Besançon : l'anesthésiste aurait injecté la mort

Le médecin au-dessus de tout soupçon a été mis en examen pour sept empoisonnements. Mais une quarantaine d'autres cas suspects sont examinés par les enquêteurs.

La polyclinique de Franche-Comté, où Frédéric P. a exercé, a évoqué « trois événements graves » qui avaient déjà donné lieu à une enquête, classée sans suite à l’époque.
La polyclinique de Franche-Comté, où Frédéric P. a exercé, a évoqué « trois événements graves » qui avaient déjà donné lieu à une enquête, classée sans suite à l’époque. MAXPPP/PHOTOPQR/« L’EST RÉPUBLICAIN »/SAM COULON

    «Bien soigner, c'est notre métier.» Avec une telle devise, c'est peu dire que la mise en examen de l'un de ses praticiens pour empoisonnements, lundi soir, a créé un «choc émotionnel» et un «vif émoi» parmi les collègues de Frédéric P., selon les mots de la direction de la clinique Saint-Vincent. L'établissement privé, qui jouit d'une excellente réputation à Besançon (Doubs), a annoncé mardi avoir déposé une plainte, et ce alors qu'une information judiciaire confiée à deux juges d'instruction va tenter de décortiquer la carrière, jusqu'ici irréprochable, de ce médecin anesthésiste de 45 ans.

    Des substances introduites « sciemment »

    Exerçant depuis 2004 dans la clinique, Frédéric P. donnait l'image d'un «garçon très professionnel, très au fait des nouvelles techniques et sur le travail duquel nous n'avions jamais rien eu à redire», témoigne avec un étonnement non feint le Dr Dreyfus Schmidt, président du comité médical de l'établissement qui, en tant que chirurgien orthopédiste, a très souvent travaillé à ses côtés. Mais le 11 janvier dernier, un premier incident éveille les soupçons : dans le bloc opératoire voisin de celui de Frédéric P., le patient endormi, pourtant en bonne santé, est victime d'un problème cardiaque grave. Appelé à la rescousse, Frédéric P. pose très vite le diagnostic et le ranime avec succès. Intrigué, l'anesthésiste en charge ordonne des analyses sur les poches perfusées à son patient pendant l'intervention.

    Les résultats, reçus cinq jours plus tard, sont sans appel : celles-ci ont été contaminées à haute dose avec des produits dangereux. Un incident immédiatement signalé à l'agence régionale de santé (ARS) et au procureur de la République, qui pousse alors la clinique à remplacer l'ensemble des poches et à renforcer drastiquement les contrôles en interne. Mais le 20 janvier, le même scénario se répète, toujours en présence de Frédéric P., suscitant les doutes d'un deuxième anesthésiste. «Dans les deux cas, les analyses ont permis de retrouver de fortes quantités de potassium ou d'anesthésiques à doses létales», substances introduites «sciemment» dans ces poches «où elles n'avaient pas lieu d'être», précise Christine de Curraize, vice-procureure de Besançon, qui exclut l'erreur médicale. «Il ne pouvait s'agir que d'actes volontaires de nature à entraîner la mort des patients», ajoute la magistrate, évoquant un acte intentionnel et prémédité.

    Dès lors, les policiers font très vite le lien avec deux cas suspects survenus en 2008 et en 2016 dans cette même clinique, toujours en présence de Frédéric P. : un homme de 53 ans, opéré des reins, et une femme de 51 ans, hospitalisée pour une fracture, étaient morts d'un arrêt cardiaque inexpliqué. Les enquêteurs ont également exhumé une procédure ancienne, remontant à 2009. Frédéric P. avait exercé quelques mois dans une autre clinique du secteur. Là encore, celle-ci avait alerté les autorités et porté plainte contre X. Dans un communiqué, la polyclinique de Franche-Comté évoque «trois événements graves» survenus sur «une courte période». Des «faits troublants» qui avaient donné lieu à une enquête, classée sans suite.

    Il nie les faits

    Mis en cause pour sept empoisonnements, dont deux mortels — agissements passibles de trente ans de prison qu'il nie farouchement —, l'enquête se poursuit pour tenter de déterminer si d'autres faits peuvent lui être imputés. «On n'est pas à l'abri de voir le nombre de victimes s'élargir», a ainsi prévenu mardi Christine de Curraize.

    Selon nos informations, les enquêteurs examineraient actuellement à la loupe pas moins d'une quarantaine d'autres cas suspects, dont une vingtaine mortels, survenus entre 2008 et 2017 à Saint-Vincent, sans qu'un lien ne soit pour l'heure établi avec Frédéric P. Les policiers s'interrogent notamment sur ses motivations qui, compte tenu de l'âge des patients (de 37 à 53 ans), semblent éloignées d'un quelconque accompagnement de fin de vie. Ils n'excluent pas, en revanche, qu'il ait pu provoquer volontairement ces accidents cardiaques dans le seul but de se procurer le frisson de la réanimation.