«Mon cœur va exploser» : les larmes des Parisiens devant Notre-Dame en feu

Un incendie a éclaté à Notre-Dame de Paris, ce lundi, peu avant 19 heures. Touristes et riverains sont sous le choc.

 Plus qu’une ville, c’est une planète qui souffre devant Notre-Dame en flammes.
Plus qu’une ville, c’est une planète qui souffre devant Notre-Dame en flammes. AFP/Eric Feferberg

    « Mon Dieu, mon Dieu ! Notre-Dame brûle, Notre-Dame est en feu ! hurle une femme » en rebroussant chemin. Une autre se penche vers le sol, recueille l'une des lucioles qui vient de s'éteindre, miette calcinée de toiture. Dans le creux de sa main, elle en compte déjà une dizaine. « Pourquoi les ramassez-vous ? -Je les garderai toute ma vie. Ce qui se passe est très grave », répond-elle dans un souffle. « N'allez pas plus loin, madame ! C'est pour vous que je dis ça ! » lui intime un policier perdant patience.

    À l'angle de la petite rue Xavier Privas qui donne sur le quai de Seine, aux lisières du cœur du quartier Saint-Michel, les policiers à peine arrivés, appuyés par une patrouille Vigipirate, ont du mal à contenir les badauds qui affluent pour photographier le panache de fumée qui brunit le ciel et surtout les flammes qui ne cessent de grossir à l'arrière du corps de Notre-Dame de Paris. Une curieuse pluie commence à s'abattre sur les têtes, emportée par le souffle du vent qui s'est brusquement levé.

    L'incendie s'est déclaré depuis une vingtaine de minutes et dans ce secteur si touristique, les rabatteurs des restaurants commencent à n'en plus mener large en jetant par-dessus les toits des regards inquiets. Le flot des promeneurs s'est accéléré dans les deux sens. Ceux qui courent voir et ceux, en famille, qui rebroussent chemin d'un bon pas en poussant leurs enfants. « Les gens bloquent tout, s'écrie un homme. Les pompiers ne peuvent plus travailler ! » Des sirènes résonnent de toutes parts.

    Marie, vingt ans, de Valence, dans la Drôme, se rendait justement à la cathédrale. Elle ouvre des yeux hallucinés, déjà rouges de larmes retenues, devant le spectacle qu'elle ne peut plus apercevoir qu'en se tassant dans un angle. Elle a du mal à croire ce qu'elle voit. « C'est impossible, c'est impossible ce qui se passe », répète-t-elle en boucle. L'averse de flammèches semble redoubler. Elles atterrissent sur les vêtements comme des cendres du diable.

    Cris de stupeur quand la flèche tombe

    Plus qu'une ville, c'est une planète qui souffre devant Notre-Dame en flammes. Place Saint-Michel, Parisiens et touristes assistent incrédules au désastre. La chute de la flèche, à 19h53, provoque un cri de stupeur dans la foule tandis que les policiers s'efforcent tant bien que mal de dresser un périmètre de sécurité. Il faut laisser passer les véhicules de secours mais pas seulement : les cendres incandescentes continuent à tomber du ciel.

    « C'est épouvantable », confie Éléonore, émue, comme la plupart des personnes massées sur la place, hypnotisées par les flammes qui dévorent la toiture. « C'est tout un pan de notre histoire qui part en fumée, poursuit cette Parisienne de 50 ans. J'ai du mal à retenir mes larmes. Il y a tellement de gens qui sont morts pour construire cette cathédrale… » D'innombrables portables sont brandis par-dessus les têtes pour capter un fragment de l'événement qui marque déjà l'histoire de la capitale.

    En ces temps de menace terroriste, les premières informations faisant état d'une origine a priori accidentelle du sinistre rassurent. Mais elles n'atténuent pas le désespoir provoqué par un tel spectacle. « Notre-Dame est un symbole dans le monde entier. C'est tellement triste, se lamente Bertrand, un étudiant installé à Paris originaire d'Agen. Qu'on soit catholique, comme moi, ou non, tout le monde est choqué. Parce que c'est un monument qui a traversé notre histoire. » « Quand on pense qu'elle a résisté à deux guerres mondiales », lâche, sonné, un étudiant au téléphone avec un camarade.

    «J'ai l'impression que Paris a déjà changé»

    Les très nombreux touristes ont eux aussi les yeux rivés vers l'imposante bâtisse désormais entourée de camions de pompiers et de lances qui s'élancent vers le ciel rougi par les flammes. À la nuit tombée, l'ambiance est irréelle. « Avec la tour Eiffel, c'est le monument français le plus connu chez nous, explique un couple de Chinois. C'est incroyable d'assister à ça ! Je cherche la flèche des yeux mais je ne la vois plus. J'ai l'impression que Paris a déjà changé. »

    Tous ces voyageurs venus de loin n'en reviennent pas, conscients de vivre un moment d'histoire. Peter, 40 ans, et sa femme Agnès, des touristes de Porto Rico, achevaient à peine la visite du monument quand ils ont vu le feu partir du toit. « On venait de visiter cette œuvre d'art si belle : ça me fend le cœur. J'ai dû prendre les dernières photos. C'est une tragédie, pas seulement pour la France mais pour le monde entier. »

    À Paris pour étudier les sciences politiques un semestre, Ben, un Américain de 21 ans originaire de Washington DC, est assailli de messages de ses proches de l'autre côté de l'Atlantique. « Ils veulent tout savoir : si je suis en sécurité, si les pompiers sont arrivés, quels sont les dégâts… » relate-t-il. L'étudiant se dit « dévasté ».

