfred Tesseron (Pontet-Canet et Lafon-Rochet). La priorité a été de restructurer le vignoble de 40 hectares d’un seul tenant, planté sur un terroir pauvre sablo-graveleux sur un substrat de calcaire. En sept ans, il a été presque entièrement restructuré au profit du cabernet sauvignon (49 %), majoritaire sur le merlot (45 %) et le petit verdot (6 %). Restent 2 hectares pour terminer dans les deux ans le programme de replantation, essentiellement en cabernet sauvignon. Des merlots ont été replantés dans les parties basses du domaine, les cabernets sauvignons déplacés au plus haut de la croupe graveleuse, la densité portée à 10 000 pieds par hectare. Sur 32 hectares en production, 31 hectares sont plantés entre les rangs de céréales et 9 hectares enherbés, de manière à décompacter les sols et à leur redonner vie tout en maîtrisant la vigueur de la vigne.

Enfin, 8 hectares sont en essai de culture biologique. Le cuvier parcellaire et gravitaire (bois, béton, inox) accueille un lustre géant du maître allemand de la lumière, Ingo Maurer, dont il n’existe que deux exemplaires au monde (l’autre à l’Atomium de Bru­xelles). Le chai est peint en noir, écrin velouté pour les 400 barriques de ­chêne, et une sculpture de Bernar ­Venet trône devant le château. Les fermentations malolactiques se déroulent dans 30 % de bois neuf, les vins sont élevés 14 mois en fûts de chêne (dont 35 % neufs). La majeure partie du cru bourgeois (45 % de la production, le reste en Moulin rose de Malescasse) part à l’export. Issu des plus vieilles ­vignes, il a gagné en puissance d’expression et, depuis le millésime 2015, il est proposé en primeur.

Comme pour toutes ses autres propriétés de Provence (Commanderie de ­Peyrassol), de Toscane (Casenuove) et du Douro (Quinta da Corte), Philippe Austruy mise sur l’œnotourisme : la propriété a reçu le Best of Wine Tourism 2018 dans la catégorie architecture et paysages. La boutique ultra-chic, où l’on trouve tous ses vins, accueille aussi des ateliers (dégustations, accords…). Enfin, la chartreuse XVIIIe est devenue un château d’hôtes, ponctué d’œuvres d’art et d’objets design, qui se loue en totalité et propose deux suites et deux chambres. Déjeuners, dîners et dégustations se commandent à la carte.

NOM : Château Malescasse
COMMUNE : Lamarque
APPELLATION : haut-médoc
Cru bourgeois depuis 1932
NOM DU PROPRIÉTAIRE ACTUEL : Vignobles Austruy
SURFACE EN EXPLOITATION : 40 hectares
NOMBRE DE BOUTEILLES PRODUITES : environ 70 000


CHÂTEAU DE MALLERET

Le vin, les chevaux… Aux XIXe et XXe, la propriété s’est développée sur ce double socle, au sein d’un immense domaine aux portes de Bordeaux. Une époque qu’Aymar du Vivier, l’ambassadeur de Malleret, n’a aucun mal à restituer. Il est l’un des descendants de la famille Clossmann (négociants d’origine allemande établis à Bordeaux dès le XVIIIe siècle), propriétaire du château. Il se souvient que son père, éleveur, gagna le Prix de l’Arc de triomphe avec l’un des chevaux du haras de ­Malleret. Aujourd’hui, on n’y élève plus de champions de course, mais des chevaux de dressage, dans des installations d’un luxe inouï, tout près du pavilllon second Empire et à l’ombre de liquidambars, séquoias géants, cèdres du Liban… de l’immense parc bordé de bois et de vignes. Il fallait, bien sûr, pour le vin, un écrin à l’aune de ce patrimoine remarquable. Sylvain Dubuisson, l’architecte de la tour Cartier à Tokyo, du Louvre Médiation, du bureau de Jack Lang au ministère de la Culture, et également designer, l’a dessiné, donnant une valeur esthétique tout à fait originale à un outil technique de pointe. Les installations ont doublé de surface. Le cuvier, couvert d’un treillage monumental blanc sur fond ocre, est bordé d’un côté par le bouteiller et de l’autre par les chais. Parcellaire, il accueille 54 cuves béton." De 40 à 140 hectolitres, couleur ocre elles aussi, du même fabricant italien que celles de Cheval Blanc", indique Paul Bordes, le gérant.

