► « Il n’y a pas d’armes magiques dans cette guerre »

Stéphane Audrand, consultant en risques internationaux et officier de réserve

Dans l’état actuel, les avions de chasse F-16 ne vont pas changer grand-chose, parce qu’il y en a très peu. Il y a un plan théorique pour en livrer plusieurs dizaines, aux alentours de 80 apparemment, mais il s’agit là des premières livraisons. Le nombre précis n’a pas été divulgué, mais il pourrait y en avoir entre dix et vingt. Si les Ukrainiens les montrent, c’est qu’ils en ont suffisamment. Autre point important, lors de leur présentation (dimanche 4 août, par le président ukrainien Volodymyr Zelensky, NDLR), ils ont été configurés pour la chasse avec des missiles antiaériens. Cela veut dire que ces F-16 vont être affectés en priorité au renforcement de la défense aérienne de l’Ukraine, où il y a des vulnérabilités, depuis la ligne de front jusqu’en profondeur, où les Russes frappent à peu près comme ils veulent. Le taux d’interception des missiles et des drones russes a fortement chuté parce que l’armée ukrainienne n’a plus de missiles.

Ces F-16 ne vont pas être engagés tout de suite dans des schémas plus complexes. L’armée ukrainienne doit réussir à les intégrer dans la guerre qu’elle mène. Le F-16 est un avion qui a été pensé avec l’état d’esprit de l’Otan dans les années 1970-1980, dans un contexte doctrinal occidental de guerre avec une grosse dominante de l’armée aérienne. Mais les Ukrainiens, eux, cherchent encore leur doctrine. Plusieurs questions se posent à eux : est-ce qu’on s’accroche au terrain ? Comment intégrer les nouvelles composantes ? Cet enjeu intellectuel est donc tout aussi important et crucial que les enjeux techniques et technologiques.

L’acquisition des F-16 ne changera rien à l’emplacement des combats ou au rapport de feu. Ils peuvent en revanche permettre d’augmenter le taux d’interception des drones et des missiles de croisière russes, et donc de mieux protéger les arrières ukrainiens, les industries, les villes, les infrastructures énergétiques, ainsi qu’aider à l’encerclement de la Crimée. Dans un contexte où le rapport de force avec la Russie n’est pas très favorable, construire cette armée aérienne est un outil indispensable, ne serait-ce que pour tenir dans la durée.

Mais il n’y a pas d’armes magiques dans cette guerre. On se focalise toujours sur la technologie du moment, car notre civilisation est très technophile et qu’on aime bien se dire que l’objet va résoudre le problème. La seule arme capable de tout changer du jour au lendemain reste l’arme nucléaire !