Crise Etats-Unis/Iran : pourquoi Téhéran obsède Trump

Le président américain a fait de l’Iran sa cible privilégiée. S’il semble poursuivre un objectif précis, en mettant le régime à genoux, il prend aussi le risque de l’escalade.

 Donald Trump est embarqué dans une escalade des tensions qui pourrait mener à une guerre… dont il ne veut à aucun prix.
Donald Trump est embarqué dans une escalade des tensions qui pourrait mener à une guerre… dont il ne veut à aucun prix. AFP/Mandel Ngan

    « Régime fanatique », « Etat voyou »… Donald Trump n'a pas assez de noms d'oiseaux pour qualifier la République islamique d'Iran. De toutes les obsessions du président américain – Hillary Clinton, les médias de « l'establishment… – le régime des mollahs est assurément l'une des plus tenaces. Sans doute parce qu'il a trouvé à Téhéran le parfait adversaire, « celui qui coche toutes les cases », explique Dominique Moïsi, conseiller à l'Institut Montaigne. Il a déjà l'avantage d'être un vieil ennemi de 40 ans, depuis la crise des otages déclenchée par Khomeyni. « Mais il est aussi l'ennemi principal d'Israël et de l'Arabie saoudite. Trump a pu mettre d'accord ces deux pays que tout oppose. Il compte leur donner les clés du Moyen-Orient et s'en retirer progressivement pour mieux se concentrer sur sa priorité : la confrontation stratégique avec la Chine », poursuit l'ancien professeur de géopolitique à Harvard.

    L'accord de 2015 sur le nucléaire iranien, dénoncé par le candidat Trump, a servi de prétexte en or – d'autant plus facilement qu'il avait été signé par son prédécesseur Obama – au milliardaire pour rallumer la mèche avec Téhéran. L'accord a été déchiré, les sanctions économiques renforcées, le régime iranien affaibli… Diable! Tout s'enchaînerait donc logiquement dans l'esprit de Donald Trump, qui a répété qu'il voulait mettre l'Iran à genoux?

    « Non, il est impulsif et simpliste, tranche l'historienne Nicole Bacharan, auteure des Secrets de la Maison blanche (Pocket). Il n'anticipe jamais ses prises de position brutales, et navigue entre ses contradictions. » De fait, voilà un président embarqué dans une escalade des tensions qui pourrait mener à une guerre … dont il ne veut à aucun prix. « Ça, les Iraniens l'ont bien compris. Ils ont interprété sa décision de ne finalement pas frapper le pays comme un recul de sa part », poursuit Bacharan.

    «La stratégie de Trump : se rendre incompréhensible»

    Alors pourquoi ce chantre de l'America first, qui avait promis à son électorat de ne plus intervenir dans des conflits lointains, continue-t-il à souffler sur les braises du Moyen-Orient? « La stratégie de Trump face à l'Iran, c'est de se rendre incompréhensible », juge le spécialiste des Etats-Unis, Jean-Eric Branaa. Quand il dit qu'il va punir l'Iran, on ne sait pas s'il va détruire une base de missiles ou… une barque! ironise l'enseignant à l'université Panthéon-Assas. Ce caractère imprévisible fait sa force. » Appréciation partagée par Dominique Moïsi, aussi « atterré » par le fond de sa diplomatie qu'il juge l'animal politique « rusé et même brillant à sa façon ». « Il a l'air de se retrouver dans le chaos qu'il crée. En tout cas, il mène le jeu, et obtient parfois des résultats comme dans son bras de fer commercial avec la Chine. »

    Parler fort, menacer, puis discuter ferme, comme le faisait jadis le promoteur immobilier dur en affaires… Sauf que de Manhattan au détroit d'Ormuz, il y a un monde. C'est ce que craignent tous les experts : un conflit « involontaire » dans cette région-poudrière où tout départ de feu devient vite incontrôlable. Alors qu'il vient de se lancer mardi dans la course à la présidentielle de 2020, il n'est pas interdit de voir dans la surenchère verbale du Républicain à l'égard de l'Iran un appel du pied à ses futurs électeurs. « Il montre qu'il est fort en mettant Téhéran sous pression maximale, puis il relâche la pression pour montrer qu'il est responsable », décèle Dominique Moïsi. Souffler le chaud et le froid, une habitude bien rodée, mais il prend des risques, avertit Jean-Eric Branaa. « S'il n'y avait même qu'un mort côté américain, Trump ne serait pas réélu ».