La " tuyauterie " technique est invisible. Le lacis de la charpente de chêne évoque le laçage d’un corset - ou bien sont-ce les courbes des cuves qui y font penser ? Deux miroirs placés à chaque extrémité du cuvier mettent en abyme la perspective. Les cuves reçoivent par gravité les raisins cueillis manuellement et triés par densimétrie. Justes proportions, équilibre des forces, trajectoires nettes, la même rectitude est développée dans le chai, modulable, qui peut contenir jusqu’à 1 000 barriques et accueille des dîners. L’éclairage est signé Hervé Descottes, une des stars de la discipline (il a notamment réalisé celui des boutiques Louis Vuitton dans le monde et celui de la grande salle de la Philharmonie de Paris). Tous les bâtiments fonctionnent en énergie passive alimentés par des puits canadiens qui assurent une température constante de 13 °C.

Tout a été pensé au service du vin. Stéphane Derenoncourt, consultant pour la vigne et le chai, dispose de l’outil longtemps attendu pour des extractions douces et des vinifications précises. Las, Malleret a joué de malchance. En 2017, le gel a touché 95 % du vignoble et, en 2018, le premier millé­sime en bio a été détruit à 85 % par la grêle. Des revers pour Aymar du Vivier et Paul Bordes, qui piaffaient de tester à plein régime le nouvel équipement de Malleret après la restructuration du vignoble. Sur 60 hectares de graves günziennes et de graves fines, 14 hectares ont été arrachés, 100 000 pieds de vigne complantés, 4 hectares de cabernet franc ont été surgreffés en cabernet sauvignon et en merlot. " Nous visons 60 % de cabernet sauvignon, 36 % de merlot et 4 % de petit verdot ", explique Paul Bordes. Effeuillage, vendanges vertes, travail sous le rang, engrais vert issu de la taille, céréales entre les rangs pour oxygéner les sols… l’ambition de qualité exige la minutie. « L’objectif est d’augmenter le rendement à 45 hecto­litres par hectare », ajoute Aymar du Vivier. Les vins sont élevés en finesse dans un tiers de barriques neuves, un tiers de barriques d’un vin, un tiers de barriques de deux vins.

Malleret est majoritairement exporté. Et puisque tout désormais l’y conduit, Malleret a candidaté pour la mention cru bourgeois exceptionnel au classement de 2020.

NOM : Château de Malleret
COMMUNE : Le Pian-Médoc
APPELLATION : haut-médoc
Cru bourgeois depuis 1932
NOM DES PROPRIÉTAIRES ACTUELS : Descendants Clossmann
SURFACE EN EXPLOITATION : 60 ha
NOMBRE DE BOUTEILLES PRODUITES : 100 000


CHÂTEAU BELLE-VUE ET CHÂTEAU DE GIRONVILLE

D’une propriété, deux. Le vignoble de Gironville, un ancien cru bourgeois disparu en 1929 lors de l’arrachage des vignes, est replanté en 1987. Les propriétaires d’alors identifient des parcelles supérieurement qualitatives. Une cuvée de prestige est créée en 1996 : Belle-Vue. Belle-Vue deviendra par la suite château à part entière.

Les deux propriétés sont acquises en 2004 par Vincent Mulliez, un passionné de vin, spécialiste des fusions-acquisitions d’une banque américaine dans une autre vie. Il relance les propriétés à la vigne comme au chai (et acquiert dans le même temps Bolaire, voisin). En quelques années, Belle-Vue devient le haut-médoc en vue, impressionne par sa précision dans le fruit, la texture, la densité. Aux commandes des trois châteaux, Vincent Bache-Gabrielsen (le directeur actuel du cru classé ­Pédesclaux et du cru bourgeois Lilian Ladouys), qui en a rehaussé encore la qualité, et, depuis le début de l’année, Yannick Reyrel, œnologue et consultant de nombreuses propriétés en Gironde.

