Allocation adulte handicapé : un sujet hautement sensible en débat à l’Assemblée

L’individualisation de cette aide pour les personnes en couple est une mesure phare d’une proposition de loi, qui sera discutée ce jeudi à l’Assemblée nationale. La majorité pourrait se diviser sur la question.

Sophie Cluzel, secrétaire d'Etat chargée des personnes handicapées, veut continuer à prendre en compte les revenus du conjoint pour calculer le montant de l’allocation. LP/Aurélie LADET
Sophie Cluzel, secrétaire d'Etat chargée des personnes handicapées, veut continuer à prendre en compte les revenus du conjoint pour calculer le montant de l’allocation. LP/Aurélie LADET

    Débat hautement sensible, ce jeudi, en séance à l’Assemblée nationale. La secrétaire d’État aux Personnes handicapées, Sophie Cluzel, sera sur ses gardes lors du débat sur la proposition de loi visant à ce que le calcul de l’allocation adulte handicapé (AAH), une aide versée sous conditions de ressources d’un montant maximal de 903,60 euros, ne soit plus assujetti aux revenus du partenaire. En face d’elle, la ministre trouvera un front commun de toutes les oppositions. De son côté, le gouvernement veut continuer à prendre en compte les revenus du conjoint pour calculer le montant de l’allocation. Créée en 1975, l’AAH est destinée à compenser l’incapacité de travailler. Versée sur des critères médicaux et sociaux, elle compte aujourd’hui plus de 1,2 million de bénéficiaires, dont 270 000 sont en couple, pour une dépense annuelle d’environ 11 milliards d’euros.

    La nouvelle mesure, qui prévoit d’individualiser l’aide, est défendue par les députés PCF, Stéphane Peu et Jeanine Dubié (Libertés et territoires-LT). Elle est au cœur de la proposition de loi portant « diverses mesures de justice sociale » débattue dans l’hémicycle à 10 heures ce jeudi, dans le cadre d’une « niche » du groupe communiste. Initié par le groupe LT, le texte avait été voté par l’Assemblée une première fois en février 2020, contre l’avis du gouvernement et de la majorité. En mars, le Sénat à majorité à droite a également donné son quitus. En commission, le 9 juin, gouvernement, LREM et Modem ont détricoté le projet de réforme de l’AAH, inquiétant les associations.



    Ces dernières, partisanes d’une « déconjugalisation » de l’AAH, c’est-à-dire sans tenir compte des revenus du conjoint, espèrent bien un revirement ce jeudi dans les votes. « Nous voulons conserver son statut de minima social, comme le RSA », explique le député et co-rapporteur communiste, Stéphane Peu, pour qui il s’agit avant tout de « reconnaître la situation pleine et entière des personnes en situation de handicap en lui donnant un caractère individuel et autonome ». D’autant, martèle-t-il, « que son montant est aujourd’hui inférieur de 200 euros au seuil de pauvreté ».

    «Un revenu d’existence»

    Le sujet est en réalité une bataille de longue date par tout le monde du handicap, et les associations, dont Act Up, qui sera dans la rue devant l’assemblée dès potron-minet ce jeudi pour manifester. « À partir de 2 000 euros de revenus pour le conjoint, on n’a plus le droit à l’AAH », explique Carole Salers, conseillère nationale au sein d’APF France handicap, la plus importante association française de défense et de représentation des personnes en situation de handicap. « On considère que c’est un minimum social, mais avant tout un revenu d’existence, qui doit leur permettre de vivre de manière indépendante, et digne, sans dépendre de la tutelle de leur conjoint, poursuit-elle. Actuellement, le système en empêche certains de se mettre en couple, ou les oblige à se cacher. »

    Un sujet chaud : ce dimanche, lors d’une manifestation organisée devant l’hôtel de ville de Paris, des manifestants réclamant que le calcul de l’allocation adulte handicapé (AAH) ne soit plus assujetti aux revenus du partenaire, avaient brandi des pancartes accusant Emmanuel Macron et Sophie Cluzel d’être « Handiphobe »… Le chef de l’État avait fait du handicap une priorité de son quinquennat.

    Un gain moyen de 110 euros par mois

    La mesure « coûterait » 730 millions d’euros, assure la majorité. La majorité du groupe LREM a donc adopté un amendement de compromis qui rendrait forfaitaire, à 5 000 euros, l’abattement actuel (20 %) sur le revenu du conjoint. Soit un gain moyen de 110 euros net par mois pour 120 000 bénéficiaires les plus modestes et un total de 185 millions d’euros. « Avec ce système, il y aura zéro perdant alors que la proposition du Sénat faisait perdre l’AAH à 44 000 personnes », explique Sophie Cluzel.

    Pour Carole Salers, il s’agit au contraire d’une « manière habile de ne pas donner suite à cette proposition de loi. Si l’Assemblée ne vote pas le texte validé au Sénat, poursuit-elle, il repartira à la navette entre les deux chambres et il ne verra pas le jour avant longtemps. » Cependant, la majorité pourrait aussi se diviser. En commission, Agnès Firmin Le Bodo (Agir, Seine-Maritime) et Jean-Louis Touraine (LREM, Rhône), ont pris position pour le texte.

    Pour le gouvernement, et la majorité, la « déconjugalisation », de l’AAH remettrait en cause la base même sur laquelle est construite la solidarité nationale. « La situation conjugale est prise en compte dans le calcul de tous les minima sociaux et dans le système fiscal. Cette construction de solidarité entre époux, c’est la construction même de notre système, développe Sophie Cluzel. Si nous touchons à ce modèle de solidarité, nous perdons notre politique redistributrice. »