VAL-FOURRÉ : des femmes dans la cité

VAL-FOURRÉ : des femmes dans la cité

    Les sexes ne se côtoient pas au Val-Fourré, ou si peu. Il suffit d'observer les passants qui traversent la dalle du centre commercial au cœur de ce quartier de Mantes-la-Jolie (Yvelines) pour en avoir le cœur net. Durant plusieurs jours, nous sommes allés à la rencontre des femmes qui habitent ici…
    Il est 18 heures. Alignés sur un banc ,les retraités de chez Peugeot attendent tranquillement la tombée de la nuit quand les femmes, elles, passent leur chemin. Les filles ne s'attardent pas dans la rue. L'espace public ne leur appartient pas. « Une fille, ça ne fume pas, ça ne rentre pas dans les cafés… », lancent Baya et Maryam. A 20 ans, aucune des deux n'est encore entrée dans un bar, même pour y acheter un paquet de chewing-gums. Les deux amies parlent spontanément de la « loi des grands frères ». Elles énoncent tous ces interdits qui régissent leur vie depuis qu'elles sont nées. Une fille, ça ne répond pas aux garçons dans la rue, par exemple : « S'ils te draguent, tu dois continuer ton chemin, parce que sinon t'es une pute.
    Mais comme tu l'envoies balader, eh ben t'es aussi une pute . »
    Les couples ne se montrent pas non plus. Jalila a 31 ans et vit toujours chez ses parents. Cette belle jeune femme a longtemps aimé un garçon du Val-Fourré. « Mais il ne s'est jamais rien passé, c'était impossible. On savait que ça allait être trop dur de se donner rendez-vous à plusieurs kilomètres de là. »
    Bien sûr, ces « lois » imposées par les hommes ne sont écrites nulle part, mais tout le monde veille à ce qu'elles soient respectées. Les yeux sont derrière chaque fenêtre. « L'autre jour, je marchais avec un copain de lycée, raconte Baya. Tout le monde nous regardait. Ils ont tous cru que nous étions ensemble. Même mon petit frère de 13 ans est venu me demander ce que je faisais avec lui. »

    « Elle s'est mariée avec celui qu'on lui a présenté. Elle disait que c'était le seul moyen d'avoir une vie. »

    La pression des hommes s'exerce naturellement jusqu'au mariage. Maryam a mis cinq ans à faire accepter son fiancé sénégalais. « Mon père m'a dit : Si ça s'fait, j'te tue. Ma mère a changé d'avis il y a un mois, mais je sais qu'une partie de la famille ne viendra pas au mariage. » Sa cousine, elle, n'a pas eu la force de lutter. « Elle s'est mariée à 24 ans avec celui qu'on lui a présenté. Elle disait que c'était le seul moyen d'avoir une vie. »
    Le plus souvent, les filles esquivent les règles des mâles. Sabrina, Linda et Sara, trois jolies ados, avouent avoir porté des joggings au collège « pour mieux s'intégrer », pour avoir l'air d'un garçon. Le voile peut être une autre échappatoire. « Cela change le regard et impose le respect des garçons », confirme Sara, qui dit le porter par conviction.
    Face à cette pression, l'école ne résout guère les difficultés des filles. Khadija, qui vient d'intégrer une école de commerce, explique qu'« être bonne élève au collège, c'est mal vu, vous passez pour l'intello de service ». Sauf « si vous assurez en sport… Moi, dit-elle, je jouais au foot tous les dimanches, j'aimais le volley et la vitesse, du coup j'étais tranquille ». Sinon, il y a Paris, à une heure de train. Paris, cette ville où elles vivent, où elles respirent. « Là-bas, on fait ce qu'on veut, on s'habille comme on l'entend, décrit Baya. Tu peux embrasser un garçon devant tout le monde, mettre une robe, on ne te dit rien. » Sabrina croise des filles du quartier au Gibus (la salle de concert de République) mais là, elle se fout des codes et de la réputation. « On est toutes dans le même cas, le quartier, on essaie d'en sortir. »

    CLÉS
    23 000 personnes, soit plus de la moitié des habitants de Mantes la-Jolie, vivent au Val-Fourré, à 60 km à l'ouest de Paris. L'ensemble a été construit au début des années 1960 pour accueillir les enfants du baby-boom, les travailleurs immigrés et leur famille.

    Le quartier abrite une importante communauté marocaine, mais plus de 70 nationalités s'y côtoient.

    En 1991, c'est l'un des premiers quartiers d'Ile-de-France touché par les émeutes. Depuis quelques années, son visage change grâce à un vaste plan de rénovation urbaine.