On est ici à la limite de Margaux. " L’une des parcelles de Belle-Vue jouxte d’ailleurs le château Giscours, indique Yannick Reyrel. Les sols graveleux sont assez identiques de Belle-Vue à Gironville, 14,6 hectares pour le premier et 5,2 hectares pour le second, plantés à une densité de 7 000 pieds par hectare. Mais les encépagements diffèrent. Belle-Vue, c’est 50 % de cabernet sauvignon, 30 % de merlot, 18 % de petit verdot, 1 % de cabernet franc et 1 % de carménère, des ­vignes de plus de 35 ans en moyenne ; ­Gironville, c’est 100 % de (vieux) cabernet sauvignon. " Deux profils bien distincts et originaux. Un assemblage de cinq cépages pour Belle-Vue avec une part élevée de petit verdot, qui signe la typicité Sud-Médoc et confère richesse tannique et acidité équilibrée par la rondeur du merlot et la droiture du cabernet sauvignon. Un monocépage pour Gironville. La même équipe intervient sur les deux vignobles : travail du sol superficiel, engrais vert, compost pour stimuler la vie microbiologique des sols, zéro désherbant chimique, zéro CMR, les deux propriétés sont classées HVE3. Au chai, les macérations préfermentaires à froid préservent la meilleure expression de fruit, les extractions sont douces, les vins élevés de 14 à 18 mois. " Belle-Vue est recherché pour sa suavité, son velouté, son crémeux ", évoque Yannick Reyrel. L’ensemble de la production pour chacun des châteaux est affecté aux crus bourgeois. Belle-Vue a candidaté à la mention cru bourgeois exceptionnel dans le futur classement 2020. B. B.

NOM : Château Belle-Vue
COMMUNE : Macau
APPELLATION : haut-médoc
Cru bourgeois depuis 2003
NOM DU PROPRIÉTAIRE ACTUEL : Héritiers Mulliez
SURFACE EN EXPLOITATION : 14,6 hectares
NOMBRE DE BOUTEILLES PRODUITES :100 000 à 120 000

NOM : Château de Gironville
COMMUNE : Macau
APPELLATION : haut-médoc
Cru bourgeois depuis 1929, puis 2003
NOM DU PROPRIÉTAIRE ACTUEL : Héritiers Mulliez
SURFACE EN EXPLOITATION : 5,2 hectares
NOMBRE DE BOUTEILLES PRODUITES : 30 000

CHÂTEAU FOURCAS-BORIE

Une maison de maître ennoblie par un cèdre et un marronnier majestueux, rien à voir cependant avec la splendeur architecturale pur XVIIIe en bord de Garonne de Ducru Beaucaillou, la gemme classée de Saint-Julien, fleuron de Bruno Borie. Ici, on est à une centaine de mètres de l’église du modeste bourg de Listrac.

La propriété a beau être moins prestigieuse, Bruno Borie est viscéralement attaché à cette appellation de listrac-médoc, où il possède aussi Château Ducluzeau, qui est " dans la famille de ma mère depuis le XVIIIe siècle. Mes premiers souvenirs de vendange sont ici. " Ceci explique cela. "Cette appellation méconnue mérite qu’on s’intéresse à elle. D’ailleurs, je le répète à l’envi, la dernière bonne nouvelle à Bordeaux, c’est Listrac. "

Fourcas-Borie est distant d’une vrille de Ducluzeau. Bruno Borie a acquis en 2009 Fourcas-Dumont, qu’il rebaptise à son nom et relance. " Il ne nous restait plus que 4 hectares à Listrac. Aujourd’hui, nous en avons 70 dont 52 hectares (potentiellement 65 hectares) à Fourcas-Borie. On va d’ailleurs planter 5 hectares en merlot cette année. " Des sols argilo-calcaires en majorité, et de graves à l’est et au sud, plantés de 70 % de merlot (leur particularité), 20 % de cabernet franc, 10 % de petit verdot, en culture raisonnée, voilà pour le terroir. " Le cru a un maître de chai dédié, mais l’exigence de qualité est la même pour toutes nos propriétés, l’organisation est matricielle ", explique Bruno Borie. Un chai semi-enterré, un cuvier inox et béton. Les vins sont juteux, désaltérants, fruités, ronds.

