Alexeï Navalny : cinq minutes pour comprendre l’affaire d’empoisonnement présumé

L’opposant de Vladimir Poutine se trouve toujours dans le coma en Sibérie, après avoir été ébranlé par de violents maux de ventre dans un avion. Ses proches accusent le Kremlin d’être à la manœuvre.

 Alexeï Navalny, opposant numéro un au Kremlin, a fait un malaise à bord d’un avion avant d’être hospitalisé en réanimation et sous respiration artificielle en Sibérie.
Alexeï Navalny, opposant numéro un au Kremlin, a fait un malaise à bord d’un avion avant d’être hospitalisé en réanimation et sous respiration artificielle en Sibérie. REUTERS/Shamil Zhumatov

    Depuis jeudi, la Russie est suspendue au sort d'Alexeï Navalny. Ce farouche opposant au Kremlin a été hospitalisé en urgence en Sibérie, après avoir été victime d'importants maux de ventre dans un avion. En dépit de premières conclusions de médecins russes balayant ce vendredi l'ingestion d'un produit néfaste, son entourage est persuadé que le quadragénaire a été victime d'un empoisonnement, une technique de nuisance dont les services russes ont déjà été accusés par le passé. Le Parisien fait le point sur cette histoire rocambolesque, aux airs de déjà-vu.

    Qui est Alexeï Navalny ?

    L'homme est sans nul doute l'opposant numéro un de Vladimir Poutine. Ce militant anti-corruption de 44 ans a grandi près de Moscou et fait des études d'avocat, avant de rejoindre en 2000 le « Iabloko », le Parti démocrate russe, dont il a été exclu sept ans plus tard, en raison de positions jugées trop nationalistes. L'homme se lance alors dans un combat : dénoncer la corruption dont le Kremlin, déjà incarné par Vladimir Poutine, et les grandes entreprises russes, se rendent coupables.

    Il se forme également à l'université américaine de Yale, en 2010, et intègre le très sélect groupe des « jeunes leaders émergents », soulignant ainsi ses positions pro-occidentales. La politique lui colle à la peau et, dès 2013, l'avocat candidate à la mairie de Moscou, scrutin lors duquel il récoltera près de 30 % des suffrages.

    En 2018, c'est la tête du pays que brigue le militant, mais il est déclaré inéligible en raison d'une condamnation, orchestrée selon lui par le Kremlin, et assiste à la réélection de son pire ennemi. En parallèle, ses actions antigouvernementales font grand bruit et, à mesure qu'Alexeï Navalny regroupe derrière lui davantage de soutiens, notamment financiers et sur les réseaux sociaux, il fait également face aux tentatives d'intimidation du pouvoir. Depuis 2013, il a été plusieurs fois emprisonné et perquisitionné, notamment pour avoir organisé des manifestations contre le pouvoir en place.

    Que s'est-il passé à l'aéroport ?

    Plusieurs images attestent de son calvaire. Mercredi, l'homme a emprunté un avion qui devait le ramener de l'aéroport de Tomks à celui de Moscou. Avant l'embarquement, il est photographié en train de consommer un thé. La seule chose, selon ses opposants, qu'il a ingérée ce matin-là. Puis, sur une glaçante vidéo diffusée par une chaîne de télévision russe, on peut entendre l'opposant hurler littéralement de douleur, alors qu'il se trouve dans l'avion.

    Face à sa détresse physique, l'appareil a dû effectuer un atterrissage d'urgence en Sibérie, où il a été transféré dans le service de réanimation d'Omsk. Le Russe se trouverait toujours dans le coma et sous respirateur artificiel ce vendredi, même si son état se serait légèrement amélioré. Selon le médecin-chef de l'hôpital, cité par l'agence de presse TASS, « il est dans un état grave ».

    Pourquoi son entourage parle-t-il d'empoisonnement ?

    Pour ses proches, il n'y a aucun doute. Ils ont d'ailleurs déposé une plainte auprès du Comité d'enquête, à Moscou, pour des faits d'empoisonnement. « Alexeï a été empoisonné, intoxiqué », a assuré sur Twitter Kira Iarmych, la porte-parole d'Alexeï Navalny, en mettant en cause le thé consommé avant l'embarquement. « Il n'a rien bu d'autre ce matin […] Les médecins ont dit que le poison avait été absorbé rapidement à travers la boisson chaude », a-t-elle souligné.

