Edouard Philippe n’a «pas peur» de la réédition des textes antisémites de Céline

Le Premier ministre n’est pas opposé à la réédition des pamphlets de Louis-Ferdinand Céline à condition qu’elle soit « soigneusement accompagnée ».

 « Il y a d’excellentes raisons de détester l’homme, mais vous ne pouvez pas ignorer l’écrivain ni sa place centrale dans la littérature française », a déclaré le Premier ministre dans une interview au JDD.
« Il y a d’excellentes raisons de détester l’homme, mais vous ne pouvez pas ignorer l’écrivain ni sa place centrale dans la littérature française », a déclaré le Premier ministre dans une interview au JDD. AFP/BENOIT TESSIER

    Le débat sur les pamphlets antisémites de Louis-Ferdinand Céline s'invite jusqu'à Matignon. Dans un entretien au Journal du Dimanche, le Premier ministre Edouard Philippe a déclaré ne « pas avoir peur de la publication » de ces écrits, à condition qu'elle soit « soigneusement accompagnée ». « Il y a d'excellentes raisons de détester l'homme, mais vous ne pouvez pas ignorer l'écrivain ni sa place centrale dans la littérature française », a estimé le chef du gouvernement.

    Dimanche, la ministre de l'Enseignement supérieur Frédérique Vidal s'est fait l'écho des mots du Premier ministre. « Dans les universités, il n'y a pas de livres interdits », a-t-elle réagi sur France 3. « Ce qui est important évidemment, c'est qu'on explique le contexte, pourquoi ça a été écrit, qu'est-ce qu'on peut en penser ».

    Céline opposé à la réédition des pamphlets

    La polémique est née de la volonté de rééditer sous le titre « Ecrits polémiques » trois textes antisémites publiés entre 1937 et 1941 : « Bagatelles pour un massacre », « L'école des cadavres » et « Les Beaux draps ». De la fin de la Seconde Guerre mondiale à sa mort en 1961, Céline a toujours refusé de toute réédition de ces textes. Après avoir respecté la volonté de son mari pendant plus de cinq décennies, Lucette Destouches, aujourd'hui âgée de 105 ans, a finalement accepté une nouvelle publication des trois pamphlets aisément consultables sur Internet et sans appareil critique.

    Antoine Gallimard convoqué

    Au cours d'un rendez-vous avec Antoine Gallimard le 19 décembre dernier, le préfet Frédéric Potier, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah), avait mis en garde l'éditeur sur les risques d'une réédition, réclamant des « garanties » en matière d'accompagnement critique de l'ouvrage.

    De son côté, Gallimard assure que son « intention est d'encadrer et de replacer dans leur contexte des écrits d'une grande violence, marqués notamment par la haine antisémite de l'auteur ». L'édition française, dont la date de publication est encore incertaine, doit reprendre l'appareil critique de l'édition québécoise publiée en 2012 et établi par Régis Tettamanzi, spécialiste de l'oeuvre de Céline. La préface doit être signée par Pierre Assouline, écrivain et membre de l'académie Goncourt.

    La colère de Serge Klarsfeld

    Insuffisant pour plusieurs intellectuels, comme l'historien Pierre-André Taguieff. Coauteur de « Céline, la race, le Juif » publié l'année dernière, il estime que l'appareil critique prévu par Gallimard n'est pas assez complet. « Il n'y a pas d'éclairage historique. Et je crains qu'on ne tente de blanchir l'écrivain quant à son rôle pendant la guerre », a-t-il estimé pour L'Obs.

    D'autres personnalités se sont en revanche clairement opposées à toute réédition des textes antisémites de Louis-Ferdinand Céline. C'est le cas notamment du député La France insoumise Alexis Corbière, qui a appelé Gallimard à « renoncer » à cette réédition la semaine dernière. Serge Klarsfeld, défenseur de la cause des déportés juifs de France et réclamant l'interdiction de la publication de ces pamphlets, s'est lui indigné des propos d'Edouard Philippe.

    «Des textes nocifs et talentueux»

    « Il est probable que le Premier ministre n'a pas lu une seule page de ces abjects pamphlets anti-juifs », a-t-il réagi dans un communiqué. « Sinon il n'aurait pas utilisé l'argument de la place centrale de Céline dans la littérature française pour accepter la publication de ces pamphlets soigneusement accompagnés ». « Il n'est pas envisageable que la société politique française accepte la diffusion de tels textes nocifs et talentueux d'incitation à la haine raciale et à l'extermination des Juifs », a ajouté cet inlassable militant de la mémoire de la Shoah. « Nous ne laisserons pas republier de tels textes qui ont mené nos parents à la mort. »