Appeler à se faire vacciner contre le Covid-19 ? Les ambiguïtés de Christiane Taubira font polémique

L’ancienne ministre de la Justice affirme ne pas disposer des « éléments d’information » qui lui permettraient d’appeler à se faire vacciner. Sa position fait beaucoup réagir, car la Guyane (dont elle est originaire) est peu vaccinée et confrontée à une situation épidémique critique.

Christiane Taubira estime qu'elle n'a "pas vocation à appeler à se faire vacciner", n'étant pas une responsable politique "en exercice". AFP/Jewel Samed
Christiane Taubira estime qu'elle n'a "pas vocation à appeler à se faire vacciner", n'étant pas une responsable politique "en exercice". AFP/Jewel Samed

    De quoi faire pâlir son statut d’icône pour une partie de la gauche ? On pourrait le penser, vu le ton des réactions sur les réseaux sociaux après la nouvelle intervention de Christiane Taubira sur la vaccination, ce jeudi. L’ancienne ministre de la Justice sous François Hollande, originaire de Guyane, était interrogée sur RTL pour savoir si elle appelait la population à se faire vacciner contre le Covid-19, notamment en Guyane dont elle est originaire. « Je n’ai pas vocation » à cela, a-t-elle répondu, car « je suis un responsable politique qui n’est pas en exercice et qui, par conséquent, ne dispose pas des éléments d’information qui permettraient formellement de donner une consigne ».

    Cette justification fait débat, car de nombreuses données sur l’efficacité et la sûreté des vaccins administrés en France (et donc notamment en Guyane) sont désormais connues et publiées. « C’est quasiment une fake news de dire qu’il faut être au pouvoir pour avoir des informations sur les vaccins, alors que c’est de la science de base », tonne la médecin de santé publique Hélène Rossinot, qualifiant ces propos d’ « honteux » et de « démagogiques ».

    Surtout, cette prise de position intervient alors que la Guyane est désormais, et de très loin, le département français le plus durement touché par l’épidémie. Quelque 500 cas pour 100 000 habitants y sont recensés en une semaine, contre 73 au niveau national. Dans le même temps, la couverture vaccinale patine, avec moins d’un habitant sur 3 ayant reçu au moins une dose de vaccin.

    « On ne peut malheureusement pas compter sur les élus locaux »

    Christiane Taubira est pourtant elle-même vaccinée, comme elle l’a indiqué sur Twitter ce jeudi en début d’après-midi. Cette grande prudence de sa part, le sociologue Jocelyn Raude l’interprète par « la proximité culturelle avec la population guyanaise et antillaise, qui est très soucieuse et inquiète des effets potentiels de ces vaccins ».

    En Guadeloupe et en Martinique également, la population est deux voire trois fois moins vaccinée qu’en métropole. Cela s’explique « par des motifs culturels, mais aussi en raison d’un moindre accès aux études supérieures et d’une méfiance historique vis-à-vis de l’Etat et de l’hexagone, qui favorisent l’apologie de pratiques médicinales locales », estime ce spécialiste des questions de défiance vaccinale à l’École des hautes études en sciences sociales (Ehess). La pharmacopée traditionnelle est prisée par de nombreux habitants sur place.



    Christina Taubira n’est d’ailleurs pas la seule personnalité en outre-mer qui se montre réticente à appeler à se faire vacciner. Toujours en Guyane, le président de la collectivité territoriale, Gabriel Serville, nous disait cet été « attendre un vaccin avec une technologie plus classique, comme celui de Sanofi ». « Je ne comprends pas que certains s’étonnent que les élus ne soient pas en pointe pour la vaccination. Nous sommes à l’image de la population. Si les habitants ont voté pour moi, c’est parce qu’ils se reconnaissent à travers moi », s’exclamait-il. « On ne peut malheureusement pas compter sur les élus locaux », se désole en retour une personnalité locale. La star du judo Teddy Riner, originaire de Guadeloupe, a estimé de son côté, le 14 septembre, qu’il n’était « pas là pour dire Vaccinez-vous ! ».

    « Pour Christiane Taubira comme pour Teddy Riner, il est sans doute risqué de faire la promotion de la vaccination et d’endosser des thèses minoritaires au sein de leur communauté, alors qu’ils ont une grande partie de leur famille sur place », analyse Jocelyn Raude. « C’est encore plus problématique pour Christiane Taubira car elle a exercé d’importantes responsabilités. Et de toute façon, tous les citoyens et tous les politiques, qu’ils soient en responsabilité ou non, doivent prendre position », complète Hélène Rossinot. Ce jeudi, l’ex-ministre s’est défendu en assurant que « les arguments antivax [étaient] un tissu d’imbécillités ».

    Pandémie et inégalités

    Lundi, Christiane Taubira avait par ailleurs réfuté le terme « pandémie au sens strict ». « C’est une maladie qui fragilise les personnes déjà vulnérables, qui montre comme un effet de loupe les inégalités, les vulnérabilités, les fragilités qui ne sont pas prises en considération », avait-elle estimé. L’historien spécialiste des épidémies Patrick Zylberman nous indique à l’inverse que le terme « pandémie » s’utilise lorsque « au moins une région de l’Organisation mondiale de la santé est touchée », ce qui est largement le cas s’agissant du Covid-19.

    Il est vrai que cette crise sanitaire a accentué certaines inégalités, notamment pour l’accès aux vaccins dans le monde. En France, les immigrés ont aussi payé un tribut particulièrement lourd. « Les personnes nées à l’étranger habitent dans des logements plus exigus et elles occupent davantage que les autres des emplois essentiels. Elles ne peuvent donc pas télétravailler et se sont retrouvées plus exposées au cours de la première vague, et donc sans doute durant les différentes vagues de l’épidémie et les périodes de confinement », nous indiquait en avril dernier Sylvie Le Minez, cheffe de l’unité des études démographiques et sociales de l’Insee. Mais les autorités ont mis en place de nombreuses actions pour y faire face, multipliant par exemple les opérations de terrain.