Gaza : ce que l’on sait de la mort de travailleurs d’une ONG américaine dans une frappe israélienne

World Central Kitchen est impliquée dans l’envoi d’aide par bateau de Chypre vers Gaza et dans la construction d’une jetée temporaire dans le territoire palestinien assiégé. Les États-Unis ont déclaré avoir le « cœur brisé », exhortant « Israël à promptement enquêter sur ce qu’il s’est passé ».

    Un nouveau drame dans l’horreur de la guerre. Des collaborateurs de l’organisation non gouvernementale américaine World Central Kitchen (WCK) qui livre de la nourriture dans la bande de Gaza menacée de famine ont été tués dans une frappe israélienne lundi, a annoncé son fondateur. World Central Kitchen fait état dans un communiqué de sept personnes tuées. Israël a finalement reconnu être à l’origine de la frappe.

    Que s’est-il passé ?

    Les circonstances dans lesquelles ces humanitaires sont morts restent pour l’heure floues. « Aujourd’hui, World Central Kitchen a perdu plusieurs de ses sœurs et frères dans une frappe de l’armée israélienne à Gaza », a déclaré dans la nuit de lundi à ce mardi sur X (ex-Twitter) le patron et fondateur de cette ONG basée aux États-Unis, le cuisinier américano-espagnol José Andrés. D’après lui, ils ont été tués « alors qu’ils travaillaient pour soutenir notre œuvre humanitaire de livraison de nourriture à Gaza », selon un communiqué distinct de l’organisation, dénonçant une « tragédie ».

    À la mi-journée ce mardi, le Premier ministre Israélien Benyamin Netanyahou a reconnu que la frappe ayant tué ces humanitaires était israélienne mais « non intentionnelle ». « Malheureusement hier (lundi), il s’est produit un incident tragique, nos forces ayant frappé de façon non intentionnelle des innocents dans la bande de Gaza. Cela arrive dans une guerre, nous allons vérifier jusqu’au bout, nous sommes en contact avec les gouvernements et ferons tout pour que cela ne se reproduise plus jamais. »

    L’ONG a indiqué que son équipe se déplaçait à bord d’un convoi composé de « deux voitures blindées portant le logo WCK et d’un véhicule léger » au moment de la frappe. « Malgré la coordination des mouvements avec les FDI (l’armée israélienne), le convoi a été touché alors qu’il quittait l’entrepôt de Deir al-Balah, où l’équipe avait déchargé plus de 100 tonnes d’aide alimentaire humanitaire acheminée à Gaza par voie maritime », précise-t-elle dans le communiqué.



    Un correspondant de l’AFP a vu à l’hôpital des Martyrs d’Al Aqsa de Deir el-Balah cinq corps et trois passeports étrangers près des dépouilles. Des images de ces corps et des passeports circulent également sur les réseaux sociaux.

    Les corps ont été récupérés par « les équipes du Croissant-Rouge palestinien », a indiqué l’organisation palestinienne sur X. « Deux des corps manquaient initialement à l’appel, mais ont ensuite été retrouvés et récupérés par les équipes du Croissant-Rouge », ajoute-t-elle. « Les sept corps ont été transportés à l’hôpital d’Al-Aqsa à Deir al-Balah, puis à l’hôpital Abu Yousef al-Najjar en vue de leur évacuation par le poste frontière de Rafah. »

    Dans un premier temps, le ministère de la Santé du Hamas avait aussi fait état de cinq victimes arrivées dans un hôpital de Deir el-Balah, après « une frappe aérienne israélienne ayant visé un véhicule de l’organisation américaine World Central Kitchen » dans le centre de la bande de Gaza.

    Qui sont les victimes ?

    D’après World Central Kitchen, « les sept tués sont originaires d’Australie, de Pologne, du Royaume-Uni, ont la double nationalité américaine, canadienne et palestinienne ».



    Le Premier ministre australien, Anthony Albanese, a confirmé qu’une Australienne, Lalzawmi Frankcom - surnommée « Zomi », figurait parmi les victimes. Cette femme de 43 ans née à Melbourne, selon le Guardian, « laissera derrière elle un héritage de compassion, de bravoure et d’amour pour tous ceux qui se trouvaient dans son orbite », indique sa famille dans un communiqué. Elle était « une personne aimable, désintéressée et exceptionnelle [qui] a parcouru le monde pour aider les autres lorsqu’ils étaient dans le besoin », a ajouté sa famille.



    Jusqu’en novembre 2022, elle repartageait régulièrement des publications X de WCK. Elle apparaît également sur une publication Instagram partagée il y a une semaine par WCK. Elle se trouvait alors, souriante, à Deir al-Balah, dans le centre de la bande de Gaza.

    Des images diffusées sur les réseaux sociaux laissent entendre que le Polonais Damian Soból fait aussi partie des victimes. Sur Facebook, le maire de Przemyśl - où résidait Damian Soból -, Wojciech Bakun confirme l’information. « Il n’y a pas de mots pour décrire ce que les personnes qui connaissaient cet homme fantastique ressentent en ce moment », a-t-il notamment écrit.

