Juan Carlos, l’ex-roi d’Espagne soupçonné de corruption, poussé à l’exil

L’ancien monarque est soupçonné de corruption et souhaite tirer sa révérence hors des frontières de son pays pour éviter de faire de l’ombre à son fils, Felipe VI.

 C’est par une lettre adressée à son fils le souverain Felipe VI, que Juan Carlos (ici en 2018), l’ancien roi d’Espagne accusé de corruption, a annoncé quitter l’Espagne.
C’est par une lettre adressée à son fils le souverain Felipe VI, que Juan Carlos (ici en 2018), l’ancien roi d’Espagne accusé de corruption, a annoncé quitter l’Espagne. AFP/Oscar del Pozo

    Il aura bu le calice jusqu'à la lie. Juan Carlos, l'incontournable figure royale de l'Espagne moderne, a annoncé ce lundi qu'il allait quitter son pays. Par la toute petite porte. Sans doute cherche-t-il, par son exil, à préserver l'image de cette couronne qu'il a terriblement ternie par les multiples scandales qui l'avaient conduit à abdiquer en 2014, trente-huit ans après son accession au trône.

    Soupçonné de corruption, l'ex-roi, âgé de 82 ans, a transmis l'information par courrier à son fils Felipe VI, qui lui avait succédé il y a six ans. « Guidé à présent par la conviction de rendre le meilleur service aux Espagnols, à leurs institutions, et à toi en tant que Roi, je t'informe de ma décision réfléchie de m'exiler, en cette période, en dehors de l'Espagne », lui écrit l'ex-roi déchu.

    « C'est une décision que je prends avec une profonde peine, mais une grande sérénité », poursuit celui qui avait abandonné il y a un an ses activités institutionnelles liées à la royauté. Et d'écrire, comme si la culpabilité liée à son départ lui intimait de devoir le répéter, qu'il avait « toujours voulu le meilleur pour l'Espagne et la couronne ».

    Un exil aux allures d'estocade

    Qu'est-ce qui a pu précipiter un tel départ en plein cœur de l'été ? En Espagne comme en Suisse, la justice enquête notamment sur une centaine de millions de dollars qui auraient été secrètement versés en 2008 par l'Arabie Saoudite sur un compte en Suisse à l'ancien monarque. Et ce, dans le cadre de la concession d'un contrat de 6,7 milliards d'euros pour la construction d'un train à grande vitesse entre La Mecque et Médine à un consortium d'entreprises espagnoles. A l'époque, les juges avaient tout d'abord classé l'affaire, du fait du manque de preuves mais aussi de l'inviolabilité de Juan Carlos, alors roi en exercice.

    Le dossier avait été ouvert en septembre 2018 à la suite de la publication d'enregistrements de l'ancienne maîtresse de Juan Carlos, Corinna Zu Sayn-Wittgenstein. Juan Carlos est notamment soupçonné d'avoir transféré des fonds occultes sur le compte de cette dernière, aux Bahamas. C'est suite à ces révélations que Felipe VI avait annoncé renoncer à l'héritage de son père, privant également ce dernier de la rémunération annuelle de 194 232 euros qu'il touchait depuis sa résignation.

    Pour Juan Carlos, cet exil a des allures d'estocade, dans la lente déchéance de celui qui fut un symbole : proclamé roi d'Espagne à la mort du dictateur Franco, il avait alors largement contribué à remettre l'Espagne sur le chemin de la démocratie. Il a également joué un rôle crucial en s'opposant le 23 février 1981, à une tentative de coup d'Etat militaire. Voilà pour la gloire du règne de cet homme qui a joui pendant des décennies d'une très grande popularité dans la péninsule, avant que plusieurs scandales n'ébranlent la famille royale.

    Un safari de luxe, et les ennuis commencent

    Tout bascule en avril 2012, quand Juan Carlos est victime d'une fracture de la hanche lors d'une chasse aux trophées d'éléphant au Botswana. Un safari de luxe, alors que l'Espagne est frappée de plein fouet par une crise économique et sociale sans précédent.

    En se déchaînant, la tempête fait coup double en révélant aussi au public l'existence de sa maîtresse, le conduisant à présenter des excuses publiques : « J'ai commis une erreur et cela ne se reproduira pas ». A la même époque, une affaire de détournement de fonds publics de plusieurs millions d'euros participe à faire chanceler un peu plus Juan Carlos, car elle implique Iñaki Urdangarin, qui n'est autre que son gendre. Cet enchaînement de scandales le contraint à abandonner la couronne, en juin 2014.

    Juan Carlos a allumé la lumière dans l'Espagne post-franquiste des années 1970. Il la quitte cinquante ans plus tard dans une atmosphère, pour lui, crépusculaire. On ignore encore où le roi déchu a prévu de se rendre.