Festival de Cannes : «Spike Lee n’a rien perdu de sa fougue», se réjouit Thierry Frémaux

Le Festival de Cannes a choisi le cinéaste afro-américain pour présider le jury de la 73e édition. Son délégué général, Thierry Frémaux, nous explique pourquoi.

 Thierry Frémaux (à gauche) se réjouit que Spike Lee (à droite) ait accepté avec enthousiasme de présider le jury du Festival de Cannes cette année.
Thierry Frémaux (à gauche) se réjouit que Spike Lee (à droite) ait accepté avec enthousiasme de présider le jury du Festival de Cannes cette année. Timm/Face to Face/Shutt/SIPA

    C'est un très joli coup pour le Festival de Cannes. Son président Pierre Lescure et son délégué général Thierry Frémaux ont annoncé ce mardi matin qu'ils avaient choisi le cinéaste américain Spike Lee, 62 ans, pour présider le jury de la 73e édition, qui se tiendra du 12 au 23 mai. Succédant au Mexicain Alejandro Gonzalez Inarritu en 2019, Spike Lee devient ainsi le premier président noir d'un jury de grand festival de cinéma. Bouillonnant, militant de la cause afro-américaine, le réalisateur de « Do the right Thing » ou « Malcom X » avait fait un retour remarqué en 2018 avec « BlacKkKlansman », récompensé à Cannes et aux Oscars. Dans une déclaration très poétique jointe au communiqué du festival, il s'est déclaré « surpris, heureux et fier ». Thierry Frémaux nous en dit plus sur ce choix.

    Avec Spike Lee, vous avez fait le choix d'un président du jury fort et militant ?

    THIERRY FRÉMAUX. Oui, mais c'est d'abord un grand cinéaste. Quand vous êtes président du jury du Festival de Cannes, vous êtes amené à juger les grands créateurs de l'époque, et il faut une légitimité. Spike Lee est un grand artiste, lui-même venu plusieurs fois en compétition à Cannes, il a cette légitimité pour à son tour établir un palmarès.

    Il souligne, dans sa déclaration, qu'il a une histoire personnelle avec le festival…

    Cette déclaration est formidable, d'habitude on nous envoie trois phrases, Spike Lee nous a écrit un poème ! Et oui, il y souligne ses liens avec Cannes. Il y a deux ans, il a fait un retour formidable avec « BlacKkKlansman », présenté à Cannes, récompensé sur place du Grand Prix, puis du premier Oscar de sa carrière. Avec sa nomination, nous prolongeons l'écho de cette présentation du film au festival.

    Spike Lee est quelqu'un qui a, à 62 ans, une énergie militante plus phénoménale que jamais…

    Oui, il n'a rien perdu en fougue, et « BlacKkKlansman » est un film très activiste. C'est un homme qui a dévoué sa carrière à sa propre identité, celle de la communauté afro-américaine. Mais en tant que président du jury de Cannes, il va devoir juger de films qui viendront du monde entier, et il est très cinéphile. Quand on lui a proposé, avec Pierre Lescure, d'être président, il a répondu tout de suite qu'il acceptait avec enthousiasme. On lui a alors expliqué que ce festival fonctionne avec un règlement, un protocole… Il a dit oui à tout et signe chacun de ses emails par « Peace and love ». J'ai été heureux qu'il se dise surpris, mais aussi fier, d'être le premier président de sa communauté de tous les grands festivals de cinéma. Nous sommes fiers d'être aussi universels, car nous devons être exemplaires : l'an dernier, la Palme d'Or attribuée à un Coréen a été remise par un président de jury mexicain.

    VIDÉO. Spike Lee, un « président » militant au Festival de Cannes 2020

    Vous annoncez le nom du président du jury le jour même des nominations aux Oscars, or Spike Lee est parrain, pour les Oscars, des « Misérables », qui est en lice pour meilleur film en langue étrangère. C'est un hasard ?

    C'est une coïncidence, mais le rôle de Cannes, c'est d'être audacieux. Quand on a vu « les Misérables », on a décidé de le mettre en compétition, comme « Atlantique », de Mati Diop. Il s'agissait, pour nous, de souligner que nous soutenions ces deux jeunes cinéastes qui avaient réalisé d'excellents premiers films. Ils ont tous deux été récompensés au palmarès… Et nous sélectionnons aussi des cinéastes qui ont une histoire avec nous, que nous avons laissés grandir, comme Spike Lee ou Quentin Tarantino. Il est important que Cannes soit cette maison des cinéastes, des critiques, des professionnels.

    Certains soulignent parfois que le Festival, qui a lieu en mai, est trop éloigné des Oscars. Or, cette année, plusieurs films présents à Cannes cumulent les nominations aux Oscars…

    C'était le cas de Spike Lee en 2018, et cette année, « Parasite », « Once Upon a Time… in Hollywood », « Douleur et gloire », « les Misérables », « J'ai perdu mon corps », « Rocketman », tous présentés à Cannes, sont effectivement nommés aux Oscars. Il ne faut pas juger ce qui se dit sur le Festival, car il se dit beaucoup de bêtises. Cannes n'a jamais perdu le moindre prestige du côté d'Hollywood, simplement il y a des années qui permettent de redire à quel point ces liens sont étroits, d'autres années un peu moins. Nous sommes heureux de voir que des films comme « Once Upon a Time… in Hollywood », « 1917 » ou « Joker » aient autant de nominations, cela doit prouver aux studios que les films d'adultes ont encore beaucoup de succès et qu'ils ne doivent pas les abandonner.

    Netflix obtient 21 nominations, tandis que le cinéma en salles, en France et dans le monde, connaît des taux de fréquentation en hausse. Comment l'expliquez-vous ?

    Les gens vont de plus en plus au cinéma, et on s'en réjouit. Netflix obtient autant de nominations avec des films… de cinéastes qu'ils sont allés chercher. On vit une période passionnante. Il y a eu des moments, dans l'histoire du cinéma (français), où il a fallu repenser le système. Notre système actuel est vertueux et formidable, mais il faut faire de la place aux nouveaux entrants, comme les plateformes de streaming, à condition que ces nouveaux entrants jouent le jeu. L'avenir n'est pas écrit.