Marie Bolloré : «Mettre fin à Autolib' est une décision aberrante»

La dirigeante d’Autolib’ Marie Bolloré s’exprime pour la première fois sur la décision de la Ville de Paris de mettre fin ce jeudi au service d’autopartage de véhicules électriques.

    Jeudi, Autolib' ce sera (sans doute) fini. Les élus du Syndicat Autolib' Vélib' Métropole (SAVM), qui réunit Paris et 98 communes de banlieue adhérentes au service d'autopartage de Bolloré, sont amenés à se prononcer sur la résiliation anticipée de cette délégation de service public avant son échéance en 2023. En cause, les pertes abyssales du service.

    Lancé en 2011, Autolib' a conquis 370 000 abonnés depuis ses débuts et environ 25 millions de trajets ont été effectués sur ses quelque 4 000 Bluecar électriques. Mais sans jamais atteindre l'équilibre économique. Bolloré a donc demandé aux communes 233 millions d'euros sur les 293 millions d'euros de pertes attendus en 2023.

    « Abracadabrantesque » selon Anne Hidalgo, la maire de Paris. Après avoir entendu aussi l es reproches de Catherine Baratti-Elbaz, présidente du SAVM, vendredi, le groupe Bolloré a tenu à réagir. « Cette décision est aberrante », a martelé Marie Bolloré, directrice de la mobilité pour Blue Solutions et fille de l'industriel breton, pour sa première prise de parole sur le sujet.

    Qu'est-ce qui vous pousse à sortir du silence ?

    MARIE BOLLORÉ. On voulait réagir car nous avons découvert dans la presse la décision du syndicat mixte Autolib' Métropole. Beaucoup d'éléments sont peu exacts. Notamment sur l'arrêt brutal des négociations. Nous avions alerté sur le déficit et l'urgence de prendre des mesures pour relancer le service et innover. C'était fin décembre 2016, et la seule réponse qu'a eue le syndicat mixte, c'est de commander un audit au cabinet Ernst & Young.

    On évoque des surfacturations...

    L'audit prouve qu'il n'y a pas eu de surfacturation de notre part, contrairement à ce que laisse entendre le syndicat. On n'a jamais rompu les négociations, même après l'échec de la conciliation en début d'année. Nous étions même parvenus à un accord de principe en avril. Puis on n'a plus eu de nouvelles....

    Pourquoi le service est-il en déficit ?

    C'est dû à une baisse du chiffre d'affaires. Il y a eu l'irruption de toutes les concurrences dont on a déjà parlé (VTC, nouvelles offres de partage de véhicules). On pensait aussi qu'il y aurait plus de trajets banlieue-Paris, ou banlieue-banlieue, ce qui aurait fait des locations plus longues. L'audit a permis de faire un certain nombre de propositions pour relancer le service, comme l'ouverture des voies de bus aux Autolib', la fermeture des stations dans des endroits non rentables, dans les parkings souterrains parisiens et certaines en banlieue, la baisse de la redevance pour l'occupation des places (4 millions d'euros à notre charge en 2017), la prise en charge du coût du vandalisme… Mais rien n'a été fait par le SAVM.

    Rien, vraiment ?

    La raison principale, c'est l'inaction du syndicat mixte. On a proposé de nombreuses solutions, nous étions prêts à innover, à faire évoluer le modèle, même pour du free floating (NDLR : partage de véhicules sans station fixe). Mais la moindre action doit être soumise à l'accord du syndicat mixte. Nous devons en plus constamment faire face à des contraintes, comme des fermetures de stations (400 bornes inactives en permanence), pour des travaux, des événements. Et à côté de cela, pour la journée sans voiture, qui sert pourtant à lutter contre la pollution, tous les VTC roulant au diesel étaient autorisés, et les Autolib' interdites… On a le sentiment que notre délégation de service public n'est ni protégée, ni défendue.

    Le service va-t-il s'arrêter jeudi ?

    Le contrat prévoit que le service s'arrête à la date de résiliation. Mais nous attendons que les élus se prononcent et de recevoir la notification. Si c'est le cas, nous verrons les modalités de sortie du service. Ensuite c'est sans doute le tribunal administratif qui tranchera et décidera combien cela va coûter.

    Justement, ça va coûter combien ?

    Nous nous battrons pour avoir notre dû. Fin 2017, nous en sommes à 210 millions d'euros de pertes. Si nous les prenons en charge à hauteur de 60 millions d'euros, comme le contrat le prévoit, il reste tout de même 150 millions d'euros, auquel s'ajouteront les coûts de résiliation des contrats de sous-traitance qui se compte en dizaine de millions d'euros, le rachat des bornes de recharge pour 16 millions d'euros…. On sera plus proche des 300 millions d'euros que des dizaines de millions évoqués par le syndicat mixte. Je le répète, la décision nous paraît totalement absurde. En tant qu'entreprise et en tant que contribuable, nous ne la comprenons pas.

    Qu'en sera-t-il de l'avenir des salariés ?

    C'est la plus grande problématique pour notre groupe. Il y a 254 personnes sous contrat Autolib'. Selon le contrat, ils devront être transférés au syndicat mixte. À cela s'ajoutent 250 personnes dans les filiales du groupe Bolloré qui travaillent pour le service. Puis des sous-traitants, qui représentent des dizaines et des dizaines d'emplois. Beaucoup sont là depuis le début, ils ont acquis une expertise formidable sur les nouvelles mobilités. Il faut que le syndicat les aide à retrouver un emploi. Nous, on ne les laissera pas tomber.

    Fin d'Autolib' : Marie Bolloré dénonce une «décision totalement aberrante»