" Il s’agit d’éviter la dureté et le râpeux archaïques. " Défi relevé. Des vins pas prétentieux, " gourmands, charmeurs, décomplexés ", pas forcément de grande garde, ce n’est pas ce qui est recherché ici. Ils sont élevés 12 mois dans 20 % de fûts neufs et 80 % d’un vin (chêne français), le bois reste très discret. Le 2016, séveux, est déjà prêt à boire. Les quelque 4 000 caisses par an sont majoritairement exportées vers les États-Unis et l’Asie (distribuées en exclusivité par Ulysse Cazabonne). " Le challenge, c’est de faire exister la propriété sans le “remorquage” de ­Ducru-Beaucaillou ", explique Bruno Borie. Fourcas-Borie est donc entré, en 2015, dans l’Alliance des crus bourgeois, qui promeut cette famille de vins partout dans le monde. Sur l’Alliance elle-même, Borie est clair : "Elle maintient la cohérence et la cohésion médocaine. Et moi, je suis médocain avant tout. " Quand on évoque la disparité de la famille, il objecte qu’il y a "beaucoup plus d’écarts de prix entre les 61 crus classés qu’entre les 270 crus bourgeois ". Lui candidate pour la mention "exceptionnel " dans le prochain classement. L’étiquette très originale du vin, rouge sombre et dentelles de feuilles de vigne, semble désignée pour. En France, on trouve Fourcas-Borie surtout sur table. Bruno Borie, lui-même fin cuisinier, en parle avec faconde. "Ce vin est un vin de plaisir, un vin de campagne haut de gamme, à servir sur des plats simples et savoureux, des cèpes, des volailles, un salmis de canard, par exemple ".

NOM DU CHÂTEAU : Château Foucas-Borie
COMMUNE : Listrac-Médoc
APPELLATION : listrac-médoc
Cru bourgeois depuis 2015
NOM DU PROPRIÉTAIRE ACTUEL :SCA Château Fourcas-Borie Verif

CHÂTEAU HAUT BRETON LARIGAUDIÈRE

Les nouvelles installations de Haut ­Breton Larigaudière, en cours de construction, feront-elles autant parler qu’en son temps le chai futuriste de La Croizille, une autre propriété familiale à Saint-Émilion ? C’est en tout cas la même architecte, Marie-Sophie Gary, qui a été mandatée pour concevoir un bâtiment réceptif reliant le cuvier au château et améliorer la réception vendanges et le chai de stoc­kage. L’essentiel étant de mettre en valeur le château et d’en relever le potentiel œnotouristique, à l’instar de ce qui a été réussi à La Croizille (primé plusieurs fois par des Best of Wine ­Tourism Awards).

La famille De Schepper, c’est en réalité cinq châteaux rive droite et rive gauche. Ces négociants belges de Gand, à l’origine fabricants de genièvres et de liqueurs, se sont lancés dans la production dès 1950 avec l’acquisition de Tour Baladoz à Saint-Émilion, Émile de Schepper pensant alors que posséder un château dans le Bordelais serait un atout pour vendre du vin au plat pays. Suivront, en 1964, Haut Breton Larigaudière, le cru bourgeois en AOC margaux ; en 1994, Château Tayet (ex-Les Charmilles) en AOC bordeaux supérieur ; en 1996, La Croizille, un saint-émilion grand cru voisin de Tour Baladoz ; et enfin, en 2004, Lacombe Cadiot en AOC bordeaux supérieur.

Quand la famille achète Haut Breton ­Larigaudière, le vignoble est réduit à 2 hectares et le bâti est en piteux état. La propriété sera remembrée et agrandie peu à peu pour constituer aujourd’hui 15 hectares, répartis en une vingtaine de parcelles bénéficiant de terroirs très différents, graves profondes et sableuses sur Arsac (3,5 hectares), et graves argileuses sur Soussans (11,5 hectares). La part belle revient au cabernet sauvignon, 70 % de l’encépagement, secondé par le merlot (25 %) et le petit verdot (5 %), plantés à 10 000 pieds par hec­tare. Il aura fallu une vingtaine d’années d’efforts pour que le vignoble, en culture raisonnée, certifié ISO 14001 et HVE3, donne son meilleur.

