« Je pense qu’il va me manquer entre 5 000 et 10 000 euros pour finir » : la douloureuse conséquence de l’inflation sur les prêts étudiants

Face à l’augmentation du coût de la vie et des frais de scolarité, la somme empruntée au début de leurs études par de nombreux étudiants s’avère désormais insuffisante pour finir leur scolarité dans de bonnes conditions.

La somme empruntée au début de leurs études par de nombreux étudiants s’avère désormais insuffisante pour finir leur scolarité dans de bonnes conditions. (Illustration) Unsplash
La somme empruntée au début de leurs études par de nombreux étudiants s’avère désormais insuffisante pour finir leur scolarité dans de bonnes conditions. (Illustration) Unsplash

    Galérer pour financer ses études, Alex connaît : cet étudiant de 25 ans a travaillé de nuit chez Amazon pendant sa L1 d’histoire, mettant deux ans à la valider. Il a ensuite fait une pause pour travailler en usine et réunir de quoi payer la fin de sa licence.

    Quand l’opportunité d’aller en master s’est présentée, il a décidé d’emprunter 15 000 euros au Crédit mutuel, pensant pouvoir financer son modeste train de vie étudiant dans le Grand Est pendant deux ans, voire un peu plus le temps de trouver du travail.

    Le prêt étudiant présente en effet la spécificité de n’être pas lié à une dépense particulière, permettant ainsi de payer frais d’inscription ou de la vie courante. Avec un taux préférentiel - mais qui diffère selon les banques et le profil de l’étudiant -, il se rembourse souvent en différé, à la fin des études.



    « J’avais prévu de dépenser 500 euros par mois maximum, sauf qu’avec l’inflation, c’est absolument impossible », confie l’étudiant boursier, que ses parents ne peuvent aider. « Depuis 4 ou 5 mois, avec le prix des courses, de l’électricité, de tout, je suis passé à 600 voire 700 euros par mois », explique-t-il, ne dépensant pourtant pas « des mille et des cents ».

    « Aversion à la dette »

    Techniquement ouvert à tout majeur inscrit dans l’enseignement supérieur, ce crédit « concerne moins de 10 % des étudiants en France, soit relativement peu comparé à d’autres pays », a expliqué à l’AFP Sébastien Grobon, économiste rattaché à l’Université Panthéon Sorbonne.

    Le contraste est fort avec les États-Unis où plus de la moitié est concernée, ou encore l’Allemagne et la Suède. La France présente une « aversion plus importante à la dette étudiante », précise le spécialiste des inégalités socio-économiques dans l’éducation, notamment en raison de « la tradition de frais d’inscription faibles et de bourses ».

    C’est pourquoi le prêt étudiant concernait « initialement plutôt des formations exceptionnelles et plus chères », « notamment les grandes écoles » privées et les « écoles de commerce », explique le chercheur. Ces formations promettent par ailleurs « des salaires élevés, qui faciliteront le remboursement ».

    Mais récemment, « de plus en plus » de jeunes qui étudient dans le public comme Alex se retrouvent contraints d’en contracter un, affirme Éléonore Schmitt, du syndicat L’Union étudiante.



    Malgré des frais de scolarité beaucoup moins importants, ils doivent emprunter pour financer leur vie quotidienne, surtout depuis « l’explosion de la précarité étudiante » liée au Covid, explique-t-elle.

    Hausse des montants empruntés

    Chiffrer la dette étudiante en France est très difficile. Aucun organisme du secteur interrogé par l’AFP (FBF, Banque de France, ASF, ACPR) ne dispose de données précises sur le nombre et l’encours des prêts étudiants.

    En juillet 2021, une mission d’information du Sénat regrettait qu’aucune structure ne soit chargée « d’agréger ces données à l’échelle nationale », parlant de « phénomène mal appréhendé » qui « mériterait d’être mieux documenté ».