    « C'est horrible. J'ai l'impression que le monde est en train de brûler, ajoute le jeune Américain qui se passe la main dans ses cheveux bouclés pour disperser la cendre. J'ai visité la cathédrale il y a un mois, c'est probablement la plus belle église que j'ai jamais vue. Même si je pense qu'elle va être reconstruite, c'est dur de se dire qu'une partie de la construction originelle n'existera plus. C'est perdu à jamais. »

    «Je voulais la voir mourir de mes yeux»

    Dans les fumées jaunes âcres qui voilent le soleil couchant, ils sont des milliers à se masser à l'entrée du pont d'Arcole et sur le parvis de l'Hôtel de Ville, le visage tourné vers l'incendie. À la fois horrifiés, hébétés, hypnotisés par les flammes. Beaucoup de Parisiens sont en larmes. « J'ai le cœur qui va exploser », confie Lorraine, 24 ans, qui a été guide touristique sur l'île de la Cité pendant un an et demi et a accouru depuis le quartier Opéra dès qu'elle a su.

    « C'est comme un amour : je voulais la voir mourir de mes yeux, sanglote cette passionnée d'histoire. C'est 850 ans qui partent, tout notre patrimoine, le cœur de Paris, le cœur de la France. Elle traversait le temps : c'est terrible de la voir brûler comme un feu de paille. »

    Aline, 32 ans, qui travaille sur dans le quartier, regarde les flammes, prostrée. « Il n'y a pas de mot pour dire ce que je ressens. Ce monument, c'est le début de Paris. Tout a commencé sur l'île de la Cité. C'est encore plus significatif que la tour Eiffel. »

    Gestes fraternels

    Par vagues régulières, des salariés des commerces de l'île de la Cité et des habitants sont extraits du périmètre de sécurité. Anthony, 21 ans, qui vend des glaces chez Amorino explique que les policiers lui ont demandé d'évacuer illico peu après 19 heures. « On a eu à peine le temps de fermer boutique. Ils évacuaient tous les habitants du secteur : certains n'étaient pas habillés, ça ressemblait à la fin du monde. »

    Fabien, 35 ans, a toujours vécu face à Notre-Dame, il tient une échoppe de restauration et de cadeaux détenue par sa famille depuis trois générations. « C'est d'une tristesse, c'est dramatique, c'est catastrophique, égrène-t-il. Les pompiers vont faire leur possible, mais c'est tellement compliqué pour atteindre la charpente. Tout le bois va brûler. »

    L'émotion est si forte que les gestes se veulent fraternels. David, 40 ans, est lui aussi en pleurs, un inconnu le réconforte d'une accolade. « C'est une perte majeure, se désole ce salarié du musée du Louvre. Cette cathédrale est tellement belle, c'était l'une des rares à avoir conservé sa toiture. C'est irremplaçable. »

    Lorraine, l'ex-guide touristique de l'île de la Cité, prédit elle aussi des dégâts considérables : « Les peintures intérieures seront détruites, les vitraux vont exploser », déplore-t-elle. Malgré son chagrin, elle veut déjà penser à la renaissance de Notre-Dame. « C'est une survivante. Il faudra beaucoup d'argent et elle sera évidemment différente mais on va ouvrir un nouveau chapitre de son histoire après ce 15 avril 2019. »

    «Notre-Dame va ressusciter»

    Tandis que des catholiques fervents entonnent des chants religieux à la nuit tombante, certains s'efforcent déjà d'imaginer la suite. « Il va falloir voir ce qui reste quand l'incendie aura été vaincu, note avec son regard d'experte Dominique, une architecte. Je pense qu'il ne restera plus rien de la charpente. Il faudra voir pour la structure… »

    « Il y avait des œuvres inestimables à l'intérieur. Soit elles sont détruites, soit elles sont pleines d'eau, se désole Élisabeth, historienne d'art, à qui ce drame rappelle l'incendie de la cathédrale de Nantes, le 28 janvier 1972, à cause d'un chalumeau resté allumé. C'est arrivé une fois et le pire c'est que ça n'a pas servi de leçon ! »

    Vladimir, lui, ne pense qu'à l'avenir. « C'est une catastrophe mais on va la réparer. J'en ai la conviction, insiste ce parisien de 54 ans. De toute façon on n'a pas le choix. Notre-Dame est notre maison commune. Elle nous appartient à tous. Les pierres sont encore debout, les tours ne se sont pas effondrées donc je sais que ça va être possible. » En cette semaine sainte, Vladimir en est persuadé : « Notre-Dame va ressusciter. »

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