Rixe de Sisco : « Une affaire symptomatique du contexte actuel français »

Rixe de Sisco : « Une affaire symptomatique du contexte actuel français »

    Liza Terrazzoni est sociologue à l'EHESS. Spécialiste des migrations et des rapports sociaux en Corse, elle décrypte les événements de Sisco.

    Quelle est votre analyse de ces affrontements ?

    LIZA TERRAZZONI. Je les vois d'abord comme une bagarre qui s'envenime entre Bastiais et habitants de Sisco. Et il y a beaucoup de bagarres de ce genre sur la plage ou ailleurs en Corse. On a décrit cette affaire uniquement au prisme du communautarisme insulaire. Or, si on l'analyse seulement du point de vue de la spécificité corse, on s'empêche de voir qu'elle est aussi le reflet d'une situation nationale, celle des tensions identitaires et d'une stigmatisation de l'islam. Cette affaire est symptomatique du contexte actuel français oùbeaucoup d'événements sont lus à l'aune des appartenances culturelles.

    En réaction, des manifestants corses ont crié « On est chez nous ! ». Pourquoi une telle réaction ?

    Parce que nous sommes dans une société où l'identité est sacralisée et où le recours à la violence, banal... notamment quand il s'agit d'identité. La mise en scène de l'identité corse comme menacée et la peur de la disparition du peuple corse font la trame des discours nationalistes depuis quarante ans. Il est difficile de rompre avec cela. Dans la rhétorique utilisée au sein des courants les plus radicaux, l'Etat français est accusé d'avoir mené une « substitution ethnique » en organisant une immigration de populations dites « étrangères ». Cela ne légitime en rien ces discours, mais si on rapporte le nombre d'étrangers à la population, la Corse se situe au deuxième rang derrière l'Ile-de-France.

    Il y a aussi l'idée largement répandue selon laquelle l'Etat n'est pas capable d'assurer la sécurité. Donc qu'il y aurait là une situation de légitime défense. « Aux armes citoyens » version corse...

    Des membres de la famille maghrébine impliquée ont crié : « Portugais ! ». Vu du continent, cela paraît surprenant...

    Sociologiquement, c'est significatif. Sur l'île, traiter quelqu'un de « Portugais » ou de « Sarde » peut être utilisé pour lui signifier qu'il est un « faux Corse », beaucoup ayant en effet des origines portugaises ou italiennes. C'est donc là un vocabulaire typiquement... corse. Mais finalement qu'est-ce qu'un « vrai » Corse ? Faut-il rappeler que cette île est une terre de migrations, peuplée par des vagues de population successives ?