    Les banques se montrent, elles, très discrètes, communicant surtout les chiffres des prêts étudiants garantis par l’État, dispositif qui permet aux moins de 28 ans d’emprunter jusqu’à 20 000 euros sans caution ni garant, puisque c’est la Banque publique d’investissement (Bpifrance) qui joue ce rôle.



    Seule BPCE s’est montrée totalement transparente auprès de l’AFP, indiquant avoir constaté dans ses Banques populaires et Caisses d’épargne un « très fort dynamisme sur le crédit étudiant » en 2022, avec un bond du nombre de prêts (70 800, + 9,5 %) et des montants empruntés (226 millions d’euros pour les Banques populaires, + 21 %, et 985 millions d’euros pour l’ensemble du groupe, comme précisé lundi par BPCE).

    Interrogées par l’AFP, BNP Paribas et la Société générale indiquent, elles, avoir constaté en 2022 « une légère baisse du nombre de prêts étudiants ». Cependant, « le montant total accordé a augmenté », précise Société générale.

    L’augmentation des sommes empruntées ne tient pas à la seule hausse du coût de la vie quotidienne. Elle s’explique aussi par l’augmentation de frais d’inscription déjà élevés d’écoles privées, terrain de chasse favori des banques.

    « Beaucoup d’étudiants avaient fait des prêts à leur entrée dans l’école qui ne permettent plus de couvrir le montant demandé par l’établissement »

    À Sciences-po, où cinq banques installent leur stand pendant la période d’intégration, les frais de scolarité - déterminés en fonction du revenu des parents (jusqu’à 19 670 euros/an) - ont tous augmenté de 7,5 % cette année, à cause de l’inflation.

    « Beaucoup d’étudiants avaient fait des prêts à leur entrée dans l’école qui ne permettent plus de couvrir le montant demandé par l’établissement », dénonce Inès Fontenelle, élue étudiante.

    C’est le cas de Geoffroy Brocart : l’étudiant de 21 ans avait calculé que 35 000 euros lui permettraient de payer les frais d’inscription de ses trois dernières années d’études (L3 et master), mais c’était « évidemment dans les conditions de 2020, avec encore très peu d’inflation ».



    Désormais, « je pense qu’il va me manquer entre 5 000 et 10 000 euros pour finir », en partie à cause de l’inflation, indique l’étudiant en master d’urbanisme, « mais ça sera peut-être plus » si l’administration procède à de nouvelles augmentations.

    Geoffroy Brocart s’estime cependant « très privilégié » : « mes parents vont m’aider », « j’ai la chance de ne pas devoir faire d’autre prêt ».

    Nombre d’étudiants doivent eux solliciter une rallonge, qui peut prendre la forme d’un nouveau crédit étudiant ou d’un crédit à la consommation normal, dont les taux sont très élevés.

    « Cercle vicieux »

    Si BNP Paribas n’a pour le moment pas constaté « d’augmentation significative » de ces demandes, elle a toutefois ouvert cette année la possibilité de « souscrire un prêt étudiant complémentaire », a-t-elle précisé.

    En effet, les taux d’intérêt des prêts étudiants sont passés en un an et demi de moins de 1 % en moyenne à plus de 2 %, a indiqué Maël Bernier, porte-parole des courtiers Meilleurtaux.

    Un niveau certes bien plus avantageux que les taux actuels des autres crédits mais synonyme d’un remboursement qui reste lourd à assumer pour nombre de jeunes actifs débutant leur vie professionnelle.

    D’autant que tous les étudiants ne sont pas égaux devant les conditions de prêts : les banques choisissent en général de prêter à de meilleurs taux aux étudiants de grandes écoles, moins susceptibles d’un défaut de paiement.

    Ceux qui ne peuvent bénéficier ni de l’aide des parents ni d’un prêt complémentaire devront se serrer la ceinture en faisant de l’alimentation et des soins des « variables d’ajustement du budget », déplore l’association étudiante Fage. Ou bien travailler en parallèle, « au-delà de 12 heures/semaine et au péril de la réussite académique ».

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