Séries françaises, succès mondial

LE PARISIEN WEEK-END. Engrenages », « Les Revenants », « Un village français », « Braquo », « Dix pour cent »… Depuis quelques années, nos fictions cartonnent aussi à l’étranger. Comment ont-elles réussi à s’imposer sur un créneau si longtemps monopolisé par les Américains ? Décryptage.

 Créée par Canal + en 2005, « Engrenages » a su redonner un souffle nouveau à la fiction française.
 Créée par Canal + en 2005, « Engrenages » a su redonner un souffle nouveau à la fiction française. Son & Lumière/Canal +

    Depuis quelques années, la série française connaît un réel renouveau. Le cinéma hexagonal lui-même la considère comme un
    produit culturel de qualité et un espace de création de sens et de l'esthétique. « On avance, on fait des progrès, affirme Fabrice de La Patellière, directeur des fictions françaises de Canal +. La formation des auteurs est meilleure, les producteurs souhaitent investir ce créneau et les auteurs ont envie de travailler à plusieurs. La France est désormais dans la course et n'a pas à rougir vis-à-vis de la concurrence étrangère. »

    Cet appétit est tout aussi puissant du côté des téléspectateurs. « Le public français est de plus en plus éduqué et friand en la matière, poussant ainsi les diffuseurs à proposer toujours mieux », assure Anne Viau, directrice artistique de la fiction française de TF1. Au premier semestre 2018, sur les 100 meilleures audiences de fiction, 61 sont françaises contre 39 étrangères (37 contre 63 en 2013). Le trio de tête se compose de « Capitaine Marleau » (8,2 millions de téléspectateurs), « Joséphine ange gardien » (7,5 millions) et « Les Innocents » (7,1 millions).

    « Capitaine Marleau », avec Corinne Masiero, diffusée sur France 3, figure en tête des meilleures audiences de fictions françaises. (FTV)

    Ce mouvement est parti des Etats-Unis, avec les séries HBO (« Six Feet Under », « Les Soprano » ou aujourd'hui « Game of Thrones »), qui ont incité une autre forme d'ambition chez les diffuseurs français et notamment Canal +. « En 2005, Engrenages a donné un coup de vieux aux autres séries policières, rappelle Claude Scasso, cocréateur de Transferts (Arte) et scénariste notamment de Caïn (France 2). Cela ne veut pas dire que toutes les chaînes se sont mises au diapason d' Engrenages mais on propose un autre rythme, une autre écriture, une autre réalisation et un travail sur la lumière désormais spécifique à chaque série. »

    En France, l'arrivée de Netflix, en 2014, a également fait bouger les choses. « La plateforme de VOD aurait pu nous noyer dans une américanisation à marche forcée de notre écriture, continue le scénariste mais, heureusement, on venait de trouver des séries françaises autour desquelles se rassembler et notre qualité remontait. »

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    L'essentiel ? Toujours une bonne histoire !

    Tous s'accordent cependant à dire que les plateformes de vidéos comme Netflix et Amazon représentent une émulation pour eux et qu'elles les poussent vers le meilleur. « Leur arrivée change la donne sur le marché pour les séries qu'ils produisent et qu'ils achètent, note Olivier Wotling, directeur de l'unité fiction d'Arte France. Les séries françaises sont ainsi davantage en compétition avec les étrangères, dont les standards sont très élevés. L'abondance de l'offre durcit aussi les conditions de fidélité et il est plus difficile de faire revenir le spectateur en deuxième semaine quand, en face, il y a toujours le démarrage d'une nouvelle fiction. Enfin, les plateformes lancent le développement de beaucoup de productions et captent donc les talents – et souvent les plus jeunes. »

    Le consensus est unanime pour dire qu'une bonne série est avant tout un bon scénario. « Et plus précisément un scénario écrit par un scénariste qui est par ailleurs un véritable auteur, nuance Emmanuel Daucé, producteur notamment d'Un village français. C'est-à-dire un technicien qui a un haut degré de maîtrise de la dramaturgie, de la création des personnages et de tout ce qui fait l'efficacité de la narration sérielle, mais aussi quelqu'un ayant un point de vue sur le monde et qui soit capable de porter le projet, comme Eric Rochant avec Le Bureau des légendes, ou Frédéric Krivine avec Un village français. »

    « Le Bureau des légendes » (Canal +), avec Mathieu Kassovitz, une star de cinéma pour une série créée par un cinéaste, Eric Rochant.(Stéphanie Branchu/C+)

