Maladies professionnelles : le long combat des militaires du nucléaire

ENQUÃ?TE. Des anciens de la base sous-marine de l'île Longue ou du plateau d'Albion accusent les missiles nucléaires qu'ils ont entretenus sur ces sites d'être à l'origine de leurs maladies.

Maladies professionnelles : le long combat des militaires du nucléaire

    Une quarantaine de têtes grisonnantes, toutes tournées vers la tribune de cette salle de la banlieue de Brest. Au mur, une banderole : « Justice pour les irradiés des armes nucléaires ». Ces armes, à partir de 1972, ils les ont entretenues, remplacées. Sur le plateau d'Albion, près d'Apt, où étaient enterrés les missiles nucléaires français jusqu'en 1997, et à l'île Longue, à Brest, où s'ancrent toujours les sous-marins nucléaires.

    Pour la première fois, des anciens de ces deux sites se sont retrouvés vendredi dans le Finistère. Ces dizaines d'ex-travailleurs, militaires et civils, ont développé des pathologies qu'ils attribuent aux radiations. « Sept ans de missiles et toujours vivant ! se présente l'un d'eux. Avec quand même un petit cancer de la prostate. » Pour les « gros » cancers, ce sont les veuves qui portent désormais le combat de la reconnaissance.

    Un squelette de vieillard à 45 ans

    A cinq reprises, des leucémies ont été reconnues maladies professionnelles. Dans trois cas concernant des employés de la DCN (Direction des constructions navales, aujourd'hui DCNS), entreprise d'Etat, il a été admis une « faute inexcusable ». Mais, pour la majorité des autres dossiers, la justice comme la Sécurité sociale refusent de considérer les pathologies déclarées comme liées à la proximité des têtes nucléaires. « C'est un combat long, incertain, reconnaît Me Cécile Labrunie, qui porte la quasi-totalité des dossiers, mais il vaut la peine d'être mené. »

    L'avocate a déposé de multiples plaintes contre l'Etat. Mais la loi n'est pas avec elle. Pour les militaires, rien n'est prévu lorsqu'une maladie se déclare plus de trente jours après la fin de carrière. Du côté des civils, si l'on parvient, grâce aux relevés dosimétriques, à prouver que l'on a été irradié, le lien n'est présumé qu'avec trois types de cancer, dont la leucémie.

    Ancien commando de l'air, Leny Paris était chargé de la surveillance des missiles d'Albion. A 45 ans, il a perdu « 10 kg de masse osseuse, 4 cm de taille », connaît une fibromyalgie et une nécrose osseuse. Son squelette a la densité de celui d'un vieillard. Mais l'armée nie que son état soit lié à une exposition qu'elle assure en deçà des normes admises. « On ne parle pas que d'argent, prévient André, un ancien de l'île Longue. Ce que l'on veut, c'est que soient admises les responsabilités. On doit déjà se battre contre la maladie. C'est une honte qu'on nous impose en plus ce parcours du combattant judiciaire... »

    L'île Longue (Finistère), le 15 mars 2007. Sur cette base, un pic de rayonnement des têtes nucléaires destinées au sous-marin « Triomphant » a été relevé dès 1996. (AFP/Marcel Mochet.)

    Selon Francis Talec, président de l'Association des irradiés de l'île Longue, il est évident que « tout le monde savait ». En novembre 1996, des événements toujours classés secret-défense ont ainsi mis en évidence un pic de rayonnement neutronique des nouvelles têtes nucléaires TN 75, destinées au sous-marin « Triomphant ». Les ouvriers de l'arsenal ont alors été équipés de dosimètres.

    « La défense a fait mine de découvrir tout ça à ce moment-là, accuse Francis Talec. Or, l'existence de ces rayonnements est connue depuis les années 1950. Mais entre les deux : rien ! Aucune protection, aucunes mesures. Tout ça, c'est un mensonge d'Etat. » Un mensonge que les associations entendent bien percer.

    L'armée rejette toute responsabilité

    Si le combat est commun pour les anciens d'Albion et de l'île Longue, ces deux sites n'ont rien à voir entre eux, assure-t-on au ministère de la Défense : « Sur Albion, les sources radioactives étaient scellées. Sur l'île Longue, il s'agissait d'un processus industriel, avec des gens qui travaillaient plus près des têtes.»

    Dans les deux cas, alors même que des leucémies ont été reconnues comme maladies professionnelles, l'armée martèle que « l'exposition a toujours été inférieure aux normes admissibles, et ne peut être à l'origine des pathologies avancées ». La Défense admet qu'une meilleure protection aurait pu être nécessaire, mais seulement « lors du démantèlement d'Albion ».

    Quant à la « catégorisation », c'est-à-dire l'attribution du statut de travailleurs du nucléaire aux ouvriers de l'île Longue, en 1996, après une campagne de mesures du Commissariat à l'énergie atomique (CEA), le ministère avance qu'elle ne répondait à aucun danger. « Nous avons constaté le rayonnement des têtes nucléaires TN 75 en 1996, que nous avions sous-estimé. Nous avons alors calculé après coup les doses reçues les années précédentes, et il s'est avéré qu'elles étaient là encore inférieures aux normes. »