Après la macération préfermentaire à froid, 15 à 30 jours en cuves, béton et inox, les vinifications parcellaires, en limitant les remontages et soutirages, le grand vin bénéficie d’un élevage en barrique de 15 à 20 mois en barrique de chêne français, dont 50 à 100 % de barriques neuves. Haut Breton Larigaudière, dont les vins séveux et frais sont caractérisés par une très forte majorité de cabernet sauvignon, est aujourd’hui l’un des domaines en vue sur l’appellation, qui compte par ailleurs peu de crus bourgeois. Les vins des cinq propriétés sont commercialisés par De Mour et Rabot­vins, les activités négoce de la famille De Schepper, pour 70 % à l’export, 30 % en France hors grande distribution. B. B.

NOM : Château Haut Breton Larigaudière
COMMUNE : Soussans
APPELLATION : margaux
NOM DU PROPRIÉTAIRE ACTUEL : famille De Schepper
SURFACE EN EXPLOITATION :15 hectares


Dans le Médoc, le propriétaire Jean Guyon mécontent

Jean Guyon est devenu en 30 ans propriétaire de 185 hectares qui produisent 1,2 million de bouteilles par an. Il est un acteur majeur de la famille des crus bourgeois, avec quatre propriétés en AOC médoc : Greysac, 68 hectares rachetés à la famille Agnelli (Fiat), Tour Seran (15 ha, dont le premier propriétaire fut le « prince des Vignes », le marquis de Ségur, qui possédait Lafite, Mouton, Latour et Calon Ségur), La Clare, la plus discrète et Rollan de By, la plus connue (87 ha de graves et graves argileuses).La liste s’allonge encore avec les châteaux La Rose de By, de By et du Monthil et bien sûr, le fleuron Haut Condissas. « Je n’ai jamais acheté que sur des croupes du quaternaire qui donnent sur la rivière », revendique Jean Guyon. « Tout ce que je veux, c’est faire rayonner ce nord Médoc. »

Tout a commencé en 1989 avec 2 hectares. Passionné de vins, Jean Guyon a complété petit à petit sa « collection de terroirs » pour lesquels il ne lésine pas sur les moyens, ni à la vigne ni aux chais. L’homme est connu pour son franc-parler : « Les crus bourgeois, j’étais fervent sur le concept, il avait un sens…au début. Aujourd’hui, cela manque de transparence et de cohérence. »

La sélection officielle 2019 vient d’écarter Rollan de By, La Clare et Greysac et ne retient que Tour Seran. « Comment se fait-ilque Rollan de By, qui est parmi les vins les plus primés en médailles d’or, noté 90/100 par les dégustateurs internationaux, servi sur Air France en classe affaires depuis douze ans, ne se trouve tout à coup plus digne d’être cru bourgeois ? C’est invraisemblable. Qui donc nous juge ? Quali-Bordeaux ? On ne sait pas qui goûte ni quelles sont les compétences de ceux qui nous évaluent. Le label va finir par ne ressembler à rien. Heureusement, je ne dépends pas du négoce pour vendre mes vins, je les vends moi-même. Heureusement, Rollan de By est une marque reconnue internationalement. Économiquement, ça ne va pas changer grand-chose. Mais pour La Clare et Greysac, ce sera plus impactant. J’attends les résultats du prochain classement de 2020 qui réintroduit les mentions. Je les analyserai et je me réserve le droit de poursuivre. Je l’ai fait savoir officiellement. »

Château Cambon La Pelouse, vainqueur de la Coupe des Crus bourgeois 2019, change de mains

Deux jolis crus bourgeois en AOC haut-médoc ont été acquis cet été par des investisseurs étrangers. Après Liversan, dont le groupe chinois Yantai Changyu Pioneer a acquis la majorité des parts (le français Advini devenant actionnaire minoritaire), c’est Cambon La Pelouse, vainqueur de la Coupe des crus bourgeois 2019, qui tombe dans l’escarcelle du géant australien Treasury Wine Estates. TWE possède et distribue dans le monde 70 marques, dont la plus premium et la plus connue en France reste Penfolds avec son fleuron Grange.

