Gabon : « fin du régime en place », Bongo en résidence surveillée… ce que l’on sait du coup d’État

« Toutes les institutions de la république sont dissoutes », a annoncé un groupe de militaires et policiers, peu après la victoire du président sortant Ali Bongo ce mercredi.

    Situation tendue ce mercredi au Gabon. Des militaires ont annoncé mettre « fin au régime en place » dans le pays, où les résultats officiels de la présidentielle du samedi 26 août venaient tout juste de consacrer la victoire du président Ali Bongo, au pouvoir depuis 14 ans.

    Devant les ambassadrices et ambassadeurs de France réunis à Paris, la cheffe du gouvernement Élisabeth Borne a énuméré plusieurs crises récentes à laquelle la diplomatie française a été confrontée, « et désormais la situation au Gabon que nous suivons avec la plus grande attention ».

    Que s’est-il passé ?

    Dans un communiqué lu sur la chaîne de télévision Gabon 24 abritée au sein de la présidence, un groupe d’une douzaine de militaires et de policiers gabonais ont annoncé l’annulation des élections, la dissolution de « toutes les institutions de la République » et la « fin du régime ».

    Après avoir constaté « une gouvernance irresponsable, imprévisible qui se traduit par une dégradation continue de la cohésion sociale risquant de conduire le pays au chaos (…) nous avons décidé de défendre la paix en mettant fin au régime en place », a déclaré un de ces militaires disant s’exprimer au nom d’un « Comité de transition et de restauration des institutions ». « À cet effet, les élections générales du 26 août 2023 ainsi que les résultats tronqués sont annulés », a-t-il ajouté.



    « Toutes les institutions de la république sont dissoutes, le gouvernement, le Sénat, l’Assemblée nationale, la Cour constitutionnelle. Nous appelons la population au calme et à la sérénité et nous réaffirmons notre attachement au respect des engagements du Gabon à l’égard de la communauté internationale », a-t-il poursuivi, annonçant aussi la fermeture des frontières du pays « jusqu’à nouvel ordre ».

    En fin de matinée, les militaires putschistes ont indiqué à la télévision d’État qu’Ali Bongo avait été placé en résidence surveillée, « entouré de sa famille et de ses médecins ». Dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, il est apparu assis dans un fauteuil et manifestement inquiet. « J’envoie un message à tous nos amis dans le monde entier pour leur dire de faire du bruit » à propos « des gens qui m’ont arrêté, moi et ma famille », s’est exprimé en anglais Ali Bongo.

    « Il est mis à la retraite, il jouit de tous ses droits. C’est un Gabonais normal, comme tout le monde », a déclaré dans une interview au Monde le général Brice Oligui Nguema, nommé « président de la transition », sans donner d’indication sur sa localisation et son état.

    Un des fils du président, Noureddin Bongo Valentin, a été arrêté notamment pour « haute trahison ». Une série d’arrestations ont également visé six autres hauts responsables du régime, tels le directeur de cabinet d’Ali Bongo et son directeur adjoint, des conseillers de la présidence ainsi que les numéros un et deux du tout-puissant Parti démocratique gabonais (PDG). Une série d’arrestations ont visé six autres personnes.

    Qui sont ces militaires ?

    Parmi ces militaires figuraient des membres de la garde républicaine (GR), la garde prétorienne de la présidence reconnaissables à leurs bérets verts, ainsi que des soldats de l’armée régulière et des policiers. La déclaration a ensuite également été diffusée sur la télévision publique Gabon 1re.



    Peu après la lecture de la déclaration des militaires, des journalistes de l’AFP ont entendu des tirs d’armes automatiques dans plusieurs quartiers de Libreville. Ces tirs, sporadiques, ont rapidement cessé.

    Dans la matinée, la télévision d’État a diffusé des images des militaires putschistes portant en triomphe le chef de la garde présidentielle, le général Brice Oligui Nguema. Ce dernier a par la suite été nommé « président de la transition » au terme d’une réunion des militaires putschistes ce mercredi après-midi.

    Dans quel contexte ?

    L’annonce de ce coup de force est intervenue peu après la publication des résultats officiels de l’élection présidentielle de samedi, qui a vu le président sortant Ali Bongo Ondimba, au pouvoir depuis 14 ans, décrocher un troisième mandat avec 64,27 % des suffrages. Il briguait un troisième mandat, réduit de 7 à 5 ans, aux élections de samedi qui regroupaient trois scrutins, présidentiel, législatifs et municipaux, tous sur un seul tour.

    Âgé de 64 ans, Ali Bongo a été élu en 2009 après la mort de son père Omar Bongo Ondimba, qui avait dirigé pendant plus de 41 ans ce petit État d’Afrique centrale riche de son pétrole. L’opposition a régulièrement dénoncé la perpétuation d’une « dynastie Bongo » de plus de 55 ans à ce jour.

    Les résultats officiels ont été égrenés en plein milieu de la nuit, à 3h30 (2h30 GMT), sur la télévision d’État sans qu’aucune annonce de l’événement n’ait été faite préalablement. En plein couvre-feu donc, et alors que l’internet était coupé dans tout le pays (il a été rétabli ce mercredi vers 7 heures), deux mesures décrétées par le gouvernement samedi avant la fermeture des bureaux de vote, afin de parer selon lui à la diffusion « de fausses nouvelles » et à d’éventuelles « violences ».