    En plus de cette primauté au scénario, les séries françaises séduisent quand elles sont créées avec tout ce qui fait notre culture, notamment notre langue, et quand elles s'attaquent à des sujets et des univers français. « On est forts quand on fait des séries très françaises, très implantées, très locales, précise Fabrice de La Patellière. Mais aussi assez universelles dans leurs thématiques. Et du niveau – aussi bien narratif que visuel – de ce qui se fait dans le reste du monde, afin de pouvoir répondre aux attentes du public français et voyager à l'étranger. »

    Un village français – dans laquelle Audrey Fleurot joue l'un des rôles principaux –, qui relate cette période marquante de notre pays qu'est l'Occupation, a connu un succès public en France et a été vendue dans plus de 100 pays. Les fictions policières s'exportent aussi très bien : Jour polaire a été vendue dans près de 110 pays, Profilage et Engrenages dans plus de 90 pays. En 2017, la France était le troisième exportateur de séries (derrière les Etats-Unis et la Grande-Bretagne) mais le seul à connaître une progression : + 27,8 % par rapport à 2016.

    Tendance tout droit venue des Etats-Unis, le concept de « showrunner », sorte de grand manitou d'une série, commence à s'imposer en France. Parmi les plus connus outre-Atlantique, on peut citer J.J. Abrams (« Lost », « Alias ») ou Alan Ball (« Six Feet Under », « True Blood »). Son rôle? Diriger des ateliers d'écriture, qui fournissent rapidement des scénarios écrits à plusieurs mains, permettant d'enchaîner les tournages tout aussi rapidement et ainsi de livrer une grande saison – dépassant la vingtaine d'épisodes – chaque année. Ce système de production se met en place doucement en France car le « showrunner » participe également à toutes les étapes de la fabrication, et rares sont les personnes qui possèdent aujourd'hui les capacités artistiques et techniques d'assumer ce poste aux multiples facettes, même si certains créateurs se revendiquent « showrunner » – Fanny Herrero pour « Dix pour cent », ou encore Eric Rochant pour « Le Bureau des légendes ». De plus, il empiète sur le travail du producteur, qui n'apprécie guère de partager son pouvoir et se heurte encore à la tradition bien française du culte de l'auteur solitaire et signant seul une oeuvre.

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    Acteurs charismatiques et second degré

    Les séries françaises pourraient également s'améliorer en matière de diversité de genres. La pure comédie est rare en format « 52 minutes » – car très difficile à écrire – et la case du « 26 minutes » n'existe pas en prime time dans les grilles des chaînes traditionnelles. « Il n'y a pas non plus beaucoup de propositions dans l'anticipation et le fantastique, remarque Olivier Wotling. Arte s'y est essayée récemment avec Au-delà des murs ou encore Ad Vitam. La série de genre émerge petit à petit en France et j'ai le sentiment que cette "french touch" peut plaire. »

    La fiction policière est toujours ce qui marche le mieux ici et l'offre est abondante. C'est un genre très populaire, qui a presque un public assuré, ce qui limite les risques pour le diffuseur. « Le public aime la façon dont les histoires sont racontées et les personnages au caractère atypique, souligne Anne Viau, de TF1, dont la série Demain nous appartient bat des records d'audience. Ce sont des héros ancrés dans l'air du temps, dans la société d'aujourd'hui et campés par des acteurs charismatiques. Il y a aussi souvent une bonne dose d'humour et de second degré. »

    L'avenir s'annonce radieux pour la production française. Les nouveaux talents ont été biberonnés aux bonnes séries et il y en a de plus en plus à suivre. Les plateformes de VOD ont en effet commandé plusieurs projets pour une diffusion en 2019, incitant les diffuseurs français non seulement à augmenter le nombre de leurs programmes mais surtout à développer des scénarios originaux et différents. L'année prochaine devrait donc être passionnante pour les « sériephiles ».

    « Dix pour cent », avec Grégory Montel et Camille Cottin, dont France 2 vient de diffuser la troisième saison. (Christophe Brachet/FTV)

    Quelques chiffres

    • 1 million : c’est le coût moyen, en euros, d’un épisode d’une série française.
    • + 15 à 30 % : le replay (ou télé de rattrapage) permet un gain d’audience important.
    • 3 : c’est le nombre d’International Emmy Awards obtenus par des séries françaises : Braquo, en 2012, Les Revenants, en 2013, et Engrenages, en 2015.