Joaquin Phoenix : «Dans la peau du Joker, j’ai vécu le meilleur moment de ma vie !»

Formidable dans le film de Todd Philipps qui sort mercredi, le comédien raconte n’avoir jamais séparé son identité de celle du Joker.

 Pour parfaire le personnage du Joker, Joaquin Phoenix et Todd Philipps ont étudié plusieurs cas de maladies dépressives.
Pour parfaire le personnage du Joker, Joaquin Phoenix et Todd Philipps ont étudié plusieurs cas de maladies dépressives. Warner Bros/Niko Tavernise

    Ce n'est pas sans appréhension que nous pénétrons dans la chambre d'un palace parisien où Joaquin Phoenix, 44 ans, comédien à la filmographie impressionnante (« The Yards », « Walk the Line », « Les Frères Sisters ») nous attend pour évoquer « Joker ». Réputé difficile, il a souvent interrompu brutalement des interviews. Mais il nous rassure d'emblée : « J'aime bien avoir des conversations seul à seul avec des journalistes de presse écrite, ce que je n'apprécie pas ce sont les interviews télé en cinq minutes, on répète les mêmes choses infiniment… » Rencontre avec celui qui livre ici la performance de sa vie.

    Est-il vrai qu'avant le tournage, vous avez eu de longues conversations durant trois mois avec Todd Philipps

    JOAQUIN PHOENIX. Je ne sais plus si ça a duré trois mois, mais c'est vrai que j'avais plein de questions. Quand je m'attaque à un personnage, j'aime essayer de le cerner le plus possible en amont. Todd m'avait montré un documentaire qui évoquait les effets secondaires très lourds de certains médicaments contre la dépression, et qui pouvaient induire des comportements criminels. Je voulais en savoir plus sur la corrélation entre ces médicaments et les « pensées négatives » (NDLR : la phrase revient plusieurs fois dans le film) qu'ils peuvent provoquer. Nous avons beaucoup parlé de ce cas, et c'est devenu une composante essentielle du personnage…

    Quoi d'autre est sorti de ces conversations ?

    On a découvert que parmi les effets secondaires, ces médicaments pouvaient provoquer une importante perte de poids. On a rapidement décidé que le Joker devrait paraître très maigre, et j'ai donc perdu 15 kg… Tout le personnage s'est construit ainsi : j'avais le scénario en main, je demandais à Todd : « doit-il être gros ou très maigre ? » « Pourquoi est-ce qu'il fait telle ou telle réflexion ? »

    « Joker » est-elle l'histoire d'un individu isolé ou l'illustration du mal-être très présent dans nos sociétés modernes ?

    D'une manière ou d'une autre, je pense que tout le monde est isolé, économiquement, socialement. On voit dans le film que quelle que soit la situation, que l'on soit le Joker, le jeune Bruce Wayne - le futur Batman - ou une femme anonyme dans un bus, tout le monde doit composer avec ces « pensées négatives », tout le monde se sent dépassé, écrasé, chacun porte beaucoup de tristesse et de vulnérabilité…

    Comment avez-vous trouvé le terrifiant rire du Joker ?

    Toujours en travaillant sur certaines formes de maladies psychologiques, dont certaines induisent des crises de rire incontrôlées. Mais avec Todd, nous en avons fait la signature du Joker : sa tactique, c'est de déclencher ce rire pour mettre ses interlocuteurs dans une position inconfortable.

    Êtes-vous le type d'acteur à « vivre » durant des mois avec votre personnage ?

    En fait, non : je « suis » le personnage ! Durant le tournage, l'idée, pour moi, de séparer l'identité du personnage de la mienne est inconcevable. Sur le tournage, tout ce que je faisais était en relation avec « Joker », quelle que soit l'heure. Je n'avais aucune vie sociale, je ne dînais avec personne, je rentrais chez moi chaque soir dans la peau du Joker que je conservais jusqu'au matin, et ainsi de suite. Ma seule relation sociale, c'était Todd Phillips.

    Et ça fait quoi de vivre dans un tel personnage ?

    Honnêtement ? J'ai vécu le meilleur moment de ma vie ! Je suis du genre à m'ennuyer rapidement, et là, je ne me suis jamais ennuyé, jamais ! Chaque jour, je me réveillais avec l'idée de trouver quelque chose de nouveau, j'essayais de me surprendre moi-même, il y avait tant à penser en étant le Joker. Et puis sur le tournage, quand tout contribue à vous aider, les caméras, le réalisateur, la musique, quel pied ! Et puis travailler avec Todd Phillips, ce réalisateur si sensible, si précis, qui n'a rien de conventionnel et qui fait preuve d'un tel sens de l'humour, c'était extraordinaire.

    Vous étiez très ami avec Heath Ledger, décédé en 2008, qui a incarné un Joker si marquant dans « The Dark Knight » de Christopher Nolan. Aviez-vous discuté du rôle avec lui à l'époque ?

    Non. Mais j'ai une anecdote étonnante : pendant qu'il travaillait sur « The Dark Knight », moi je tournais un film, et parfois on se plaignait tous les deux de nos difficultés. Et un soir, il me dit : « Tu sais quoi ? On devrait échanger, tu jouerais mon personnage et moi le tien ! » Heath a fait un travail exceptionnel avec le Joker, et j'ai essayé de l'oublier durant toute ma préparation et le tournage. Je n'ai revu le film que récemment, et j'ai réalisé que j'en avais tout oublié, du coup je suis certain qu'il n'a pas influencé mon interprétation.