Des députés réclament une commission d’enquête sur les morts du Covid en Seine-Saint-Denis

Des parlementaires communistes demandent la création d’une commission d’enquête, pour comprendre les causes de la surmortalité liée au virus dans le 93.

 Saint-Denis, le 28 avril 2020. Opération d’évaluation sanitaire au foyer Adoma, menée par les médecins du centre municipal de santé.
Saint-Denis, le 28 avril 2020. Opération d’évaluation sanitaire au foyer Adoma, menée par les médecins du centre municipal de santé. LP/Gwenael Bourdon

    Les malades de Seine-Saint-Denis ont-ils été soignés comme les autres au plus fort de l'épidémie de coronavirus ?

    C'est pour obtenir une réponse à cette question que plusieurs députés, dont deux élus communistes du 93, Stéphane Peu et Marie-George Buffet, réclament aujourd'hui la création d'une commission d'enquête parlementaire, « visant à comprendre les causes de la surmortalité en Seine-Saint-Denis durant la crise du Covid-19 ». Selon une étude de l'Observatoire régional de santé (ORS), dévoilée le 11 mai dernier par Le Parisien, la surmortalité a plus que doublé dans le département, entre le 1 er mars et le 10 avril (+ 118 %), ce qui le plaçait loin devant les autres départements de la région parisienne.

    « La résolution est déposée sur le bureau du président de l'Assemblée nationale, et devrait être traitée dans les semaines qui viennent », souligne Stéphane Peu. Selon le parlementaire, ce volet, centré sur le 93, pourrait être intégré aux travaux de la commission d'enquête déjà à pied d'œuvre, sur la gestion générale de l'épidémie.

    « Combien d'habitants n'ont pas de médecin traitant ? »

    « Il y a les chiffres de l'ORS, et les explications avancées sur l'état de santé de la population, les conditions de logement, le fait que beaucoup d'habitants sont les « premiers de corvée » qui ont continué à travailler… Mais ce qui nous intéresse, c'est d'éclairer le volet santé publique en Seine-Saint-Denis. Combien d'habitants n'ont pas de médecin traitant? Comment s'est organisé l'accès aux services de réanimation? Il faut renseigner tout cela, l'objectiver, sans laisser place à la rumeur », précise Stéphane Peu. A ses yeux, cette enquête serait « un volet à ajouter au rapport parlementaire Cornut-Gentille », qui pointait en 2018 les défaillances de l'Etat en Seine-Saint-Denis.

    « On dit que l'hôpital a tenu bon ? Mais c'est faux ! »

    « Cette demande d'une commission d'enquête me paraît parfaitement légitime », réagit Christophe Prudhomme, médecin urgentiste CGT, persuadé que des vies auraient pu être épargnées. « On dit que l'hôpital a tenu bon ? Mais c'est faux ! Nous avons fait le maximum pour limiter la casse, mais une surmortalité dans les hôpitaux et les Ehpad aurait pu être évitée si on avait pris d'autres mesures. Mais Martin Hirsch [NDLR : patron de l'AP-HP] poursuit ses projets de fermeture d'hôpitaux à Bondy, Garches… Et nos collègues psychiatres viennent de pousser un cri d'alarme : on n'a plus de lits disponibles, alors que les malades affluent. »

    D'autres acteurs restent dubitatifs. Comme Ludovic Toro, maire UDI de Coubron et médecin. Ce dernier, très critique sur la gestion gouvernementale de la crise — il a même porté plainte avec un collectif de médecins — ne voit guère l'utilité d'une telle démarche : « Une commission d'enquête? Je peux déjà vous en donner les conclusions : il y a moins de médecins et de lits d'hôpitaux en Seine-Saint-Denis qu'ailleurs. Le Covid n'a fait que souligner ce qu'on savait déjà. Si cela pouvait renverser la tendance ce serait bien, mais j'en doute. »

    « Un patient de Seine-Saint-Denis n'attendait pas plus qu'un patient de Paris »

    Pour Frédéric Adnet, chef des urgences à Bobigny, confier cette mission à des parlementaires n'est pas une bonne solution. « Établir les causes de la mortalité plus importante en Seine-Saint-Denis, c'est le travail d'épidémiologistes, de mathématiciens, de scientifiques. C'est vrai qu'il y a moins de lits de réanimation en Seine-Saint-Denis, mais établir un lien avec la mortalité due au Covid est une absurdité complète. Pendant l'épidémie, tous les lits d'Ile-de-France étaient mutualisés. Un patient de Seine-Saint-Denis n'attendait pas plus qu'un patient de Paris », affirme-t-il.

    De leur côté, les hospitaliers se mobilisent. Ce jeudi, une assemblée générale est organisée à l'hôpital Robert-Ballanger d'Aulnay, avant un départ groupé pour manifester devant l'ARS.

    Objectif : obtenir des moyens immédiats, du personnel, des médecins, et l'ouverture de lits. « Le Covid a démultiplié la situation d'urgence dans laquelle se trouve notre hôpital, et tous les autres, dans ce département », résume Patrice Vétéran, délégué CGT. Concrètement, le manque de lits a saturé le traitement des patients Covid à Ballanger. « Le protocole obligeait à n'avoir qu'un patient par chambre. Certes. Mais des ailes entières de l'hôpital sont vides, faute de moyens et de personnel, rappelle le syndicaliste. Nous aurions pu, à condition d'avoir les moyens, les débloquer et y installer des lits ».