    Le président sortant Ali Bongo Ondimba, au pouvoir depuis 14 ans, vient de décrocher un troisième mandat avec 64,27 % des suffrages.
    Le président sortant Ali Bongo Ondimba, au pouvoir depuis 14 ans, vient de décrocher un troisième mandat avec 64,27 % des suffrages. AFP/Steeve Jordan

    Selon ces résultats proclamés par le président du Centre gabonais des élections (CGE), Michel Stéphane Bonda, à l’antenne de la télévision d’État Gabon 1ère, le principal rival d’Ali Bongo, Albert Ondo Ossa, n’a recueilli que 30,77 % des voix.

    Albert Ondo Ossa avait dénoncé des « fraudes orchestrées par le camp Bongo » deux heures avant la clôture du scrutin samedi, et revendiquait alors déjà la victoire. Son camp a exhorté lundi Ali Bongo à « organiser, sans effusion de sang, la passation du pouvoir » sur la base d’un comptage effectué selon lui par ses propres scrutateurs, et sans produire de document à l’appui.

    Albert Ondo Ossa, 69 ans, avait été choisi seulement huit jours avant le scrutin par la principale plate-forme des partis de l’opposition, Alternance 2023, au terme d’une âpre lutte entre six prétendants. Ce qui n’avait laissé que six jours à ce professeur agrégé d’économie à l’université de Libreville, et ancien ministre d’Omar Bongo, pour faire campagne.

    Qu’ont dit les militaires ?

    Voici le verbatim du communiqué lu sur la chaîne de télévision Gabon 24.

    « Notre beau pays, le Gabon, a toujours été un havre de paix. Aujourd’hui, ce pays traverse une grave crise institutionnelle, politique, économique et sociale.

    Aussi, force est d’admettre que l’organisation des échéances électorales, dites élections générales du 26 août 2023, n’a pas rempli les conditions d’un scrutin transparent, crédible et inclusif tant espéré par les Gabonaises et les Gabonais.

    À cela s’ajoute une gouvernance irresponsable, imprévisible, qui se traduit par une dégradation continue de la cohésion sociale, risquant de conduire le pays au chaos.

    Ce jour, 30 août 2023, nous, forces de défense et de sécurité, réunies au sein du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI), au nom du peuple gabonais et garant de la protection des institutions, avons décidé de défendre la paix en mettant fin au régime en place.

    À cet effet, les élections générales du 26 août 2023 ainsi que les résultats tronqués sont annulés. Les frontières sont fermées jusqu’à nouvel ordre.

    Toutes les institutions de la République sont dissoutes, notamment le gouvernement, le Sénat, l’Assemblée nationale, la Cour constitutionnelle, le Conseil économique, social et environnemental, le Centre gabonais des élections.

    Nous appelons les populations, les communautés des pays frères installées au Gabon ainsi que les Gabonais de la diaspora au calme et à la sérénité.

    Nous réaffirmons notre attachement au respect des engagements du Gabon vis-à-vis de la communauté nationale et internationale.

    Peuple gabonais, c’est enfin notre essor vers la félicité. Que dieu et les mânes de nos ancêtres bénissent le Gabon. Honneur et fidélité à la patrie. Je vous remercie. »

    Quelle est la situation sur place ?

    Vers 6 heures ce mercredi, les rues du centre-ville de Libreville étaient désertes, selon l’AFP. Selon des témoignages, sur le grand boulevard du bord de mer menant au centre-ville, quelques véhicules dont un blindé transportant des troupes ont été aperçus.

    Dans le quartier populaire Plein Ciel de Libreville, non loin du centre, un membre du personnel de l’AFP a vu une centaine de personnes sur un pont, à pied ou en voiture, crier : « C’est la libération ! » ou encore « Bongo dehors ! ». Au son des klaxons, ils ont salué et applaudi des policiers en tenue anti-émeutes au visage masqué.

    Selon cette source, des militaires à bord d’un véhicule de transport ont levé les bras en signe de victoire, et ont été applaudis par la foule.

    Des militaires ont été salués par la foule à Port-Gentil ce mercredi peu après l'annonce du coup d'Etat.
    Des militaires ont été salués par la foule à Port-Gentil ce mercredi peu après l'annonce du coup d'Etat. Reuters/GAETAN M-ANTCHOUWET

    Dans le quartier aisé d’Akanda, non loin de la résidence d’Ali Bongo, des habitants se tenaient sur le pas de leur porte, sans oser sortir, selon un membre du personnel de l’AFP, des militaires rigolards d’une unité d’élite leur demandant de rentrer chez eux.

    À Port-Gentil, la capitale économique, sur la place du Château d’eau dans un quartier très populaire et bastion traditionnel de l’opposition, des centaines de personnes sont sorties en voiture en klaxonnant au cri de « Le Gabon est libéré ». Certains dansent avec des policiers et des militaires en tenue, a rapporté Ousmane Manga, journaliste indépendant contacté par téléphone par l’AFP.

    Ce mercredi matin, le ministère des Affaires étrangères français recommande sur son site à ses ressortissants installés sur place « d’éviter ou de limiter à l’essentiel tous les déplacements, de se tenir informé de la situation et de respecter les consignes de sécurité données par l’ambassade ». Un numéro d’urgence a été mis en place pour les Français : 0033.1.43.17.51.00.