Etoiles Michelin : «La vraie pression vient de l’absence de règles»

Après la décision du guide Michelin d’accepter la décision de Sébastien Bras de ne pas figurer dans le petit livret rouge, la question de la pression inhérente aux étoiles agite le Landerneau.

 Le guide Michelin se défend d’appeler les chefs étoilés à « l’investissement ».
Le guide Michelin se défend d’appeler les chefs étoilés à « l’investissement ». AFP

    Le chef triplement étoilé Sébastien Bras a obtenu de ne plus figurer au célèbre guide Michelin qui sortira la semaine prochaine. Une première dans l'histoire du petit guide rouge. Le chef de Laguiole (Aveyron) a estimé qu'il en avait assez de « la grande pression » intimement liée au maintien de ses trois macarons et qu'il souhaitait quitter le système pour « des raisons familiales ».

    « La pression est vraiment liée à l'excellence. C'est vrai que c'est un métier difficile, tous les jours, midi et soir, les clients se font juges de l'assiette », a concédé Claire Dorland-Clauzel, membre du comité exécutif du groupe Michelin. Mais les inspecteurs n'évaluent selon elle que le contenu de l'assiette : « Michelin n'évalue ni le service, ni la vaisselle, ni le décor ». Pas plus à ses dires que les efforts consentis par les restaurateurs pour monter en gamme : « On ne demande aucun investissement. La politique d'investissement et de prix, c'est celle des chefs ».

    Une affirmation qui a surpris dans le milieu plutôt feutré de la gastronomie, pour qui l'obtention d'étoiles passe certes par l'excellence de l'assiette… mais pas sans investissement !

    « Ils n'ont jamais accordé d'étoile à un bouiboui ! »

    « Ils ne demandent pas d'investissement mais ils n'ont jamais accordé d'étoile à un bouiboui ! », nous confie un membre de l'équipe d'une adresse triplement étoilée du Sud-Ouest préférant garder l'anonymat - il est difficile pour les toques étoilées de communiquer à visage découvert lorsqu'il s'agit d'évoquer le petit jeu des étoiles du Michelin. « Ce n'est écrit nulle part qu'il faut investir mais si vous ne le faites pas, ce sera plus difficile d'avoir des étoiles », selon lui. Et de préciser : « La pression que ça met, c'est justement qu'il n'y a pas de règles. Si on nous disait "vous faites ci vous faites ça vous avez une bonne note" ce serait plus simple, mais là, on vous dit "faites ce que vous voulez". Après on accepte de vivre cette situation ou pas… »

    Même son de cloche auprès d'un établissement étoilé parisien. « C'est polémique ! Mais sans investissement, c'est dur de maintenir son excellence et ses macarons », nous livre-t-on sous couvert d'anonymat. En bref, tout ne se joue pas uniquement dans l'assiette, et le faste compte.

    Pour les établissements primés de plus petite taille, la question de l'investissement se pose aussi. « On n'a jamais voulu décrocher la deuxième, mais pour le faire, on aurait dû enlever quelques tables, mettre des nappes, changer la décoration, les couverts… » nous explique David Bottreau, patron des Fables de la fontaine (Paris VIIe), un bistro étoilé parisien. Le 2e macaron va avec « des services supplémentaires, un voiturier, etc. », imagine ce restaurateur. « Mais cette vision est peut-être une erreur de notre part. »

    « On ne sauve pas des vies »

    Au-delà des exigences plus ou moins explicites du Michelin, les étoiles dépendent aussi bien évidemment de la pression que se mettent les restaurateurs : « Honnêtement ce n'est pas qu'une question d'investissement. C'est un challenge. Jusqu'où on veut aller. Certains veulent être Usain Bolt, ils cherchent plus la compétition, d'autres ne veulent pas être champions », explique ainsi Akrame Benallal, chef du restaurant éponyme à Paris (Akrame, VIIIe). Préférant être « son propre arbitre », il rappelle régulièrement à ses équipes qu'« on ne sauve pas des vies » et regrette que la pression des étoiles rende des confrères « malades ».

    Lui-même en a perdu une en déménageant dans Paris. « Si je récupère une ou deux étoiles, tant mieux. Mais tous les investissements que j'ai faits dans mon restaurant, je ne l'ai pas fait pour Michelin mais pour moi », insiste-t-il. Ce disciple d'Alain Ducasse pense d'ailleurs qu'aujourd'hui la clientèle a évolué et souhaite des cadres moins guindés, moins étriqués, et une restauration plus décontractée. « Car ne l'oublions pas : s'il mange bien, le seul décideur, c'est le client. »

    A ce titre, selon lui, « Sébastien Bras a eu du courage ». « Il a des c*******. Il aspire à autre chose. Je le comprends parfaitement car il est honnête envers lui-même. »