Entre Macron et les syndicats, la grande défiance

Malgré la crise des Gilets jaunes qui le pousse à renouer avec les maires, le président continue de délaisser les partenaires sociaux. Qui s’en plaignent amèrement.

 Laurent Berger s’est étonné, publiquement, du manque d’échanges avec le président de la République en pleine crise des Gilets jaunes.
Laurent Berger s’est étonné, publiquement, du manque d’échanges avec le président de la République en pleine crise des Gilets jaunes. AFP/Ludovic Marin

    Pour reprendre la main dans la crise des Gilets jaunes, Emmanuel Macron a mouillé la chemise avec les maires cette semaine, lors de deux rencontres marathons de près de sept heures. Une attention qu'il ne porte toutefois pas à tous les corps intermédiaires. Et en particulier aux syndicats qui le laissent toujours de marbre.

    Au point que Laurent Berger, le patron de la CFDT, s'est récemment agacé sur France Inter de n'avoir eu aucun contact avec le chef de l'État depuis une réunion en grande pompe à l'Élysée avec les autres organisations et les représentants d'élus, le 10 décembre. Le secrétaire général du syndicat réformiste, qu'un proche décrit « horripilé », avait pourtant tendu la main au gouvernement pour trouver une porte de sortie à la crise.

    Un cri du cœur que l'Elysée n'a pas digéré. Tout comme les remontrances de Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Medef, qui s'est lui aussi plaint de ne pas avoir eu d'échanges avec le président. « Il y a une forme d'incompréhension, on n'a pas le sentiment d'avoir démérité dans la manière de les avoir traités, nous n'avons jamais été méprisants, rétorque l'entourage du président. Laurent Berger et Geoffroy Roux de Bézieux ont un accès illimité à Alexis Kohler ( NDLR : le secrétaire général de l'Élysée ). »

    « Macron n'a jamais pensé que les syndicats pouvaient jouer un rôle central »

    À l'inverse de ses prédécesseurs, le chef de l'État ne goûte guère aux plaisirs des rencontres en tête à tête avec les partenaires sociaux. Certes, Laurent Berger a déjeuné deux fois au Château, aux côtés d'autres personnalités concernées, lors de la préparation du plan pauvreté à la rentrée, mais rien de plus. Un régime sec appliqué à toutes les organisations : « Hollande recevait Gattaz ( NDLR : l'ex-patron du Medef ) tous les deux mois seul à seul. Là, ça n'arrive jamais », se désole un cadre du syndicat patronal. « Sur ce point, on est tous à égalité. On voyait Sarkozy et Hollande en tête à tête. Lui, non », renchérit Luc Berille, le patron de l'UNSA. La crise des Gilets jaunes n'y a manifestement rien changé.

    « Il ne s'agit pas d'avoir un traitement psychologique des leaders syndicaux, mais d'être efficace. Ce n'est pas parce qu'ils étaient des visiteurs du soir des précédents présidents qu'ils obtenaient plus de choses », balaie l'Élysée. Cette approche en dit toutefois long sur la perception que le président a des syndicats. « Son modèle, c'est la start-up. Un univers où les organisations sont perçues comme inutiles », soupire un spécialiste des questions sociales.

    « Clairement, Emmanuel Macron n'a jamais pensé que les syndicats pouvaient jouer un rôle central dans le processus des réformes qu'il entendait mener. Il a certes organisé de vraies concertations avec eux. Mais dans les concertations, on écoute, sans bouger beaucoup les lignes de départ », décrypte Raymond Soubie, l'ex monsieur social de Nicolas Sarkozy.

    « Le président les voit comme des emmerdeurs »

    Aux yeux de Macron, les syndicats ont un rôle à jouer dans les entreprises et dans les branches professionnelles, mais aucun dans la transformation de la société. Leur trop faible représentation joue contre eux. Mais pas seulement… « Pour lui, les corps intermédiaires sont des freins », résume abruptement Thibault Lanxade, un ancien dirigeant du Medef. « Il les voit comme des emmerdeurs », lâche, plus fleuri, un spécialiste du secteur social. Son parcours est-il en cause ? « C'est une nouvelle classe politique qui a fait HEC, bossé dans le privé, et qui a ce sentiment de supériorité, de tout savoir », grogne un syndicaliste.

    Quant au modèle de cogestion avec la CFDT mis en place en son temps par François Hollande, il agit comme un véritable repoussoir sur Emmanuel Macron. Pas question pour lui d'ériger une organisation au rang d'interlocuteur privilégié. De quoi en laisser certains circonspects à l'heure où la France gronde. « Ils vont finir par mettre Berger dans les bras de Xavier Bertrand », met en garde un familier du pouvoir. Certains dans la majorité demandent d'ailleurs au chef de l'État de changer de pied. « Les corps intermédiaires, ça amortit quand ça va mal. Et aujourd'hui, on voit bien que cet amortisseur manque », plaide un député LREM. En vain pour l'instant.

    « On pourrait espérer que ce qui se passe aujourd'hui les amène à changer, mais je n'en suis pas si sûre, anticipe Véronique Descacq, l'ex numéro deux de la CFDT. À aucun moment, dans sa lettre, il ne parle des corps intermédiaires. » Encore plus sévère et plus pessimiste, un syndicaliste cingle : « Ce garçon ne changera jamais, il est convaincu d'avoir raison, il a du mal à faire des compromis, donc il ne cherche pas d'alliés. »