Pierre Bergé, le Téléthon ne lui dit pas merci

Pierre Bergé, le Téléthon ne lui dit pas merci

    « Cent millions d'euros pour le Téléthon, ça ne sert à rien. Cette émission parasite la générosité des Français. » En quelques phrases lapidaires, Pierre Bergé a soulevé, la semaine dernière, une énorme tempête médiatique. A tel point que beaucoup redoutent que son coup de « gueule » ne décourage dès vendredi soir prochain les promesses de dons recueillies (104,9 millions d'euros l'an passé) à l'occasion de l'événement organisé par l'Association française contre les myopathies. « Lamentable », « choquant », « stérile »â?¦ Face au concert d'indignations qui a suivi, l'homme d'affaires multimillionnaire, compagnon de route d'Yves Saint Laurent ou du président Mitterrandâ?¦ et atteint lui-même d'une myopathie à inclusion, n'a pas exprimé l'ombre d'un regret : « Tout ça m'est égal, car je sais que j'ai raison de taper dans la fourmilière. Il n'y a aucune raison qu'il continue à capter les dons des Français, mais personne n'ose le dire. Moi, je veux briser l'omerta », renchérit-il, avec cette assurance où ses détracteurs décèlent de l'arrogance.

    « Drôle, fidèleâ?¦ mais aussi excessif et parfois méchant »

    Avec son regard scrutateur et ses airs de patricien tiré à quatre épingles, c'est vrai qu'il peut « caresser » ou « intimider » selon l'humeur du moment. « Il est comme ça, entier et passionné. Parfois, le volcan explose, mais cela va avec son tempérament et son incroyable générosité. Il a ses têtes et, quand il est cruel, c'est terribleâ?¦ mais c'est un coeur d'or, un gentleman, un vrai bienfaiteurâ?¦ Je l'aime en bloc », dit son vieil ami Jack Lang.

    Enfant, sur l'île d'Oléron où il a vu le jour, il n'était déjà pas facile à dompter. Sa mère, qui était aussi son institutrice, et qui a aujourd'hui 102 ans, a confié un jour qu'il avait été un bébé « insupportable », puis un écolier « infernal » et « paresseux », avant d'être un ado séduit par les auteurs anarchistes. Et aujourd'hui ? « Je ne suis pas un homme tiède. Voyez le sort réservé aux immigrés dans notre paysâ?¦ Il y a tant de raisons de se révolter. »

    Les formules qui « tuent », Bergé les collectionne, au gré de ses inimitiés ou de ses coups de sang. Christophe Girard, qui a travaillé vingt ans à ses côtés chez YSL, brosse le portrait d'un homme ambivalent. « Il est flamboyant, attachant, drôle, fidèleâ?¦ mais aussi excessif, de mauvaise foi et parfois méchant. Sur le Téléthon, il a soulevé un problème, mais comme souvent, il verse dans l'outrance par des effets de manche et des propos trop méprisants », regrette l'actuel adjoint au maire de Paris, qui y voit une explication : « C'est peut-être un effet de l'âge. Et sans doute la mort récente d'Yves Saint Laurent l'a-t-elle déstabilisé. Après cinquante années passées ensemble, cette disparition laisse un grand vide. »

    La vie de Pierre Bergé est en effet indissociable de celle du célèbre couturier, dont il a été le compagnon (après avoir été celui du peintre Bernard Buffet), le Pygmalion et, désormais, le gardien de la mémoire : en mars prochain, une grande exposition lui sera consacrée au Petit Palais, à laquelle il travaille d'arrache-pied dans ses bureaux parisiens. Son talent, c'est d'avoir su croire en son génie et de le convertir en or. « C'est un homme d'entreprise et de culture, ce qui n'est pas si fréquent », admire Jack Lang. « Il a cette étonnante capacité à transformer ses désirs en réalité », renchérit Bertrand Audoin, directeur du Sidaction, que Bergé avait fondé avec Line Renaud en 1994. Businessman (YSL, le caviar Prunier), mécène infatigable d'artistes ou de la cause gay, homme de presse (il a fondé « Globe » et finance le magazine homo « Têtu »), celui qui pilote son hélico et une petite Ligier sans permis (on lui a retiré) cumule les passions et engagements parfois très coûteux, y compris en politique où son soutien comme son chéquier sont très recherchés.

    Déçu par Laurent Fabius, en qui il voyait l'héritier de Mitterrand, Bergé a pris sous son aile Ségolène Royal. A force de coups d'éclat, celle-ci a fini par « décourager » son précieux argentier. Mais voilà : la fidélité est une valeur inaltérable chez lui, et il paie encore le loyer de son QG parisien, soit 8 000 â?¬ par mois. « Résumer Bergé à un tiroir-caisse de la gauche est faux, estime Malek Boutih, l'ex-président de SOS Racisme, dont l'homme d'affaires est un puissant parrain. Cet homme aide ses amis, même quand ils sont au fond du trou. Il a un faible pour les personnalités qui sortent du moule, les aventuriers. »

    Sa dernière « étoile » est l'ambitieux Vincent Peillon, en qui il voit un fin « stratège » capable de « réunir tous les démocrates ». Mais à gauche, il n'a pas que de bonnes relations. Martine Aubry ne trouve pas grâce à ses yeux. Sans doute parce qu'il perçoit l'actuelle patronne des socialistes comme la digne héritière de Lionel Jospin dont il a un jour moqué « le menton mussolinien » et les « grimaces de tribun ». Aujourd'hui, c'est au Téléthon de subir ses foudres, « parce que je déteste l'injustice », dit-il. A 79 ans, celui qui a les emportements faciles cite souvent cette phrase d'André Gide : « Quand j'aurai cessé de m'indigner, j'aurai commencé ma vieillesse. »