Pour Derek Nicol, directeur des approvisionnements de TWE pour l’Europe, « la France est une source importante. L’acquisition de Cambon La Pelouse entre dans notre stratégie de construction d’un portefeuille français et de consolidation de notre modèle flexible d’approvisionnement. » Un porte-parole de TWE ajoute : « Une part de cette acquisition pourra être utilisée pour les marques Penfolds et Beaulieu. En 2018, nous avons lancé nos vins français sous la marque Maison de Grand Esprit. Nous nous approvisionnons déjà dans toute la France. À Bordeaux, dans le Médoc, à Saint-Émilion, à Saint-Estèphe. Nous voulons enrichir notre portefeuille français, avec l’ambition qu’il connaisse autant de succès sur les marchés internationaux que nos vins australiens. »

Quel sera donc, compte tenu de ces déclarations, le destin de la propriété sous cette nouvelle bannière ? Elle produit deux crus bourgeois -Cambon La Pelouse et Trois Moulins - et, sur 50 ares, un margaux, L’Aura. « Nous n’en sommes qu’au début de notre réflexion sur ces trois labels. Nous devons consulter nos principaux clients », résume le porte-parole de TWE.

Quoi qu’il en soit, Cambon La Pelouse a candidaté, dans le classement 2020, pour la mention «exceptionnel ». L’ex-propriétaire Jean-Pierre Marie est fier du chemin parcouru, mais « s’est résolu à vendre, faute de relais familial. Cambon s’est trouvé à un moment charnière. Vous avez des stratégies, ça marche bien, puis ça change, et vous comprenez qu’il y a un besoin de réflexions différentes pour pérenniser la propriété… »

Après une carrière dans la grande distribution, il avait acquis en 1996 ces 65 hectares. « Une taille raisonnable et surtout placés entre deux crus classés, Cantermerle et Giscours. Quand j’ai acheté, le vin était vendu en direct l’équivalent de 4 euros dans quelques pays du nord de l’Europe… Je ne pouvais pas m’en contenter. » Aux grandes ambitions, les grands moyens : le vignoble, sur un sol majoritairement composé de graves maigres, limoneuses et sableuses du quaternaire, naturellement drainant, a été restructuré au profit du cabernet sauvignon, garant de son identité médocaine (55 % actuellement, avec objectif 60 %). Depuis 1999, 55 % de la surface a été arrachée et replantée à une densité de 6 800 pieds.

Le programme de replantation totale sera finalisé en 2030. En vingt ans, le désherbage chimique et les CMR2 ont été abandonnés, le sol mis au repos l’hiver, des haies forestières plantées… et le label HVE3 obtenu l’an dernier. Les vendanges mécanisées sur 95 % du vignoble (sauf jeunes vignes et petits verdots) rejoignent un cuvier inox gravitaire et un chai d’élevage rénovés. Le vin est élevé en barriques de chêne français durant 12 mois (35 % de barriques neuves, 50 % d’un vin pour un boisé léger), Hubert de Boüard conseille la propriété. Cambon La Pelouse est vendu à 90 % en primeur via la Place de Bordeaux depuis vingt ans. « Il fallait évidemment rentrer dans le marché des crus classés ! » commente Jean-Pierre Marie.Le marché français en absorbe 30 à 40 %, « avec un très beau succès en foires aux vins chez Leclerc et Super U », précise l’ex-dirigeant de grandes surfaces, et l’export 60 %. Des ratios très certainement à l’étude chez les nouveaux propriétaires.

NOM : Château Cambon La Pelouse
COMMUNE : Macau
APPELLATION : haut-médoc
Cru bourgeois depuis 1932 (supérieur en 2003)
NOM DU PROPRIÉTAIRE ACTUEL :Treasury Wine Estates
SURFACE EN EXPLOITATION : 46,44 hectares
NOMBRE DE BOUTEILLES PRODUITES : environ 200 000


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