    Les soutiens de l'opposant visent, sans grande surprise, le pouvoir russe, qu'ils estiment être à la manœuvre pour faire définitivement taire l'avocat aux plus de deux millions d'abonnés sur Twitter. Ils ne croient pas aux conclusions des médecins russes, qui ont, ce vendredi, affirmé n'avoir trouvé « aucun poison » dans son organisme, et réclament son transfert en Allemagne. Les soignants ont avancé la piste d'un « déséquilibre glucidique », qui pourrait s'expliquer par « une forte baisse du niveau de glycémie » dans le sang.

    Si son entourage est si méfiant, c'est que le quadragénaire aurait subi au moins une tentative d'empoisonnement dans le passé et que la Russie a été à de nombreuses reprises accusée d'avoir intoxiqué ses adversaires, notamment par deux fois au Royaume-Uni.

    En juillet 2019, Alexeï Navalny, alors emprisonné, avait souffert d'une allergie impressionnante, causant notamment un gonflement des paupières et de multiples abcès, que ses proches attribuaient à une intoxication volontaire, qui n'a jamais pu être prouvée. Les autorités russes avaient, de leur côté, seulement évoqué une « grave réaction allergique ». Deux ans auparavant, il avait également perdu 80 % de sa vision à l'œil droit, selon sa médecin personnelle, après avoir été aspergé d'encre verte sur le visage.

    L'auteur de ce jet était cette fois un militant ultranationaliste pro-Kremlin.

    Pourquoi le sujet de son transfert est si sensible ?

    L'état de santé de l'avocat est encore incertain mais après avoir refusé tout transfert vers l'Allemagne, les soignants russes ont finalement « pris la décision de ne pas s'opposer à ce qu'il soit transporté vers un autre hôpital, celui qui nous sera désigné par ses proches », a déclaré ce vendredi aux journalistes Anatoli Kalinitchenko, le directeur adjoint de l'hôpital des urgences n°1 d'Omsk.

    Ce transfert en Allemagne a été requis par son épouse, alors qu'un avion affrété par une ONG germanique est arrivé sur place jeudi soir avec des médecins pour le prendre en charge. Sur place, les docteurs allemands n'ont pu le voir que quelques minutes et n'ont pu établir de diagnostic. Ioulia Navalnaïa, l'épouse de Navalny, souhaite qu'il quitte la Sibérie afin de disposer d'un diagnostic plus fiable et d'une « aide médicale qualifiée en Allemagne », a-t-elle écrit sur Twitter, jugeant l'hôpital actuel pas suffisamment équipé.

    Le pouvoir laissera-t-il faire ? Le refus des autorités russes de ce transfert est une décision uniquement politique, déplorent en tout cas ce vendredi les soutiens de l'opposant, persuadés d'y voir l'ombre du Kremlin. Les autorités russes estiment pour leur part qu'il s'agit d'une décision « purement médicale » et la théorie de l'empoisonnement qu'une « simple supposition ».

    Le Kremlin a d'ailleurs dit souhaiter à Alexeï Navalny, un « prompt rétablissement », « comme à n'importe quel citoyen russe ». Ce vendredi, l'entourage de l'opposant a saisi la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) pour obtenir des autorités russes cette autorisation de transfert. L'instance devrait se prononcer dans les prochains jours.

    Comment a réagi la communauté internationale ?

    De nombreuses ONG se sont insurgées du sort du Russe, notamment Amnesty International, qui a appelé à une « enquête rapide et indépendante ». Après sa rencontre avec la chancelière allemande Angela Merkel, qui s'est dite « bouleversée » par l'état de santé de Navalny, Emmanuel Macron a, lui, déclaré être « extrêmement préoccupé » par la situation. Les deux pays ont offert « toute aide médicale » au militant. L'Union européenne a de son côté jugé que « les responsables » devraient « rendre des comptes ».

    Dans la soirée, une manifestation de soutien s'est déroulée à Saint-Pétersbourg, tandis qu'Edward Snowden, lanceur d'alerte américain qui s'est vu attribuer un asile par Moscou, a fustigé un « crime contre toute la Russie ».