    💔 Wczoraj w ataku rakietowym sił izraelskich na konwój humanitarny dostarczający żywność na terenie Strefy Gazy zginął...

    Publiée par Wojciech Bakun sur Lundi 1 avril 2024

    Le Hamas avait affirmé plus tôt que certaines des personnes tuées avaient « la nationalité britannique, australienne et polonaise ». La nationalité de la quatrième personne n’est pas connue, quand la cinquième était un chauffeur et traducteur palestinien.

    Quelles sont les réactions ?

    Les États-Unis, qui prennent de plus en plus leurs distances avec leur allié israélien après quasiment six mois de guerre dans la bande de Gaza, se sont déclarés « profondément troublés » par cet événement. « Nous avons le cœur brisé et sommes profondément troublés par la frappe », a déclaré sur le réseau social X la porte-parole du Conseil de sécurité nationale, qui dépend de la Maison Blanche, Adrienne Watson.

    « Les travailleurs humanitaires doivent être protégés, car ils apportent une aide dont (les Palestiniens) ont désespérément besoin, et nous exhortons Israël à promptement enquêter sur ce qu’il s’est passé », a-t-elle ajouté.



    L’armée israélienne a pour sa part dit « passer en revue l’incident tragique au plus haut niveau pour en comprendre les circonstances » et assuré avoir « travaillé en étroite collaboration avec WCK » pour sa distribution d’aide. Tsahal a promis une enquête selon son porte-parole Daniel Hagari, avant que Benyamin Netanyahou ne reconnaisse la responsabilité israélienne.

    La PDG de l’ONG Erin Gore a déclaré qu’il ne s’agissait « pas seulement d’une attaque contre WCK, c’est une attaque contre des organisations humanitaires qui interviennent dans les situations les plus désastreuses où la nourriture est utilisée comme arme de guerre ». « C’est impardonnable », a-t-il ajouté. « L’amour qu’ils (les humanitaires tués) avaient pour nourrir les gens, la détermination qu’ils incarnaient pour montrer que l’humanité s’élève au-dessus de tout, et l’impact qu’ils ont eu sur d’innombrables vies resteront à jamais gravés dans nos mémoires », a-t-il également affirmé dans un communiqué de l’ONG.

    « C’est complètement inacceptable. L’Australie exige que tous les responsables de la mort de travailleurs humanitaires rendent des comptes », a également déclaré Anthony Albanese. La Pologne a pour sa part réclamé des explications à Israël.

    Le Haut représentant de l’Union européenne aux Affaires étrangères Josep Borrell a affirmé « condamner cette attaque » tout en réclamant « une enquête ». « Malgré toutes les demandes visant à protéger les civils et les travailleurs humanitaires, nous constatons de nouvelles victimes innocentes », a-t-il notamment écrit sur X.

    Le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez s’est dit « horrifié » par la mort des sept humanitaires. Il a également réclamé qu’Israël « fasse la lumière dès que possible » sur ce drame. Le Royaume-Uni attend également d’Israël « des explications transparentes et complètes », selon son chef de la diplomatie David Cameron.

    De même, la Chine s’est dite « choquée » par cette frappe. Pékin « s’oppose à toute action qui porte atteinte aux civils, détruit des infrastructures civiles ou viole le droit international », a déclaré le porte-parole de la diplomatie chinoise Wang Wenbin.

    Qu’est-ce que World Central Kitchen ?

    World Central Kitchen est impliquée dans l’envoi d’aide par bateau de Chypre vers Gaza et dans la construction d’une jetée temporaire dans le territoire palestinien assiégé. Un premier bateau y avait déchargé sa cargaison mi-mars sous la supervision de l’armée israélienne. Après ce drame, WCK a indiqué suspendre ses activités dans la région. « Nous prendrons bientôt des décisions sur l’avenir de notre travail », a ajouté l’ONG dans son communiqué.

    WCK a été fondé en 2010 après un tremblement de terre en Haïti, rappelle l’agence de presse Reuters. Elle est également intervenue en Ukraine, après le déclenchement de la guerre en février 2022. Depuis, et avec ses équipes d’intervention rapide, l’ONG a servi des millions de repas dans des situations de catastrophe, dans des pays comme les États-Unis, les Bahamas, Porto Rico ou l’Indonésie, ainsi que pendant la pandémie de Covid-19. Fin 2023, l’organisation s’est notamment rendue dans la ville mexicaine d’Acapulco après le passage de l’ouragan Otis.

    En 2019, Jose Andrés a également promu l’initiative Chefs for Venezuela, pour atténuer la crise alimentaire dans ce pays depuis la ville frontalière colombienne de Cúcuta. World Central Kitchen se consacre aux « moins privilégiés qui, dans les ouragans, dans les malheurs naturels, parfois politiques, sociaux, ont été les oubliés », déclarait-il en 2021, lorsqu’il avait reçu en Espagne, avec son ONG, le Prix Princesse des Asturies de la Concorde.