Priver de réseaux sociaux les internautes haineux, la mission impossible de Macron

Le chef de l’Etat a indiqué mercredi soir son souhait de chasser les internautes indésirables des réseaux sociaux. Sans préciser comment il comptait s’y prendre.

 L’annonce d’Emmanuel Macron a surpris de nombreux spécialistes.
L’annonce d’Emmanuel Macron a surpris de nombreux spécialistes. Reuters/Ludovic Marin

    Comparer Twitter à un stade de foot, on n'y aurait peut-être pas pensé. Pourtant, lors du dîner du Crif, mardi soir, Emmanuel Macron a émis le souhait de pouvoir « interdire » la présence, sur les réseaux sociaux, de personnes « coupables de propos racistes et antisémites », « comme on interdit les hooligans dans les stades ».

    Attendu sur « des mesures fortes », le chef de l'Etat a outrepassé sur ce point les 20 recommandations du rapport qu'avait remis, en septembre, la députée Laetitia Avia (LREM) à l'exécutif. Au point d'avoir visiblement pris de court de nombreux acteurs du secteur.

    « J'ai été très étonnée », concède d'emblée Jennyfer Chrétien, directrice exécutive de Renaissance Numérique. Créé en 2005, ce think tank est régulièrement sollicité lors de l'ébauche des politiques publiques autour d'Internet. Et travaille largement sur les thématiques de haine en ligne.

    « Piste de réflexion »

    « L'exclusion d'internautes des médias sociaux n'a jamais émergé pendant les échanges auxquels nous avons assisté, y compris dans le cadre des états généraux des nouvelles régulations numériques », qui réunissent actuellement acteurs institutionnels, parlementaires et spécialistes de tous horizons, ajoute-t-elle.

    S'agit-il d'une proposition spontanée du président de la République ? Contacté, l'Elysée assure que cette idée n'était « pas sortie du chapeau » du chef de l'Etat. Celui-ci aurait notamment fait part de cette « piste de réflexion » à Laetitia Avia et Mounir Mahjoubi. Le secrétariat d'Etat au numérique n'a pas donné suite à nos sollicitations. Reste qu'une telle mesure poserait, de fait, de nombreuses questions légales, techniques et même constitutionnelles.

    En ce qui concerne les hooligans, l'interdiction de stade peut relever d'une décision administrative, prise par un préfet pour toute personne représentant « une menace pour l'ordre public ». C'est ce dispositif qui a récemment été appliqué aux « casseurs » accusés de troubler les manifestations.

    Suspicion

    Mais les décisions administratives essuient régulièrement des critiques. Elles peuvent être prononcées sans condamnation préalable, et sont donc potentiellement attentatoires aux libertés. En 2016, un rapport sénatorial relevait que deux tiers des procédures attaquées en justice étaient finalement annulées par un juge. Difficile, dans ces conditions, d'imaginer que des plateformes type Facebook, Twitter ou Google, renoncent à des internautes, et donc à une manne financière, sur simple suspicion de l'administration française…

    L'interdiction de stade peut également constituer une mesure pénale. Dans ces cas, elle accompagne une peine de prison ou une amende. Pour concrétiser le vœu d'Emmanuel Macron, il faudrait donc probablement imaginer que les personnes condamnées pour des propos racistes et antisémites en ligne soient, à l'instar des hooligans, fichées. Les réseaux sociaux auraient ensuite l'interdiction de les accueillir sur leurs plateformes.

    Mais là encore, les choses se compliquent. Contrairement à l'entrée ou la billetterie d'un stade, empêcher un internaute spécifique d'accéder à un site relèverait de la gageure technique. Seule une adresse mail est nécessaire pour s'inscrire à un réseau social. En cas de compte bloqué, il suffirait donc au « recalé » de se créer une nouvelle adresse et un nouveau compte.

    « Aller vers le pire »

    Il faudrait donc probablement neutraliser, en outre, les adresses IP, c'est-à-dire l'identifiant virtuel, des contrevenants. Mais celles-ci changent en fonction du terminal sur lequel un internaute se connecte. Acheter un nouveau smartphone permettrait ainsi de se reconnecter sans problème à n'importe quel site, à condition de créer un nouveau compte. Des technologies permettent en outre de modifier son adresse IP, à l'image des VPN ou du portail Tor.

    Une telle solution impliquerait par ailleurs de contraindre les plateformes à fournir à la justice française ces adresses IP, ce qu'elles refusent de faire pour l'instant. A leur décharge, l'anonymat protège les utilisateurs des réseaux sociaux dans de nombreux pays autoritaires. « Je pense que nous pourrions aller (avec la levée de l'anonymat en ligne, ndlr) vers le pire », a lui-même jugé Emmanuel Macron, mardi.

    « L'idée du président, c'est d'empêcher la récidive, souligne Me Thierry Vallat. L'intention est louable. Mais il faut surtout donner des moyens à la justice pour qu'elle puisse faire respecter la loi sur Internet », estime-t-il. Et de citer « des pistes bien plus sérieuses » contenues dans le rapport, à l'instar du dépôt de plainte en ligne ou des chambres pénales spécialisées dans le numérique.