Agnès Varda, l’infatigable cinéaste de la Nouvelle Vague

Agnès Varda est décédée à l’âge de 90 ans d’un cancer. La cinéaste de la Nouvelle Vague, qui a réalisé une cinquantaine de films, n’a jamais cessé de travailler.

    On l'avait rencontrée le 11 janvier dernier, dans sa maison de la rue Daguerre à Paris (XIVe), près de Denfert-Rochereau. Il pleuvait des cordes et on avait eu des scrupules à la faire poser dans son jardin. « Agnès est tout-terrain », nous avait pourtant assuré sa collaboratrice. Ce matin-là donc, après nous avoir montré sur un triptyque des photos de son fils Mathieu Demy avec sa femme et ses enfants (« Mon Mathieu adoré, il repart à Los Angeles demain », nous avait-elle confié), Agnès Varda s'était prêtée au jeu des photos pendant de longues minutes. Bien plus soucieuse du cadre et de la lumière que du froid qui perçait son manteau couleur prune.

    Agnès Varda, qui est morte dans la nuit de jeudi à vendredi, des suites d'un cancer, était très entourée, cajolée, et, si certains dans le milieu du cinéma la disaient « malade », on avait du mal à y croire. Ce 11 janvier, donc, on était venu lui parler de la rétrospective que lui consacrait la Cinémathèque de Paris. L'institution proposait l'intégrale de ses 50 films, courts, longs, fictions ou documentaires : de son premier long en 1954 (« la Pointe courte ») jusqu'à son dernier documentaire avec le photographe JR (« Visages, villages »), en passant par « Cléo de 5 à 7 », « Mur murs », « les Glaneurs et la glaneuse », « les Plages d'Agnès » ou « Daguerréotypes ».

    Toujours facétieuse, Agnès Varda s'amusait du culte dont elle était devenue l'objet. « Comme on ne sait pas quoi faire de la vieille, on me donne des prix. Depuis les cinq dernières années, je reçois des hommages, des récompenses… Trop, même. Ça devient un peu disproportionné et ridicule. Je deviens un peu la potiche du cinéma féminin », rigolait-elle.

    Oscar d'honneur

    Depuis son Oscar d'honneur en novembre 2017, remis par une Angelina Jolie qui l'avait fait danser sur scène, Agnès Varda avait prononcé, en mai dernier sur les marches du Festival de Cannes, un discours sur la place des femmes dans l'industrie du cinéma. Et eu droit, en décembre 2018 au Festival de Marrakech, à un hommage remis par ses deux enfants accompagnés de Thierry Frémaux et Chiara Mastroianni (« l'une des plus belles choses que j'ai connues récemment »).

    On avait recroisé Agnès Varda, accompagnée de sa fille et collaboratrice Rosalie, le 3 février, au déjeuner des nommés des César. Au Fouquet's, la cinéaste à la coiffure bicolore avait joyeusement discuté avec ses voisins de table, le journaliste, romancier et dialoguiste Jean-Loup Dabadie, et avec la critique de cinéma Danièle Heymann, qui officie au « Masque et la Plume » sur France Inter.

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    Dix jours plus tard, Agnès Varda présentait au Festival de Berlin son nouveau documentaire, « Varda par Agnès ». En conférence de presse, elle avait ému l'assemblée en déclarant : « Je devrais arrêter de parler de moi, et voilà, je dois me préparer à dire au revoir, à partir. […]. Il s'agit juste de ralentir pour trouver la paix nécessaire. »

    Ralentir, mais jamais s'arrêter… Samedi dernier encore, Agnès Varda se promenait dans la cour des jardiniers du château de Chaumont-sur-Loire (Loir-et-Cher), où celle qui était aussi artiste plasticienne présentait trois de ses œuvres, intitulées « Trois pièces sur cour ». « Je trouve formidable que l'art soit intégré à la nature. C'est une grande joie d'être ici », expliquait-elle alors à l'AFP.

    Entre longs-métrages de fictions et courts-métrages et documentaires

    Née le 30 mai 1928 d'un père grec et d'une mère française, Agnès Varda avait fui la Belgique avec ses parents pour Sète, en 1940. Jeune adulte, elle était venue à Paris pour étudier la photographie et l'histoire de l'art. Photographe au Théâtre national populaire, Varda avait réalisé son premier film à l'âge de 26 ans : « la Pointe courte », joué par Philippe Noiret et Silvia Monfort, offrait la chronique néo-réaliste d'un village de pêcheurs. Quatre ans plus tard, Agnès Varda rencontrait le cinéaste Jacques Demy, qui deviendra son mari.

    Dans les années 1960, avec « Cléo de 5 à 7 », un film sur une chanteuse qui erre dans Paris en se croyant mortellement malade, puis avec « les Créatures » et « le Bonheur », Agnès Varda devient l'une des premières représentantes du jeune cinéma français, qu'on l'appelle la Nouvelle Vague ou le cinéma de la Rive gauche.

    Pendant plus de soixante ans, entre sa maison de la rue Daguerre et deux longs séjours à Los Angeles, la réalisatrice alternera ensuite longs-métrages de fictions (« l'Une chante, l'autre pas », « Sans toit ni loi », « Jacquot de Nantes »…), courts-métrages et documentaires (« Daguerréotypes », « Mur murs », « les Glaneurs et la glaneuse »…).

    Militante féministe

    En 2016, à 88 ans, la cinéaste était partie sur les routes de France avec le photographe JR, âgé de 34 ans. Le duo avait embarqué dans le camion de JR pour photographier les habitants de zones dépeuplées de France et afficher leurs portraits sur des façades de maison, de café ou de bunker. Le projet avait donné lieu à un documentaire très poétique et très tendre, intitulé « Visages, villages ».

    « Nos deux façons de faire se ressemblent, nous expliquait alors Agnès Varda à propos de son association avec JR. […] Tous les deux, on aime les gens et on les met en valeur, lui par la taille, moi par l'écoute : quand je filme les gens, j'essaie de cueillir leurs perles, ce qu'ils ont d'unique. »

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    Photographe, cinéaste, plasticienne, Agnès Varda était aussi une militante féministe. En 1971, elle signe le Manifeste des 343, qui appelle à la dépénalisation et la légalisation de l'interruption volontaire de grossesse, et ouvre la voie à l'adoption de la loi Veil. Entre 1977, elle livre « L'Une chante, l'autre pas », chronique du féminisme et du droit des femmes en France. Invariablement, lors de chacune de ses interviews, Agnès Varda aime par ailleurs citer les femmes cinéastes qui lui ont succédé (Céline Sciamma, Patricia Mazuy, Noémie Lvovsky, Claire Denis, Anne Fontaine, Justine Triet…).

    Lorsqu'on avait évoqué, ce 11 janvier dernier, son discours sur les marches cannoises avec Cate Blanchett, celle qui se définissait toujours comme « à la marge » du cinéma, assurait : « Moi, je crois que quand on veut parler du travail des femmes, le plus important, c'est d'avoir ces discours dans les quartiers, les usines, les centres d'accueil, au Planning familial. La frime à Cannes, ce n'est pas très important pour moi : le vrai travail féministe ne se fait pas dans le showbiz. »