« Une logique de guerre entre jeunes et forces de l'ordre »

LAURENT MUCCHIELLI, sociologue

« Une logique de guerre entre jeunes et forces de l'ordre »

    Directeur du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip), laboratoire rattaché au CNRS, Laurent Mucchielli* est spécialiste des politiques de sécurité.

    Que vous inspire ce fait divers ?

    Laurent Mucchielli. Il ne faut pas tirer des généralités d'un cas isolé, aussi grave soit-il. Cela étant, il me semble illustrer ce que nous constatons, depuis plusieurs années, dans les quartiers populaires : la dégradation des relations entre les policiers et les habitants.

    De quelle manière appréhender ce phénomène ?

    La violence est un processus circulaire. Dans cette spirale, les jeunes et les policiers sont tour à tour, les acteurs. Quand les uns haussent le ton, les autres le font également. Aux provocations des jeunes répondent les humiliations gratuites des autres... et réciproquement. C'est un cercle vicieux. Pour les chercheurs que nous sommes, il est primordial d'éviter le piège du discours qui consiste, chez les uns comme chez les autres, à dire « je suis une victime ». Il nous faut nous hisser au-dessus de la mêlée pour tenter d'observer les choses le plus objectivement possible.

    Que constatez-vous ?

    Ces dernières années, les policiers ont considérablement augmenté le niveau de leur violence, en particulier depuis qu'ils sont dotés de flash-balls et de pistolets électriques Taser. On le constate : ils font un usage extensif de ces armes, qui blessent gravement mais ne tuent pas. Au quotidien, cela fabrique des relations absolument détestables avec ceux qui en sont la cible privilégiée, c'est-à-dire les jeunes des quartiers.

    Ces derniers ne sont pas en reste, comme en témoigne l'usage d'un fusil-mitrailleur ce week-end...

    C'est exact. On se heurte à une logique de guerre entre deux groupes de jeunes gens, virils et violents, qui se provoquent et s'affrontent. Bien que les uns aient la légitimité de l'Etat et pas les autres, il est étonnant de constater que le seul mode de dialogue entre eux est le rapport de forces. Ils partagent, en outre, une omerta qui consiste à ne pas dénoncer les dérives individuelles. Dans les rencontres en face-à-face, nombre d'entre eux se plaignent du comportement de certains collègues ou copains de quartier. Mais, dès qu'ils retrouvent le groupe, ils se taisent.

    Pourquoi les policiers se disent mal vus dans les cités ?

    Cela fait partie des préjugés qu'il faut démolir. Ce que les habitants des quartiers populaires rejettent, ce n'est pas la police, mais des façons de faire, brutales, qui amplifient les problèmes. Ils veulent des policiers qui arrêtent les délinquants. Mais ils souhaitent que ces derniers ne se contentent pas de passer sous leur nez en voiture. Un souhait partagé par de nombreux policiers qui ont compris que la logique du rapport de forces les conduit dans le mur.

    Est-ce encore possible ?

    Il n'est jamais trop tard. Il en va d'ailleurs de l'intérêt de tous, y compris des policiers.

    * www.laurent-mucchielli.org