«Quand je vois mes enfants dans le froid...» : à Corbeil, la galère d’Alicia, jetée à la rue par sa propriétaire

Le 11 septembre, Alicia et ses enfants de 7 ans et 14 mois se sont retrouvés à la porte de leur logement, leurs affaires à la rue et les serrures changées. La mère de famille a déposé plainte pour violation de domicile. Depuis, elle va d’hôtels sociaux en foyers d’hébergement.

Corbeil-Essonnes, vendredi 26 novembre 2021. Alicia et ses deux enfants n'ont plus de logement depuis le 11 septembre dernier. LP/Nolwenn Cosson
Corbeil-Essonnes, vendredi 26 novembre 2021. Alicia et ses deux enfants n'ont plus de logement depuis le 11 septembre dernier. LP/Nolwenn Cosson

    Une petite couverture rose permet de couvrir les jambes de Zohra*, 14 mois. Son grand frère, lui, est emmitouflé dans une doudoune noire. Vendredi dernier, il n’a pas rejoint sa classe de l’école Galignani, à Corbeil-Essonnes. La veille, sa maman a été appelée en urgence : Alex*, 7 ans, avait de la fièvre et avait vomi. « Je pense que c’est à cause du stress de la situation, analyse Alicia*, la maman. Il est traumatisé par ce qui nous arrive. Il en parle tout le temps. Il n’arrive pas à comprendre comment on a pu se retrouver à la rue comme ça. »

    Le 11 septembre dernier, cette mère de famille de 34 ans a retrouvé toutes ses affaires dehors en rentrant du travail. Sa clé d’appartement ne rentrait plus dans la serrure. En présence de la police, elle a découvert que la propriétaire de son logement, qu’elle louait depuis deux ans pour 720 euros par mois, avait repris possession des lieux.



    « Quelques semaines avant, elle était déjà venue avec plusieurs hommes et m’avait ordonné de partir, ce que j’ai refusé, raconte-t-elle. J’ai appelé la police, qui après vérifications, m’a donné raison. En sortant, l’un d’entre eux m’a certifié que j’allais quitter les lieux, vivante ou morte. » Alicia dépose une main courante et se renseigne auprès de son assistante sociale qui la rassure en lui expliquant qu’elle ne risque rien.

    Corbeil-Essonnes, le 11 septembre 2021. Alicia a découvert que toutes ses affaires avaient été mises dans la cour de son appartement.
    Corbeil-Essonnes, le 11 septembre 2021. Alicia a découvert que toutes ses affaires avaient été mises dans la cour de son appartement.

    Selon la loi, un propriétaire peut donner congé au locataire lorsqu’il décide de vendre son logement, pour y vivre ou pour un motif « légitime et sérieux », par exemple si ce dernier ne paie pas son loyer. Mais il doit respecter des conditions de forme et de délais. « Il peut adresser par recommandé ou par un acte d’huissier une lettre de congé indiquant qu’il met fin au bail. Mais cela doit se faire au moins 6 mois avant sa date d’échéance », indique une agente immobilière.

    Alicia assure n’avoir jamais reçu le courrier réglementaire

    Ce courrier, Alicia assure ne l’avoir jamais reçu. « Quand je suis rentrée et que j’ai vu mes canapés dehors, je n’ai pas compris. Ce jour-là mon fils était heureux car il venait de faire la photo de classe. Quand il a vu nos affaires dans la cour, il m’a demandé ce qu’il se passait. Je n’ai pas su quoi lui répondre. Le pire c’est qu’une semaine avant, je lui versais le loyer. » Cette fois-ci Alicia dépose plainte pour violation de domicile. Mais le mal est fait. Avec sa petite famille, elle se retrouve sans endroit pour vivre.

    Corbeil-Essonnes, le 11 septembre 2021. Les deux canapés de la famille ont été vidés de l'appartement.
    Corbeil-Essonnes, le 11 septembre 2021. Les deux canapés de la famille ont été vidés de l'appartement.

    La première nuit, la police la conduit dans un hôtel à Évry-Courcouronnes. Puis la famille alterne hôtel social et foyer d’hébergement. Faute de solution, elle passera même deux nuits dans la gare de Corbeil-Essonnes. « Je n’ai pas fermé l’œil », confie Alicia. La municipalité lui offre quelques nuits d’hôtel avant qu’elle ne soit dirigée vers un foyer à Étampes, qu’elle devait impérativement quitter au plus tard à 7 heures du matin, même le week-end.

    « Je ne peux pas m’empêcher de pleurer »

    « Je faisais 2 heures de transport en RER pour déposer mon fils à l’école. Puis 2 heures de train pour me rendre dans les Yvelines. C’était très difficile. Je ne gagne que 900 euros par mois en étant aide à domicile. Le peu qu’il me reste, c’est pour mes enfants. Quand je les vois comme ça, dans le froid, je ne peux pas m’empêcher de pleurer. J’ai même pensé à les abandonner pour leur offrir un meilleur avenir. Zohra est petite, elle ne comprend pas tout. Mais Alex, il voit bien comment on vit. La dernière fois il était content car ils sont allés à la piscine. En rentrant il m’a dit : j’en ai profité pour réchauffer mon corps sous la douche. »



    Alicia est une mère isolée. Sans nouvelle du papa. Son frère est rentré définitivement en Côte d’Ivoire. Et elle n’a qu’un titre de séjour italien. « J’espérais pouvoir régulariser ma situation, mais la valise qui contenait tous mes documents, les extraits de naissance de mes enfants et un peu d’argent en liquide a disparu lorsque j’ai été mise à la porte. » Alicia a porté plainte pour vols.

    Bruno Piriou, le maire (PCF) de Corbeil (50 000 habitants), assure suivre de près le dossier. « Il est hors de question qu’un habitant de ma commune dorme dans la rue, s’indigne-t-il. Nous avons pris à nos frais certaines de ses nuits d’hôtel. Mais ce n’est pas la compétence de la ville et tous les hôtels sociaux de Corbeil sont saturés. Début décembre, nous ouvrons un centre d’hébergement d’urgence. Mais la situation est encore plus compliquée lorsqu’il y a des enfants. »

    Les professeurs de l’école où est scolarisé Alex suivent aussi son parcours. « Sa prof m’appelle tous les jours pour savoir comment ça va. Elle est toujours disponible pour nous aider, et mon fils se confie beaucoup à elle. Je ne sais pas comment la remercier pour tout ce qu’elle fait. L’école, c’est tellement important. Je n’ai pas été plus loin que le CE1. Je veux un autre avenir pour lui, et sa petite sœur. »

    Alicia et ses deux enfants ont finalement pu retourner dans un hôtel social de Corbeil. Ils auront un toit sur la tête jusqu’au 1er décembre. Ensuite ? « J’y pense tout le temps. J’espère qu’on trouvera une solution d’ici là. »

    *les prénoms ont été changés